« Oh, faites que jamais ne revienne le temps du sang et de la haine »….
…Göttingen, Göttingen, c’est la célèbre chanson de Barbara, traduite en allemand que Helmut Kohl entonna en 2003 commémorant le traité d’amitié franco-allemand, le traité de l’Elysées de 1963.Göttingen est désormais un véritable chant, un hymne de la réconciliation. « Oh, faites que jamais ne revienne le temps du sang et de la haine », c’est le premier sentiment, fort et oppressant, ressenti en apprenant le drame tragique d’Oslo .
La simple condamnation d’actes ou de propos aussi odieux ou choquants soient-ils ne peut constituer une réponse suffisante, pas plus que la réunion, à Bruxelles, des experts de « l’antiterrorisme », aussi nécessaire soit-elle. L’ampleur du drame et le contexte qui l’entoure ont créé un effroi général qui trouve pour partie son origine dans le fait que pour la première fois la radicalité de l’acte n’appartient pas l’extérieur, l’extrémisme islamiste pour parler simplement et rapidement, mais il vient de « chez nous ». C’est l’aboutissement d’une montée progressive des extrémismes européens, du populisme sous toutes ses formes et sous toutes ses manifestations. Les forces démocratiques ont tardé à réagir et ce n’est que récemment que des voix se sont élevées pour les condamner sans ambiguïté, par exemple, parmi d’autres, à plusieurs reprises et récemment encore, le président Barroso (1) : « Ne laissons pas l’initiative aux populistes (…) ce serait une terrible erreur que de laisser croire que le problème, c’est l’intégration européenne. Nous devons réfuter avec constance et exemples à l’appui tout argument allant dans ce sens »
0slo est le révélateur d’un malaise identitaire en Europe, malaise perçu et signalé depuis quelques années. Réaction tardive et incertaine qui atteste de la grande difficulté à mener une réflexion constructive et dépassionnée, autant qu’il est possible de le faire, sur ces actualités brûlantes dont Oslo est la dernière manifestation, la plus extrême, la plus barbare, la plus tragique, mais pas la première. Ce malaise identitaire est le résultat du prodigieux défi politique et culturel jeté par la mondialisation qui a fragilisé les souverainetés nationales ou régionales dans le cas de l’Europe, qui a émietté des ensembles ethnico-religieux jusqu’alors cohérents et cela notamment sous le coup de l’accroissement des flux migratoires ou plus simplement de la subite perception de leur réalité pourtant ancienne. Le vieillissement démographique, la dégradation de la figure souveraine de l’Etat appauvri et endetté apportent également leur contribution à ce malaise identitaire, tout comme un fort sentiment de déclassement face aux nouvelles puissances. Hier le changement signifiait progrès, aujourd’hui il évoque la menace et la régression. Tout cela concourt au renforcement du sentiment de fragilisation. Le multi-culturalisme déréglé exacerbe les comportements, les tensions. Il faut protéger la société des militants d’un multiculturalisme absolu et des tenants de l’homogénéité ethnoculturelle absolue, elle aussi. Pour cela renforcer le consensus sur les valeurs et sur l’attachement aux droits de la personne. Impossible, dira-t-on? Le printemps arabe démontre le contraire. Les possibles et inévitables déceptions ultérieures ne pourront faire oublier que ce mouvement a eu lieu.
A un malaise européen doit correspondre une solution européenne : l’Europe porte une bonne part de responsabilité en ne parvenant pas, pour le moment, à faire émerger une conscience européenne, à constituer un espace de référence identitaire fédérateur dépassant tous les particularismes, apportant conscience de soi et confiance en soi. L’Europe a construit son projet sur des valeurs bien réelles, et la voix officielle le rappelle régulièrement, mais cela reste inerte, faute d’un projet de citoyenneté active, un projet qui mobilise, refuse et s’oppose à l’instrumentalisation des partis et mouvements populistes.
Il faut une réponse politique globale, puissante et unitaire à ce puissant phénomène de portée historique et potentiellement dévastateur : les populismes. Il ne suffit plus de dire qu’ils sont nés sur le terreau des difficultés économiques, et de l’épuisement du système de protection sociale. Pour vaincre ses tourments l’Europe doit mobiliser ses citoyens.
Dans ce contexte on peut regretter que le nouvel agenda pour l’intégration des immigrés que vient de présenter la Commission européenne (cf. dans ce numéro l’article de présentation à ce sujet) n’ait pas reçu le moindre écho dans la presse européenne. Au-delà des critiques, et Nea Say ne s’en prive pas, il faut reconnaitre que cette communication de la Commission dresse un inventaire à peu près complet et honnête de la situation et présente des propositions (« une boîte à outils ») raisonnables. L’importance de l’actualité concurrente n’est pas une explication à ce silence et encore moins une excuse.
L’appel du président Barroso doit être reçu de façon positive et sans délais : il faut prendre la mesure de la menace populiste. La capacité des populistes à perturber le jeu politique, à l’orienter, voir à le dominer a déjà été démontrée. Ils empêchent le débat et le radicalisent, ils égarent les médias, ils rendent plus difficile la gouvernance européenne et la prise de décision. Mais ils ne peuvent ni interrompre, ni orienter le cours de l’histoire. Pure crispation sans vision du futur, un futur dans lequel on ne peut refuser purement et simplement à la fois l’immigration et le vieillissement. Il n’y a pas de solutions faciles mais on ne peut laisser la complexité des choses être manipulée, caricaturée par ceux qui cherchent à exploiter des sentiments primaires. Ils n’ont pas raison. Il faut relever, ensemble, les défis aux quels nous sommes confrontés. Plus d’Europe et non, moins d’Europe !
« Oh, faites que jamais ne revienne le temps du sang et de la haine, car il y a des gens que j’aime ».
(1) « Ne laissons pas l’initiative aux populistes », déclaration du président Barroso http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=MEMO/11/280&format=HTML&aged=0&language=FR&guiLanguage=en