Le tout récent arrêt de la Cour de cassation française en donnant la primauté au respect de la vie privée ne facilite pas les choses. Sera-t-elle suivie au niveau européen ? Les cours souveraines européennes donnent une importance fondamentale au respect de la vie privée, mais jusqu’à maintenant elles n’ont pas été amenées à trancher sur la primauté d’un droit fondamental sur un autre.
L’affaire Bettencourt/l’Oréal est peut-être appelé à prendre une place importante dans les manuels de droit pour des raisons qui n’ont rien à voir avec les péripéties et rebondissements d’une querelle familiale assez sordide, même si elle reste banale qui alimente quasi quotidiennement la presse. La publication par le journal le Point et Mediapart d’enregistrements clandestins chez l’héritière de l’Oréal par son majordome n’était pas légitime et porte atteinte à la vie privée a estimé la première chambre civile de la Cour de cassation qui a cassé l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 23 juillet 2010.
Le 1er juillet 2010, le tribunal de grande instance de Paris, suivi trois semaines plus tard par la cour d’appel, avait autorisé la diffusion de ces écoutes. « Les informations ainsi révélées, concluait la Cour d’appel, qui mettent en cause la principale actionnaire de l’un des premiers groupes industriels français, et dont l’activité et les libéralités font l’objet de très nombreux commentaires publics, relèvent de la légitime information du public ; il est a fortiori de même lorsque ces informations concernent l’employeur de la femme d’un ministre de la République, alors trésorier d’un parti politique ».
Mme Bettencourt et M . de Maistre (son gestionnaire de fortuen, s’étaient pourvus en cassation. Le 6 octobre la Cour vient de suivre la position de l’avocat général, Marc Domingo, en annulant les décisions favorables au Point et à Mediapart, qui devront verser la somme de 14 000 euros au titre des frais de justice.
Pour la Cour de Cassation « la captation, l’enregistrement ou la transmission sans le consentement de leurs auteurs des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel » constituent bien « une atteinte à l’intimité de la vie privée, que ne légitime pas l’information du public ». Elle a ainsi annulé les décisions et renvoyé ces dossiers devant la Cour d’appel de Versailles qui devra statuer à nouveau en tenant compte de ces décisions.
Me Georges Kiejman, avocat de Mme Bettencourt s’est félicité de « ces décisions de principe » et à l’opposé Me Jean-Pierre Mignard, avocat de Mediapart, estime au contraire qu’il s’agit de simples arrêts « d’espèce » et non pas de principe qui s’imposerait à la Cour d’appel de Versailles . Nous estimons que cette décision de la Cour de cassation porte un coup à la liberté d’expression, a indiqué Me Mignard pour Mediapart. Dans l’affaire Bettencourt, nous avons bien fait de dire que l’enregistrement par le majordome ne relevait plus de la vie privée, mais d’un devoir de vérité publique. Prétendre le contraire, c’est de faire du privé le lieu possible de toutes les exactions sans que jamais on puisse en être informé. Les juges de Paris ont d’ailleurs fait l’exacte distinction entre ce qui devait rester privé et ce qui relevait de la nécessaire information du public ». L’avocat de Mediapart entend bien demander aux juges de Versailles de résister.
Bien évidemment c’est à suivre en espérant que le feuilleton sera moins long que l’affaire elle-même. Mais ce sont bien de grands principes qui sont en jeu, ce n’est pas un simple cas d’espèce.
Texte de l’arrêt du 6 octobre de la chambre civile de la Cour de Cassation http://www.courdecassation.fr/jurisprudence_2/premiere_chambre_civile_568/898_6_21184.html