Le conflit couvait depuis longtemps, il entre dans sa phase aigue : l’issue est incertaine. La situation du Royaume-Uni de plus en plus inconfortable comme vis-à-vis de l’Euro. Situation décrite avec humour par l’éditorialiste de la RTBF, Anne Blanpain : ils revendiquent une place à la table d’un club dont ils refusent de faire partie, nous dit-elle. « Je déteste le tricot, mais j’exige d’être invitée à toutes les réunions du club de tricot de la RTBF! j’exige de pouvoir donner mon avis sur la qualité de la laine qu’ils utilisent et j’exige de participer aux votes sur les couleurs mises à l’honneur. Après tout on ne sait jamais, peut-être qu’un jour la RTBF nous imposera des uniformes tricotés par ce club, il est donc logique que j’aille donner mon avis, même si, je le répète, je n’ai pas l’intention de me mettre au tricot » et David Cameron de répéter à chaque sommet, mille fois, que jamais au grand jamais, il n’entraînera son pays dans cette galère. On sent ceux qui ne veulent pas de l’Euro inquiets de voir les 17 aller de l’avant, créer une union plus politique, ce qui serait une grave hérésie pour les britanniques : ils ne veulent pas s’impliquer davantage dans l’Union mais ils ne veulent pas que les autres choisissent cette voie. Cette stratégie est-elle tenable à long terme ? C’est peu vraisemblable et cela d’autant moins qu’elle s’applique à tout et pas seulement à l’euro, dernière en date de cette allergie, la législation sociale européenne. Dans une tribune publiée dans l’hebdo The Observer, Nick Clegg, le vice-premier ministre, décrit le dilemme : « être marginalisé ou se retirer volontairement, serait un suicide économique ».
Aux prises avec la fronde des eurosceptiques de son propre parti, qui ont réclamé en vain un référendum sur le maintien du Royaume-Uni dans l’UE, le premier ministre conservateur David Cameron après avoir refusé avec succès le référendum tente de leur donner le change sur l’un des sujets de leur vif mécontentement : la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Cette instance exaspère l’aile droite des tories, qui crie de plus en plus fort à l’ingérence, voire au viol de souveraineté.
Une décision de la CEDH donnant fait et cause, en 2005, au Britannique John Hirst, privé de son droit de vote parce que condamné (pour homicide), a mis le feu aux poudres. Les juges de Strasbourg ont estimé que le Royaume-Uni (et douze autres pays européens) contrevenait aux textes ratifiés en privant tout détenu de son droit de vote, qu’il ait été condamné pour des actes « relativement mineurs ou graves » et que sa peine soit d' »un jour de prison ou la réclusion à perpétuité ». La CEDH a demandé à Londres de n’appliquer cette déchéance civique qu’au cas par cas, comme le font l’Allemagne ou la France, et non plus automatiquement à toute personne condamnée. En son temps Nea say a rapporté l’affaire. Mais guère portés sur les nuances, les tabloïds londoniens ont immédiatement traduit que le plus horrible des violeurs aurait le même droit de vote que le plus honnête des concitoyens de Sa Majesté, sans compter les millions d’euros de dédommagement que le gouvernement serait obligé de verser aux quelque 80 000 prisonniers du royaume.
Le gouvernement britannique a ignoré la requête strasbourgeoise. La CEDH a enfoncé le clou, en jugeant une affaire similaire (Greens et M.T. contre Royaume-Uni) en novembre 2010. Mais cette fois, un délai de six mois a été fixé pour que Londres se conforme au « droit à des élections libres », garanti par la Convention européenne des droits de l’homme. C’est alors que les passions se sont débridées, certains tories réclamant le retrait pur et simple de cette Convention que le Royaume-Uni avait pourtant été le premier pays à ratifier, en 1951. La Chambre des Communes a adopté, le 10 février, une motion, par 234 voix contre 22, affirmant la « primauté » du pouvoir législatif britannique en matière de droit des détenus. Avec l’appui explicite du premier ministre : « Envisager de donner le droit de vote à quiconque est en prison me rend physiquement malade », a déclaré M. Cameron. Tandis que la Haute Cour de justice de Londres refusait tout dommage et intérêt aux prisonniers plaignants, une commission a étudié les conséquences, pour le Royaume-Uni, d’un retrait de la CEDH, et continue de travailler sur l’élaboration d’une « charte des droits » purement britannique.
Devant un tel tollé, la Cour européenne a reculé sa date-butoir jusqu’après l’examen, le 2 novembre, par sa Grande Chambre, d’une nouvelle affaire sur le droit de vote d’un détenu, nié par l’Italie cette fois (affaire Scoppola). Le procureur général britannique, Dominic Grieve, vient d’annoncer qu’il se rendra en personne à Strasbourg, pour convaincre la Cour d’accepter la primauté des lois d’un Etat lorsqu’il s’agit de délicates « questions de société ». L’espoir britannique d’amener la Grande Chambre à renverser ou infléchir sa position n’est pas totalement irréaliste, estiment certains juristes, mais après une telle bataille de plus de six ans, un recul de la CEDH fragiliserait gravement l’autorité de la CEDH. Cette autorité est vivement décriée dans un autre domaine, par la ministre de l’intérieur britannique, Theresa May. Elle reproche à la Cour européenne d’avoir empêché l’an passé l’extradition de 102 « criminels étrangers ou immigrants illégaux », qui ont tous invoqué avec succès à Strasbourg l’article 8 de la Convention sur le droit à une vie de famille. La ministre tory vient d’annoncer sa volonté de renforcer les lois britanniques sur l’immigration, de manière à ne plus permettre ce type de recours supranational.
Les conservateurs sont cependant tenus de composer avec les libéraux-démocrates, avec lesquels M. Cameron a formé un gouvernement de coalition, et qui sont, eux, opposés à tout retrait britannique de la Convention européenne des droits de l’homme. L’heure est donc plutôt à de vives pressions pour engager un processus de réforme de la CEDH, et « clarifier les relations entres les tribunaux nationaux, les parlements nationaux et la Cour de Strasbourg », selon les termes du ministre de la justice Ken Clarke. La conjoncture actuelle sera-t-elle favorable ? Le hasard fait que le 4 novembre, le juge britannique Nicolas Bratza, actuel vice-président de la CEDH, prendra ses fonctions de président de l’institution. Il succède au juge français Jean-Paul Costa, arrivé au terme de ses deux mandats de trois ans. En outre, le 7 novembre et pour six mois, lui revient la présidence du Conseil de l’Europe, regroupant 47 pays et chargé, entre autres, de contrôler l’application des arrêts de la CEDH. Londres pourrait trouver écho auprès de gouvernements (et non des moindres) mécontents des décisions de la Cour. Tous ne peuvent faire ce que fait la Russie: ne pas en tenir compte. La France a dû renoncer à ses pratiques de la garde à vue, la Suisse renoncer à des extraditions. Beaucoup considèrent que le juge européen va trop loin, mais les mêmes admettent avec réticence que le CEDH a pu en telle ou telle occasion infléchir le droit national de façon positive.
Au bout du compte, n’est-ce pas parce que la Cour dérange du simple fait qu’elle instaure un nouveau modèle de démocratie directe où un individu, seul et déterminé, a désormais les moyens d’une résistance juridique contre le pouvoir qui porte atteinte à ses libertés essentielles. Ce n’est peut-être pas satisfaisant de constater que c’est le juge qui est amené à apporter des réponses que la loi n’offre pas. Mais le législateur ne peut que s’en prendre à lui-même en ne mettant pas la loi en accord avec les dispositions de la CEDH et de sa jurisprudence. Quelle a été l’action du législateur quand il s’est agi de prendre position sur le statut du fœtus ou de l’embryon, sur la légalité des mères porteuses, sur les droits des homosexuels au mariage, à l’homoparentalité, sur l’euthanasie etc. Certes souvent il arrive que ce sont des groupes de pression, minoritaires au niveau national, qui instrumentalisent les procédures devant la Cour européenne afin d’imposer des choix de société qui relèvent des seules représentations nationales. Mais il n’est pas assuré de gagner à tous les coups : les crucifix enlevés des écoles italiennes par une décision de la CEDH ont été réintégrés par une autre décision de la CEDH après un tollé général rassemblant religieux, laïcs, athées et agnostiques. Autre exemple , rien n’indique que les porteuses de burqa qui en France cherchent à se faire condamner en justice et non pas à une simple amende pour avoir la possibilité de saisir la CEDH, gagneraient . Les crucifix ont regagné les écoles italiennes au nom du respect des traditions et habitudes en usage en Italie. L’évocation de cette jurisprudence pourrait à l’avenir suffire pour autoriser le port de la burqa en France. Concernant la charia La CEDH n’a-t-elle pas condamné la charia ? cf. l’arrêt du 31 juillet 2001 confirmé par la grande Chambre le 13 février 2003 http://cmiskp.echr.coe.int/tkp197/view.asp?action=html&documentId=702044&portal=hbkm&source=externalbydocnumber&table=1132746FF1FE2A468ACCBCD1763D4D8149
Nul doute que dans les prochains mois la Cour de Strasbourg sera confrontée à des moments cruciaux pour son avenir.