Invoquant simplement l’intérêt des enfants, une juge de Bayonne a reconnu à deux femmes pacsées l’autorité parentale conjointe sur les jumelles de l’une d’elles. C’est la première fois en France qu’une décision de justice reconnaît l’homoparentalité sans condition particulière. À Bayonne, Cécile et Marie-Catherine, pacsées depuis 2009, réclamaient le partage de l’autorité parentale sur les jumelles mises au monde par Cécile et élevées par le couple. Invoquant l’intérêt des fillettes, la juge aux Affaires familiales a accédé à leur demande.
Dans son jugement, la magistrate remarque «les attestations multiples» faisant état «d’un couple uni, bien intégré dans leur milieu familial et social, et dont les qualités éducatives et affectives à l’égard des deux enfants sont reconnues». La magistrate estime donc «qu’il est de l’intérêt des deux mineures que les deux adultes présents au foyer partagent cette autorité parentale, et que celle-ci étant exercée déjà de fait conjointement, cette situation soit juridiquement consacrée». Ce jugement, prononcé le 26 octobre, ne sera définitif que si le parquet, qui à l’audience ne s’était pas opposé à la demande du couple, ne fait pas appel dans un délai d’un mois. Le cas échéant, il pourrait marquer un important revirement de jurisprudence.
Actuellement, l’article 377 du Code civil prévoit en effet la possibilité d’une délégation d’autorité parentale à un tiers, mais à la condition que «les circonstances l’exigent». Ainsila Courde cassation a rejeté en juillet 2010 une demande similaire d’un couple de femmes pacsées, estimant qu’aucune «circonstance particulière» n’appuyait leur demande. Les déplacements professionnels de la mère de l’enfant qu’elles avaient mis en avant avaient été jugés trop «exceptionnels». En revanche, un autre couple de femmes, qui s’étaient séparées sans heurt et s’étaient mises d’accord sur une résidence alternée pour la fillette de l’une d’elles, avait obtenu gain de cause devantla Courd’appel de Rennes en octobre 2009 : dans leur cas, la séparation apparaissait justement comme la «circonstance particulière» requise. Ces deux dernières années, d’autres décisions favorables ont été rendues au motif de déplacements fréquents ou de problèmes de santé de la mère biologique.
«Les juges rattrapent le retard des législateurs»
Ce qui fait la nouveauté du jugement de Bayonne est donc qu’il n’est assorti d’aucune mention explicite de «circonstance» particulière. Ou plutôt, analyse Me Capdevielle, l’avocate du couple, «la juge a considéré que les circonstances exigées par la loi étaient réunies sous forme de l’union et de la stabilité de ce couple, de l’affection portée aux enfants et des réalités de la vie quotidienne». «L’homoparentalité est enfin juridiquement reconnue», conclut l’avocate.
Une analyse partagée par Alexandre Urwicz, coprésident de l’Association des familles homoparentales (ADFH) http://www.adfh.net/
: «Cette fois, la juge a apprécié l’intérêt des enfants au regard de leur situation quotidienne, en prenant en compte le cadre effectif dans lequel l’amour, l’éducation et le partage leur sont donnés : c’est une décision humaine». Pour se réjouir officiellement, l’ADFH attend d’être sûre que le parquet ne fera pas appel de cette décision. Quoi qu’il en soit, la décision de Bayonne souligne, selon Alexandre Urwicz, le retard juridique français : «Les familles homoparentales n’existent pas dans la loi mais les juges sont rattrapés par la réalité et ils sont obligés de les fabriquer eux-mêmes au cas par cas. Il faudrait désormais que les législateurs rattrapent leur retard : tous les sondages montrent que la société y est prête». Et de rappeler que c’était une promesse du candidat Nicolas Sarkozy en 2007 : «Il lui reste six mois pour tenir parole».
Rappelons que le Conseil de l’Europe a consacré des travaux importants à l’évolution de l’exercice de la parentalité en général. http://www.coe.int/t/dg3/familypolicy/source/2006minconCompendium_fr.doc
Cf. les articles de Nea say, notamment « Un nouveau pas vers la reconnaissance parentale de couples homosexuels. Un pas supplémentaire vers l’égalité des droits. Mais qui fait le droit, le législateur ou la jurisprudence ? » http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=2022&nea=41&lang=fra&lst=0 « Un véritable casse-tête pour la Cour européenne des droits de l’homme(CEDH) : le cas de la fille d’un couple de lesbienne » http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=2064&nea=207&lang=fra&lst=0