Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), le Conseil constitutionnel a précisé vendredi 18 novembre les prérogatives des avocats durant la garde à vue. La loi avait été contestée par cinq questions prioritaires de constitutionnalité transmises par le Conseil d’Etat et la Cour de cassation. Le Conseil constitutionnel avait estimé, le 30 juillet 2010, (CF. Nea say) que la garde à vue n’était pas conforme à la défense des libertés et avait donné un an au gouvernement pour revoir la loi finalement adoptée le 14 avril dernier. Il vient donc de la juger globalement conforma à la Constitution et n’a émis qu’une réserve sur l’audition libre, une procédure qui permet à la police d’entendre librement et sans avocat un « témoin » pendant quatre heures
Un bref retour en arrière et un bilan
Dorénavant obligés de travailler en présence des avocats, les policiers disent obtenir plus difficilement des aveux. Face aux avocats, on ne peut plus se permettre d’exercer la même pression psychologique. » Et si le suspect ne veut pas répondre, c’est consigné sur le PV, et puis c’est tout et on peu rien faire de plus. Tous déplorent que c’en est désormais fini de la mise en condition psychologique
Avant, il y avait une manière de dialoguer avec le gardé à vue, de le faire parler de sa famille. On lui faisait comprendre que s’’il collaborait, il prendrait moins cher et qu’il retrouverait plus vite les siens. Maintenant que l’avocat est là, on ne peut plus du tout s’engager sur ce terrain-là. » À entendre les policiers, c’en est désormais fini de la « mise en condition psychologique ». Et tous le déplorent.
Il deviendrait beaucoup plus difficile d’obtenir des aveux. Autant le dire, les officiers de police judiciaire vivent plutôt mal l’arrivée des avocats lors de la garde à vue. Les policiers reconnaissent que depuis l’entrée en vigueur de la réforme, il y a six mois, le travail des policiers s’est sensiblement compliqué : il est beaucoup plus difficile d’obtenir des aveux en présence de l’avocat de ce fait ils se sentent oblige à trouver davantage d’éléments pour corroborer les soupçons en amont de la garde à vue. La culture de la preuve se substitue progressivement à celle de l’aveu qui restait la pierre angulaire du métier de policier même si la pratique a beaucoup évolué au cours des dernières années et cette pratique n’est pas une nouveauté : l‘arrivée des avocats dans les commissariats a simplement accéléré le processus.
Le taux d’élucidation des affaires n’a pas chuté sensiblement alors que c’était là le point de vue fortement mis en avant par les policiers pour s’opposer à la réforme. En effet et à la surprise générale, la réforme n’a pas fait sensiblement chuter le taux d’élucidation des affaires ( 1,5 % entre août 2010 et août 2011). Cela s’explique par le fait que la présence des avocats complique réellement la tâche des policiers que dans un nombre très limité d’affaires, notamment celles liées au terrorisme, au grand banditisme et au trafic international . Dans ce type de dossier font remarquer les policiers les avocats conseilleraient quasi systématiquement à leurs clients de garder le silence jusqu’à leur comparution devant le juge lequel a l’obligation de dévoiler au suspect les éléments retenus contre lui. Mais ils font remarquer que toutes ces considérations ne valent que pour le passé récent : les avocats ayant désormais la permission d’accéder au dossier de leur client dès le stade de la garde à vue, les interrogatoires des policiers vont s’en trouver fortement modifiés. Les policiers redoutent que cela remettrait totalement en cause nos stratégies en matière d’audition, expliquent-ils : aujourd’hui, quand on dispose d’un témoignage à charge contre un suspect, on ne le lui dit pas forcément. On le laisse nous livrer sa version des faits, nous donner de pseudo-alibis et, en fin d’audition, on lui met sous le nez le témoignage qui invalide ses dires. C’est parfois un tel choc psychologique que certains suspects en perdent complètement leurs moyens et finissent par tout avouer. En revanche, l’avocat ayant le droit d’accéder au dossier de son client, alors il dispose du même témoignage que les policiers et il aiderait nécessairement le suspect à adapter ses déclarations en fonction. Il n’y aura plus d’effet de surprise. La décision des sages devrait à nouveau opposer deux professions qui ne s’apprécient guère ? Ce n’est pas certain : des policiers admettent que les relations avec les avocats s’avèrent plus détendues que prévu durant les gardes à vue.
Le Conseil constitutionnel donne son feu vert mais émet une réserve sur « l’audition libre »
Le Conseil constitutionnel a posé des conditions à la disposition prévoyant une « audition libre ». Ils précisent que les enquêteurs pourront, comme le prévoit la loi, continuer d’entendre en dehors du régime de garde à vue et sans avocat une personne soupçonnée d’avoir commis une infraction, dès lors que celle-ci y consent. Mais ils devront l’informer de son droit de quitter les locaux de police à tout moment, et de la nature et de la date de l’infraction dont elle est soupçonnée.
Le Conseil constitutionnel a validé toutes les autres dispositions du régime de garde à vue qui étaient contestées par les avocats. Estimant que les droits de la défense restaient insuffisants en dépit de la réforme instaurée au printemps 2011, les avocats avaient demandé aux sages de contraindre le gouvernement à revoir une nouvelle fois sa copie. Ils réclamaient d’avoir accès aux dossiers de leurs clients, de pouvoir poser librement des questions et d’être présents lors de tous les actes de procédure (perquisitions, saisies, etc.).
Le Conseil constitutionnel a rejeté leurs griefs, jugeant que « la garde à vue demeure une mesure de police judiciaire qui n’a pas pour objet de permettre un débat contradictoire sur sa légalité ou le bien-fondé des éléments de preuve ». « Un tel débat aura sa place devant la juridiction d’instruction ou de jugement », a-t-il fait valoir.
Communiqué de presse http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/francais/les-decisions/acces-par-date/decisions-depuis-1959/2011/2011-191/194/195/196/197-qpc/communique-de-presse.103782.html
Dossier documentaire http://www.conseil-constitutionnel.fr/conseil-constitutionnel/root/bank/download/2011191_194_195_196_197QPCdoc.pdf