France : le droit d’asile va-t-il être réformé ? Oui dit le ministre de l’intérieur, mais est-ce durable ?

Le ministre de l’intérieur, Claude Guéant, a rendu publiques vendredi 25 novembre « de nouvelles orientations concernant la gestion de la politique d’asile ». Le ministre estime que le système actuel est détourné par des migrants économiques, un détournement qui va croissant. C‘est notre système d’asile qui serait en danger.  Première réaction significative l’Association française des juges de l’asile organise lundi une manifestation publique à Paris pour réfléchir au rôle et à la place de ce droit dans les flux migratoires. Sur le fond il faut bien admettre que bien des mesures annoncées existent déjà et suscitent bien évidemment une forte désapprobation des organisations de défense du droit des étrangers. Beaucoup des mesures annoncées ne verront pas le jour et si elles voient le jour, n’entreront jamais en vigueur, faute de mesures d’application comme les fameux contrôles ADN pour le regroupement familial que le ministre en charge du dossier, Eric Besson, a prononcé l’acte de décès de façon très explicite et clair. C’est l’incroyable mille-feuilles où s’empilent  les lois, les directives, les instructions, les jurisprudences nationales et européennes, les arrêtés des maires et des préfets…, il  s’enrichira ainsi d’une nouvelle couche. Bien plus, le ministre semble totalement ignorer le paquet asile européen dont le Conseil des ministres vient de rappeler (à l’occasion de l’adoption de la directive dite « qualifications » que les chefs d’Etat et de gouvernement au sommet de juin l’engagement de boucler le dossier pour fin2012). Pourquoi ne se réfère-t-il pas au « pacte européen pour l’asile et l’immigration » adopté sous présidence française et dont (dans un autre contexte) la France voudrait s’attribuer, seule, la paternité.

La hausse des demandes d’asile, même si un certain nombre sont infondées ne justifie pas un tel renforcement des pratiques bureaucratiques dissuasives. Là comme ailleurs il n’y a pas de salut hors d’un renforcement de l’intégration européenne.

À quels problèmes est confronté l’asile aujourd’hui  ? Quelle perception en a le ministre ?

Le nombre de candidats à l’asile est passé de 42 599 en 2008 à 53 000 en 2010 et pourrait atteindre 60 000 en 2011, selon le ministère de l’intérieur. Conséquence, les délais de traitement des dossiers s’allongent. Ils sont passés de seize mois et quinze jours en 2008 à dix-neuf mois et douze jours en 2010. Et les centres d’accueil de demandeurs d’asile (Cada) saturent, malgré le passage de 4 756 places d’hébergement dédiées en 2000 à 21 410 en 2011. Cette hausse se traduit par des coûts financiers accrus. Le ministère en charge de l’immigration s’inquiète d’un budget affecté à l’asile de 523 millions d’euros en 2011, alors que ce dernier s’élevait à 367 millions en 2009. À eux seuls, les retards de traitement des dossiers ont engendré 15 millions d’euros de dépenses supplémentaires.

Pour Claude Guéant, le droit d’asile ne sert plus uniquement à accorder une protection à un étranger persécuté dans son pays d’origine, mais est détourné par des migrants économiques. « Le système est utilisé à d’autres fins, c’est-à-dire pour pénétrer et se maintenir dans notre pays »,  estime le ministre, qui juge que cette situation nuit « à ceux qui ont effectivement des arguments à faire valoir ». 

 

À l’appui, le patron de la Place Beauvau souligne un accroissement des « demandes infondées » . Le taux de reconnaissance d’une protection était de 36 % en 2008. Il atteint à peine 25 % aujourd’hui. Chaque soir le journal télévisé avec sa cohorte  innombrable de malheurs et de misères extrêmes démontre la limite d’une pareille thèse.

Face à ce constat, l’État suggère à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra), organe indépendant, de compléter la liste des « pays d’origine sûrs »  en y ajoutant l’Arménie, le Bangladesh, la Moldavie et le Monténégro. L’incohérence d’une telle liste saute aux yeux. Peu convaincant. Cette liste répertorie les pays qui, selon la France, respectent les principes de la liberté, de la démocratie et de l’état de droit, ainsi que les droits de l’homme. Elle permet une procédure dite « procédure prioritaire »  dans laquelle une expulsion peut avoir lieu sans attendre la décision de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA).

Quelles mesures va prendre le gouvernement ? La France va poursuivre jusqu’en 2013 son effort de renforcement des moyens humains donnés à l’Ofpra et à la CNDA. Cette année, 40 agents de l’Ofpra ont été recrutés et de nouveaux rapporteurs ont été désignés à la CNDA. Objectif, ramener le délai de traitement des dossiers à douze mois. Par ailleurs, le ministre souhaite instaurer un « pilotage régional »  des centres d’accueil de demandeurs d’asile, aujourd’hui dirigés au niveau départemental, le but étant de pouvoir réorienter lorsque c’est possible les demandeurs vers des centres moins sollicités. C’est le bon sens qui parle pourquoi le claironner à ce point ?

En revanche, le ministre ne tient pas à accroître l’offre d’hébergement, ni à permettre aux demandeurs de travailler, « pour ne pas augmenter davantage l’attractivité »  de ‘asile en France. En outre, l’aide au retour volontaire sera plus systématiquement proposé aux candidats déboutés, qui pour beaucoup restent irrégulièrement en France après avoir été refusés. Avec les Roms le ministre est bien payé pour savoir que les résultats sont, à ce jour,  aléatoires. Enfin, Claude Guéant souhaite déposer dans les semaines à venir un projet de loi visant à introduire dans le droit français la notion de « délai raisonnable »  pour le dépôt d’une demande d’asile. Le ministre défend un « seuil de quatre-vingt-dix jours »  après l’entrée sur le territoire au-delà duquel il ne serait plus possible de requérir la protection de la France.

Ce texte pourra toutefois difficilement être voté avant l’échéance électorale présidentielle et parlementaire du printemps prochain. Pourquoi  se cacher qu’il s’agit d’un simple effet d’annonce dont on espère tirer un profit auprès de certaines parties du corps électoral ? Cela semble d’autant plus vrai que dans le même temps le ministre de l’intérieur veut limiter l’immigration régulière  et que pour un peu serait relancé le slogan de « l’immigration zéro » auquel tout le monde (sauf l’extrême droite) avait renoncé aussi spontanément que discrètement tant l’objectif semblait irréaliste. Le  ministre se défend de vouloir revenir en arrière en remettant au goût du jour un objectif  si  peu en phase avec les perspectives démographiques européennes. La France accueille chaque année 200 000 étrangers en situation régulière et c’est « trop », a estimé dimanche 27 novembre le ministre de l’intérieur, en rappelant son objectif de diminuer de 10 % cette immigration en un an. « Nous acceptons sur notre sol chaque année 200 000 étrangers en situation régulière. C’est l’équivalent d’une ville comme Rennes, c’est deux fois Perpignan », a dit Claude Guéant lors du « Grand Rendez-vous Europe 1/iTélé/Le Parisien ».

La CIMADE nous livre une analyse détaillée des mesures annoncées ainsi que la réfutation parfois aigüe des assertions du ministre. http://www.cimade.org/nouvelles/3589-R-forme-Gu-ant-de-l-asile—de-nouvelles-restrictions

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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