Droits fondamentaux et dignité humaine. Distribution d’aliments au plus démunis : une histoire exemplaire, mais pour combien de temps encore. Le compromis de la présidence polonaise reste inquiétant à plus d’un titre !

Un programme établi de longue date pour venir en aide aux personnes dans le besoin grâce à la distribution de denrées alimentaires est menacé, alors qu’on est justement en période de crise. Une attitude suicidaire de la part de certains responsables européens vis-à-vis de leurs opinions publiques. Après un intenses lobby des organisations  humanitaires, notamment de celles plus directement tournées vers la grande pauvreté, des politiques aussi : parlementaires européens, Commission européenne par l’intermédiaire de son commissaire à l’Agriculture, Ciolos qui s’est battu avec une énergie inépuisable et aussi par la voix de son président, José Manuel Barroso , qui en toutes circonstances (et celles qui lui sont offertes sont inépuisables) a donné de la voix. Notre honneur était engagé, s’en est-on rendu compte ?

En 1987 a été établi un programme  de fournir des denrées alimentaires aux personnes extrêmement démunies résidant dans les Etats membres. Ce programme était destiné à utiliser de façon socialement responsable les « stocks d’intervention « , à savoir le système de stockage élaboré dans le cadre de la Politique Agricole Commune (CAP) pour utiliser les excédents (en ces temps là énormes) de production agricole à un prix garanti. L’un des principaux objectifs de la PAC étant de veiller à ce que les vivres parviennent aux consommateurs à des prix raisonnables, la PAC a mis au point un système fort efficace, via des agences nationales, pour offrir aux marchés certains produits clé à des prix garantis. Le prix garanti encourageait fortement les agriculteurs à produire d’importantes quantités de nourriture en vue d’assurer l’approvisionnement de la population européenne tout en leur garantissant des revenus stables et en évitant les énormes fluctuations des marchés de denrées alimentaires.

D’autre part, les stocks de denrées alimentaires offraient aux gouvernements un outil d’intervention en période de pénurie, en faisant baisser les prix puisqu’ils pouvaient apporter davantage de produits sur le marché. En fait, le succès de ces opérations leur a été quasiment fatal, car le système de prix garanti a tellement favorisé la production que les excédents sont devenus la norme. Au lieu que le prix soit un indicateur efficace de la nécessité d’adapter la production, il est devenu un incitatif à augmenter continuellement la production. A cette époque, l’image des « montagnes de beurre » est devenue la métaphore incontournable pour stigmatiser les défauts de ce système de stockage, la tare emblématique de l’Europe, le repoussoir idéal d’une opinion choquée.

Est alors venue l’idée d’utiliser ces stocks de denrées alimentaires pour aider les personnes démunies . Le programme, né en 1987, a duré avec succès pendant plus de vingt ans : plus de 13 millions de personnes en ont bénéficié en 2006. La nécessité d’une distribution de denrées alimentaires a augmenté en particulier après les élargissements successifs de l’Union européenne. Cette distribution a été effectuée par des ONG et des organisations privées, notamment la Croix Rouge et les Banques Alimentaires. Les principaux bénéficiaires ont été des centres de soin aux personnes âgées, des sans-abri et des hôpitaux. A un certain moment, pour fournir une alimentation plus complète – l’éventail de produits alimentaires stockés étant très limité à l’origine – les responsables du programme ont commencé à acheter de nouveaux produits.

En 2008, la crise soudaine qui a fait flamber les prix des denrées alimentaires dans le monde entier et qui a également touché les groupes de personnes les plus démunies dans les pays européens, a fait apparaître ce programme comme une source inestimable d’aide concrète rapide aux familles engluées dans la  crise économique, qu’est venue aggraver la hausse du prix des denrées alimentaires. La Commission européenne a présenté une proposition législative en 2008,  mais une minorité de blocage a stoppé la proposition à l’échelon du Conseil ; la Commission a de nouveau soumis une proposition modifiée en 2010 au Conseil et au Parlement européen en vue d’aligner le programme sur le Traité de Lisbonne, en introduisant deux changements substantiels : un taux de co-financement plus élevé de l’UE et un plafond de 500 millions d’euros pour la contribution financière de l’Union européenne. Là encore, une minorité a bloqué cette initiative.

En décembre 2008, l’Allemagne a intenté une action en justice contre la Commission européenne devant le Tribunal de Première Instance pour faire partiellement annuler les dispositions du Règlement de la Commission relatif au programme de 2009. Le Tribunal a annulé les dispositions se rapportant à l’achat de denrées alimentaires sur le marché, ce qui a rendu l’ensemble du programme impossible à réaliser. Le principal argument de l’Allemagne, soutenue par la Suède (puis au final quatre autres pays les ont rejoints, était que le programme avait dépassé l’objectif d’origine. Un dispositif qui avait été conçu au départ pour  écouler avec humanité les stocks alimentaires en excédent était devenu un système d’aide sociale à part entière. Les critiques proposaient en fait de renvoyer ce système d’aide sociale aux services sociaux nationaux.

Tant la Commission que la Présidence du Conseil ont encouragé vivement ce programme. Mais il a de nouveau été bloqué en septembre 2011. Finalement, un accord a pu être conclu entre le Conseil et la Commission, en ajoutant une base juridique sur la cohésion sociale en accompagnement de la base juridique agricole existante. En période de crise économique grave, il n’a pas paru sage de renvoyer ce fardeau à des pays dont les services sociaux sont en situation de faiblesse. Comme les Etats membres vulnérables effectuent de fortes réductions en matière de dépenses publiques, la vie va inévitablement devenir encore plus difficile pour les familles pauvres. Bien que le blocage du programme soit logique du point de vue administratif et juridique, une volonté politique s’est dégagée pour que le budget de l’Union européenne continue de soutenir ces programmes.

C’est un répit et guère plus.

La présidence polonaise vient de présenter une proposition de compromis sous une forme juridique de l’accord franco-allemand du 14 novembre sur la poursuite en 2012 et 2013 du programme de distribution alimentaire aux plus démunis. Le compromis reprend un certain nombre d’éléments qui a permis d’assurer la prolongation du programme :

      -. suppression de la référence à l’article 175/3 sur la cohésion sociale et référence seulement aux articles 42 et 43/2 du traité concernant la politique agricole commune ;

      -. un programme applicable seulement en 2012 et 2013 ;

      -.une déclaration de la Commission sur la fin de ce programme après 2013 ; ce point soulèves des problèmes. Ainsi la Commission qui a prévu dans le prochain cadre financier pluriannuel (2014-2020) une enveloppe de 2,8 milliards dans le budget des la cohésion sociale au titre de cette aide aux plus démunis, estime qu’une telle déclaration remettrait en cause son droit d’initiative.

La confusion est assez forte et suite à ces retards et à un avenir incertain qui obligent négociateurs et gestionnaire à multiplier les acrobaties : mis en œuvre rétroactive, mais s’appliquent malgré tout à partir du 1er janvier 2012, non prise en compte des dispositions en matière d’alignement des textes de la Pac sur le Traité de Lisbonne. Pour couronner le tout, aucun rapport sur la mise en œuvre du programme ne serait demandé à la Commission compte tenu de la durée limitée du programme : deux ans.

Après l’arrêt du Tribunal de l’UE en avril dernier qui a jugé illégales les dispositions, le budget a été fortement réduit, contraignant la Commission a adopté en juin un plan 2012 en le limitant aux stocks d’intervention disponibles, soit un budget de 113,5  millions (contre 500 prévus à l’origine. Le 3 octobre la Commission a dû adopter par procédure d’urgence une nouvelle proposition amendée par ajout d’une deuxième base légale (article 175/3 cohésion sociale) et financement exclusivement à partir du budget de l’Union. Le compromis du 14 novembre assure la prolongation du programme pendant deux ans mais moyennant une déclaration garantissant qu’en 2014 le programme ne soit plus finonce par l’Union européenne. Ce que la Commission refuse de faire.

Le règlement de base du 10 décembre 1987 (FR) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:31987R3730:FR:HTML (EN) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:31987R3730:EN:HTML

Proposition législative de la Commission de 2008  (FR) http://register.consilium.europa.eu/pdf/fr/08/st13/st13195.fr08.pdf (EN) http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/08/st13/st13195.en08.pdf

Proposition modifiée de 20010  (FR)http://register.consilium.europa.eu/pdf/fr/10/st13/st13435.fr10.pdf (EN) http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/10/st13/st13435.en10.pdf

Annulation par le Tribunal de première instance du règlement (avril 2011)(FR)  http://eur-5EN) lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=CELEX:62008TJ0576:FR:HTML (EN) http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/10/st13/st13435.en10.pdf

Nouveau blocage au Conseil 20 septembre 2011 http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=PRES/11/314&format=HTML&aged=0&language=FR&guiLanguage=en

(EN) http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=PRES/11/314&format=HTML&aged=0&language=EN&guiLanguage=en

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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