La justice européenne s’oppose à l’emprisonnement des immigrés clandestins. Elle a toutefois reconnu qu’un Etat peut placer un clandestin dans un centre de rétention en attendant son expulsion. La législation française qui permet l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier pendant la procédure de retour n’est pas conforme à la directive dite « retour » (directive 2808/115/CE). C’est la réponse donnée par la Cour européenne le 6 décembre dernier (Aff. C-329/11) à la Cour d’appel de Paris qui l’interrogeait sur la conformité avec la législation française qui punit notamment d’une peine d’emprisonnement d’un an et d’une amende de 3750 euros les ressortissants d’Etats tiers en séjour irrégulier de plus de trois mois en France non munis de titres de séjour valables.
La Cour était appelée à se prononcer dans un différend opposant le gouvernement français à un citoyen arménien, Alexandre Achughbabian, entré clandestinement en France en 2008. Refusant de se soumettre à un ordre d’expulsion, il avait été placé en garde à vue puis en rétention pour séjour irrégulier sur le territoire français.
Tout n’est pas clair : le droit européen « ne s’oppose pas à une réglementation nationale qui qualifie le séjour irrégulier d’un ressortissant d’un pays tiers de délit et prévoit des sanctions pénales, y compris une peine d’emprisonnement », a précisé la Cour. Elle ne s’oppose pas non plus à un placement en détention en vue de déterminer le caractère régulier ou non du séjour d’un migrant. Mais, a souligné la Cour, les autorités nationales sont tenues d’agir « avec diligence et de prendre position dans les plus brefs délais ». Une fois l’irrégularité du séjour constatée, ces autorités doivent, en principe, adopter une « décision de retour ». Cette ultime procédure ouvre une période de retour volontaire, suivie, si nécessaire de mesures d’éloignement forcé. Or, a contesté la Cour, la législation française est susceptible de conduire à un emprisonnement pendant la procédure de retour, ce qui va à l’encontre du droit européen.
La législation européenne sur les conditions d’éloignement des étrangers, dite « directive retour » entrée en vigueur en janvier 2009, prévoit que lorsqu’il est décidé de renvoyer un sans-papiers, ce dernier a entre 7 à 30 jours pour partir de lui-même. S’il ne s’y conforme pas, les gouvernements peuvent utiliser « en dernier ressort » des mesures coercitives « proportionnées », c’est à dire un placement en rétention, « aussi bref que possible », dit la loi européenne. Ce n’est qu’en cas de refus d’embarquer qu’il est possible d’envisager des mesures pénales.
A Paris, dans un communiqué commun, Claude Guéant, ministre de l’intérieur et Michel Mercier, garde des sceaux, ont « pris connaissance avec satisfaction de l’arrêt » car il « ne fait nullement obstacle à ce que les étrangers en situation irrégulière puissent être placés en garde à vue le temps nécessaire pour procéder aux vérifications propres à établir si l’intéressé doit faire l’objet d’une procédure d’éloignement du territoire ou de procédures judiciaires ». Ce communiqué faisant référence à la possibilité de garde à vue est-il une phrase de trop risquant de rouvrir un nouveau contentieux. Ce sera bien évidemment à la Cour de le dire, mais c’est à tout le moins un commentaire imprudent .
Cela n’a pas tardé et sont tombées deux décisions contradictoire qui donnent du grain à moudre 0 la Cour européenne de justice mais aussi au Cours souveraines françaises. Le Tribunal de grande instance de Paris a rendu deux décisions contradictoires, concernant la garde à vue d’étrangers pour le seul motif du séjour irrégulier, l’une annulant la mesure et l’autre la validant. Il s’agit des premières ordonnances rendues en France après l’ arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) . « Le maintien d’un étranger à la disposition des enquêteurs pour une infraction ne pouvant être sanctionnée d’une peine d’emprisonnement ne repose sur aucun fondement légal », a estimé mercredi le service des étrangers de la cour d’appel de Paris dans le cas d’un ressortissant chinois. Le placement en garde à vue ayant été ainsi jugé « irrégulier », le juge de la liberté et de la détention a ordonné la remise en liberté de cette personne placée en rétention après avoir été interpellée le 30 novembre lors d’un contrôle dans un restaurant à Nanterre.
Dans un autre cas, concernant un Tunisien placé en rétention le 1er décembre, la cour d’appel, composée différemment, a jugé « régulier » le placement en garde vue et déclaré « irrecevable » la requête de nullité formulée par la défense. « Il convient que l’administration dispose du délai utile à sa démarche auprès des autorités consulaires compétentes afin de mettre en oeuvre une mesure d’éloignement », selon l’ordonnance qui fait une autre lecture de l’arrêt de la CJUE. Cette ordonnance estime que la CJUE « ne s’oppose pas à un placement en garde à vue afin de déterminer le caractère irrégulier ou non du séjour d’un ressortissant d’un pays tiers sous la réserve d’une action diligente et d’une décision dans les plus brefs délais ». En France, le nouveau texte sur la garde à vue, entré en vigueur le 1er juin, prévoit cette mesure seulement lorsque la personne est soupçonnée d’avoir « commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement ».
Si le Code d’entrée et de séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) punit d’emprisonnement le « séjour irrégulier », le droit européen « s’oppose à une législation nationale qui impose une peine d’emprisonnement à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier au cours de la procédure de retour », a jugé la Cour de Luxembourg dans son arrêt qu’il vient de rendre.
Un nouveau combat judiciaire s’ouvre jusqu’à ce que la Cour de cassation, le Conseil Constitutionnel et de nouveau la CJUE (dans une nouvelle affaire italienne) tranchent ce noeud gordien », ont fait remarquer plusieurs juristes. Le Conseil Constitutionnel va devoir se prononcer sur la pénalisation du séjour irrégulier. La Cour de cassation a en effet transmis le mois dernier aux « Sages » une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), cette disposition qui permet à tout justiciable de contester la constitutionnalité d’une disposition législative.
-. Texte de l’arrêt (FR) http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?text=&docid=115941&pageIndex=0&doclang=fr&mode=doc&dir=&occ=first&part=1&cid=257543
-. Communiqué de presse (FR) http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2011-12/cp110133fr.pdf
(EN) http://curia.europa.eu/jcms/upload/docs/application/pdf/2011-12/cp110133en.pdf