Cette année, les débats ont porté sur les thématiques suivantes :
• « Schengen et l’immigration »
• « Des institutions et des hommes »
• « Le dilemme rigueur financière – stagnation économique »
La déclaration : A l’issue du CEO, une déclaration a été adoptée par l’ensemble des participants. Intitulée « La rigueur, mais aussi la croissance » : cette déclaration appelle les dirigeants européens à mobiliser les outils dont l’UE dispose pour promouvoir la croissance au cours des prochains trimestres.
La déclaration du Comité européen d’orientation a été publiée au cours de la semaine suivante dans Publico (Portugal), Handelsblatt (Allemagne),Le Figaro (France), Le Temps (Suisse), The Independant (Royaume-Uni), La Repubblica (Italie), NEurope (Grèce) et Phileftheros (Chypre).
A juste titre cette déclaration a connu une audience d’une importance toute particulière, mais elle a éclipsé l’autre volet portant sur « Schengen et l’immigration ». Ce n’est pas équitable et pire dommageable car en peu de mots, l’essentiel est dit et les axes de l’action pour les prochaines années sont présentés avec clarté, conviction et originalité. Une intelligence convaincante loin des sentiers battus de la tentation habituelle de l’angélisme tout autant que du tout répressif qui conduit directement dans une impasse. C’est pourquoi Eulogos a décidé de reproduire in extenso les éléments de synthèse publiés par Notre Europe.
I. « Schengen et l’immigration »
1.1. L’immigration, un défi politique aux niveaux national et européen
1.2. L’immigration, un triple défi pour les élites
1.3. Recadrer le débat sur l’immigration en mettant en évidence ses effets positifs
1.4. Améliorer l’acquis Schengen pour le sauvegarder
1.5. L’immigration issue du monde arabo-musulman, un enjeu spécifique une présentation introductive d’António Vitorino. Cette présentation a été suivie par une intervention de Stefano Manservisi, (Directeur général à la Commission) puis par des remarques et questions émanant des autres participants. L’ensemble de la session a permis de dégager les principaux éléments d’analyse et d’orientation suivants.
1.1. L’immigration, un défi politique aux niveaux national et européen
1.1.1. Les opinions publiques apparaissent moins favorables à l’immigration
• l’arrivée de 30 000 Tunisiens sur les côtés italiennes a déclenché une controverse que n’avait pas suscité l’arrivée de 500 000 réfugiés issus des Balkans dans les années 90 ;
• nombre d’opinions publiques nationales estiment qu’il y a trop d’immigrés dans les pays européens tout en évaluant leur nombre au double de ce qu’il est en réalité (comme le confirme une enquête récente du « German Marshall Fund ») ;
• ces opinions ne sont plus seulement émises par les populations « pauvres » exposées à une concurrence directe, mais aussi par une fraction des classes moyennes, les immigrants faisant souvent office de bouc émissaire en période de fortes incertitudes pour l’avenir ;
• la représentation négative de l’immigration n’est plus seulement produite par des partis d’extrême droite classiques, mais par de nouveaux partis ou acteurs (exemple de Pim Fortuyn aux Pays-Bas), qui influencent de manière croissante les partis du « mainstream ».
1.1.2. L’immigration renvoie à des problèmes factuels,à traiter pour éviter les amalgames
• quelques formes de délinquance ou de criminalité organisées résultent de filières conduisant dans les Balkans (gangs) ou en Bulgarie et Roumanie (filière « Roms ») : il faut les combattre comme telles, y compris afin d’éviter toute soudure entre immigration et insécurité ;
• quelques milliers de demandeurs d’asile font des demandes abusives, qu’il faut aussi traiter comme telles, dès lors qu’elles suffisent à déclencher une crise, parfois exploitée par les autorités politiques nationales ;
• environ 3/4 des immigrés illégaux sont des « overstayers », qui entrent légalement avec un visa et restent après la validité du visa ou après la période de séjour permise pour des voyages touristiques : c’est le suivi de ces personnes qui est la vraie priorité, plutôt que la mise en scène du contrôle des immigrés arrivant sans visa aux frontières.
1.1.3. L’immigration, sujet de méfiance entre États membres de l’espace Schengen
• la méfiance entre États vient du déséquilibre structurel entre la mise en place de frontières devenues communes mais dont chaque État demeure cependant responsable, celui-ci restant par ailleurs libre de déterminer les modalités d’accès à son territoire (décisions d’admission et de régularisation) ;
• cette méfiance s’exerce d’abord sur le plan externe, dans un contexte de doutes quant à l’aptitude de certains États à contrôler efficacement les frontières et à enregistrer effectivement l’entrée de réfugiés sur leur sol ;
• cette méfiance s’exprime également au regard des règles de la libre circulation interne, avec des réactions négatives notamment exprimées à l’égard des travailleurs polonais venus travailler au Royaume-Uni ou aux Pays-Bas et qui sont désormais au chômage.
1.2. L’immigration, un triple défi pour les élites
1.2.1. Un défi factuel : mieux percevoir les réalités populaires
• le problème principal de la plupart des citoyens européens n’est pas d’aller à Helsinki sans passeport ni contrôle, mais d’être tranquilles chez soi : il faut être plus attentif à cette hiérarchie des priorités, sans toujours en appeler aux grands principes de la libre circulation (« les valeurs ne poussent pas dans les arbres ») ;
• les élites ont souvent sous-estimé l’impact de l’immigration, qui a des incidences positives pour elles, mais pas nécessairement pour les classes populaires : accès à des services à bas coûts, peu de problèmes de cohabitation, pas de concurrence frontale sur le marché du travail ;
8 – Comité européen d’orientation 2011 de Notre Europe
• il s’agit de mieux prendre en compte ces réalités populaires, sans pour autant indiquer que l’immigration constitue le problème économique, social ou politique le plus central en Europe.
1.2.2. Un défi anthropologique :l’immigration et l’identité européenne
• lorsque la mondialisation est perçue comme plus asymétrique voire agressive, elle suscite un débat de nature anthropologique sur les spécificités du territoire européen (le « rapport entre nous et les autres ») et sa capacité à promouvoir ses intérêts ;
• la concurrence d’autres pays et régions et les inquiétudes sur l’avenir peuvent susciter une demande de protection se cristallisant sur les frontières, qui jouent un rôle identitaire fort ;
• le slogan de l’« Europe sans frontières » devient dès lors moins populaire s’il apparaît que ses frontières externes ne sont pas bien gardées ; mais en légitimant cette demande de protection frontalière, l’UE peut aussi encourager le repli sur les frontières perçues comme les plus protectrices, c’est-à-dire les frontières nationales.
1.2.3. Un défi culturel : libre circulation contre « libéralisme territorial » ?
• « l’idéologie circulatoire » ne doit pas nécessairement être adossée à des valeurs universelles et s’appliquer au niveau mondial, même si les élites se sentent « citoyennes du monde » : il faut définir une libre circulation propre au territoire européen ;
• le passage du Lepénisme au « Fortuynisme » traduit l’émergence de mouvements anti-immigrés combattant l’Islam sur la base d’une « culture libérale territorialisée », puisqu’ils prétendent aussi protéger les droits des femmes, des homosexuels, etc. en défendant le territoire européen face à l’espace islamiste : combattre intelligemment cet « anti-islamisme libéral » représente un défi majeur pour les élites « europhiles ».
1.3. Recadrer le débat sur l’immigration en mettant en évidence ses effets positifs
1.3.1. Les liens entre immigration et systèmes sociaux
• l’idée répandue que les immigrants bénéficient de notre système social davantage qu’ils n’y contribuent doit être combattue sur la base de faits statistiques ;
• il s’agit aussi de souligner que les systèmes de protection sociale européens, qui constituent un atout pour l’UE, ne pourront être préservés et améliorés sans apports démographiques massifs, qui ne peuvent provenir que de l’immigration à court et moyen termes.
1.3.2. Les liens entre immigration et croissance
• une idée clé à faire passer est que, dans l’Europe vieillissante, il ne peut y avoir de croissance économique forte et durable sans courant de migration stable et bien intégrée ;
• les exemples de l’Italie et de l’Espagne démontrent que l’immigration a un impact économique très positif en termes de création d’entreprises et d’emplois et de stimulation de la demande intérieure ;
• la Commission a raison de souligner que les pays européens sont engagés dans une lutte mondiale pour attirer les compétences (peu ou très qualifiées) – même si les États ne sont à ce stade pas forcément bien organisés pour organiser un système d’« immigration choisie ».
1.3.3. Évoquer les modèles d’intégration nationaux qui fonctionnent
• l’impression que l’intégration des immigrés ne fonctionne plus doit être contrebalancée en indiquant les pays dans lesquels cette intégration s’est bien déroulée : c’est par exemple le cas de l’Espagne, qui a accueilli près de 6 millions d’immigrants sans problème social et politique majeur au cours des 10 dernières années ;
• comme le démontre l’exemple espagnol, la régularisation des « sans-papiers » peut elle aussi avoir des incidences positives, surtout au regard des problèmes posés par une non-régularisation ;
• la bonne intégration des immigrés dépend avant tout d’enjeux nationaux : l’intégration des Turcs en Allemagne semble par exemple plus aisée que celle des Maghrébins en France – alors même qu’il s’agit dans les deux cas de populations de culture musulmane ;
• la crise doit inciter à un suivi attentif de l’intégration des immigrés, y compris s’agissant des incitations à les faire repartir, alors qu’ils sont désormais bien intégrés à leur pays d’accueil.
1.4. Améliorer l’acquis Schengen pour le sauvegarder
1.4.1. Renforcer les mécanismes de coopération européens existants
• il faut démystifier l’idée selon laquelle les États européens pourraient affronter seuls et de manière plus efficace l’enjeu des flux migratoires internationaux ;
• il s’agit notamment d’amplifier les mécanismes de coopération et de péréquation financière d’ores et déjà mis en place, y compris en appliquant la directive « protection temporaire » en cas de demandes d’asile massives ;
• il convient par ailleurs de sortir de l’ambiguïté vis-à-vis de l’agence « Frontex » en lui donnant tous les moyens d’agir.
1.4.2. Mieux organiser la gestion commune des enjeux migratoires
• les problèmes frontaliers réels ou supposés évoqués par les États membres doivent faire l’objet d’une discussion commune dans un cadre formel ;
• la décision de réintroduire des contrôles aux frontières en cas de crise doit faire l’objet d’une décision commune prise dans le respect des compétences communautaires en matière de contrôle des frontières extérieures et de libre circulation des personnes ;
• le Conseil doit conduire une discussion politique structurée sur les enjeux migratoires, sur la base de rapports factuels et en organisant un meilleur échange d’information sur les politiques conduites par les États membres ;
• sur le plan législatif, les principaux objectifs doivent être d’aboutir à des règles européennes communes pour les décisions d’admission en matière d’asile et de regroupement familial, ainsi que pour les décisions de régularisation des immigrés illégaux.
1.4.3. Combiner débat politique et application technique
• les enjeux migratoires liés à l’espace Schengen méritent une large délibération politique préalable, qui aille au-delà des enjeux de gestion de crise (exemple du débat américain du début du XXe siècle) ;
• les stratégies adoptées par les États membres ont vocation à varier en fonction de leurs situations et traditions ;
• le suivi de l’application des règles communes doit être confié à la Commission.
1.5. L’immigration issue du monde arabo-musulman, un enjeu spécifique
1.5.1. Le poids des représentations de l’immigration « arabo-musulmane »
• cette immigration est souvent perçue comme une menace pour l’identité des sociétés européennes, notamment compte tenu de la place accordée à la religion dans l’espace public et du statut fait aux femmes ; il faut aussi traiter ces enjeux tant au niveau factuel qu’au niveau des représentations (souvent erronées) qui les sous-tendent ;
• la culture politique engendrée par la guerre contre le terrorisme diffuse encore ses effets, et peut même conduire à associer criminalité et immigration arabo-musulmane, ce que démentent les statistiques ;
• l’un des points clés est de ne pas maintenir l’Islam dans une minorité, que ce soit dans le monde arabe ou en Europe – les « printemps arabes » étant à cet égard un signal plutôt positif.
1.5.2. Printemps arabes et ouverture migratoire européenne
• la nature de la réponse européenne vis-à-vis des « printemps arabes » se joue en partie sur le traitement accordé aux flux migratoires issus de ces pays, qu’il convient de rendre plus favorable compte tenu de nos relations de voisinage ;
• une libéralisation des visas accordés à des catégories spécifiques (professeurs, hommes d’affaires, étudiants) serait perçue comme un signal très favorable – à rebours de la tendance qui consisterait à encourager le départ des étudiants formés en France ;
• l’un des objectifs doit également être de favoriser la mobilité circulaire entre l’Europe et ses pays voisins (visa à entrées multiples) ;
• enfin, la politique de réadmission des immigrants illégaux dans les pays arabes ne doit pas être mise en oeuvre dans des conditions unilatérales ou brutales.