Le réchauffement est cause croissante de migrations, mais des postures myopes maintiennent notre attention et mobilisent nos énergies sur des points certes importants, mais de second ordre. Il faut voir plus loin : Il faut déjà réfléchir à un scénario de fort réchauffement, qui impliquerait une nouvelle distribution des populations à la surface du globe. Certaines zones ne seront plus vivables, et leurs habitants devront migrer. Il vaudrait mieux y penser aujourd’hui, plutôt qu’avoir à décider dans l’urgence. Sur ce point la conférence de Durban a été très insuffisante tant dans ses réflexions que dans ses conclusions. Non le réchauffement ne s’est pas arrêté brusquement en 1998 selon la mantra des climato-sceptiques : une réfutation saisissante vient d’être apportée dans la revue Environmental Research Letters par Stefan Rahmstorf et Grant Foster. http://iopscience.iop.org/1748-9326/6/4/044022 abstract et texte intégral
Les migrations liées à une cause environnementale ne sont plus un phénomène à venir, mais déjà une réalité : elles sont devenues plus importantes que les migrations liées aux conflits, indique l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), dans le premier « Etat de la migration environnementale 2010 » (State of Environmental Migration 2010) que vient de publier cette organisation avec l’Institut du développement durable et des relations internationales (IDDRI). http://www.iddri.org/Publications/Collections/Analyses/STUDY0711_SEM%202010_web.pdf (110 pages)
Si, en 2008, on comptait 4,6 millions de personnes déplacées dans leur pays du fait d’un conflit violent, il y en avait 20 millions qui avaient dû quitter leur lieu de résidence à la suite d’une catastrophe naturelle. Les « migrants environnementaux » ont été 15 millions en 2009, 38 millions en 2010. « L’année 2011 devrait voir un chiffre de même ampleur, explique François Gemenne, chercheur à l’IDDRI et coordonnateur de l’ouvrage. Le tsunami et l’accident de Fukushima, les inondations en Thaïlande, en Chine et aux Philippines ont provoqué des déplacements massifs. »Le rapport rassemble un grand nombre d’études de cas qui montrent la diversité des situations et la complexité du phénomène. Elles analysent précisément la gestion des crises qui se sont produites en 2010 au Pakistan (inondations), en Russie (feux de forêts), en Haïti ou au Chili (séismes), en France (tempête Xinthia).
Mais l’un des principaux apports de la recherche est de montrer que des événements soudains et brutaux ne sont pas seuls à provoquer ce type de migrations. Une dégradation lente de l’environnement peut aussi conduire à des déplacements involontaires. Par exemple, la fonte des glaciers himalayens au Népal se traduit à la longue par des inondations dues au déversement des excédents des lacs glaciaires. Des sécheresses durables peuvent aussi induire des migrations sur la longue durée, comme au Darfour (Soudan) ou dans le Nordeste brésilien. Le cas de l’Amazonie brésilienne est un autre exemple : la déforestation entraîne une occupation des terres puis, rapidement, les sols ainsi mis à nu s’épuisant, les populations finissent par migrer.
D’autres caractères des migrations environnementales apparaissent nettement. D’une part, la très grande majorité des cas analysés sont des migrations internes aux pays, sans franchissement de frontières : les pays sont alors seuls face au problème qu’ils endurent, un problème dont ils ne sont en aucune façon responsable.D’autre part, les migrants environnementaux subissent leur situation et aspirent fortement à revenir chez eux – à la différence des migrations économiques, où l’on espère trouver ailleurs un meilleur sort que chez soi.
Un troisième élément original de l’étude est de montrer, à travers le cas français de la tempête Xinthia, que les pays du Sud ne sont pas seuls à être confrontés au phénomène de la migration environnementale. Plusieurs milliers de personnes durent aller vivre ailleurs, soit du fait de la tempête elle-même, soit en raison de la décision prise par la suite d’évacuer les habitations situées en zone vulnérable. La tempête « a montré des failles significatives dans le système français de contrôle des inondations et de protection des populations sur les zones côtières », observe sobrement le rapport. L’étude souligne l’importance des politiques publiques adoptées : un leitmotiv du rapport est d’indiquer que les conséquences des catastrophes naturelles sont tout aussi liées à la préparation et à la gestion des pouvoirs publics qu’à l’ampleur même de l’événement.
Les migrations environnementales commencent à pénétrer l’agenda international. Il est certain qu’elles vont s’amplifier : la base de données EM-DAT (The International Disaster Database), gérée par le Centre de recherche sur l’épidémiologie des désastres (CRED), à l’Université catholique de Louvain, montre une augmentation constante du nombre de désastres depuis 1970.Em-Dat a recensé 18 000 désastres de masse depuis 1900 Par ailleurs, les événements météorologiques extrêmes devraient se multiplier, selon le résumé du rapport spécial publié récemment (novembre 2011) par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Résumé : http://www.ipcc.ch/news_and_events/docs/srex/SREX_slide_deck.pdf Summary for policy makers : http://www.ipcc-wg2.gov/SREX/images/uploads/SREX-SPM_Approved-HiRes_opt.pdf
Document préparatoire: http://www.ipcc.ch/pdf/press/ipcc_leaflets_2010/ipcc_srex_leaflet.pdf
Full Report : février 2012
Le droit international reste à construire. La convention de Genève sur les réfugiés (1951) n’est pas adaptée à la migration environnementale, notamment parce qu’elle implique rarement un franchissement de frontières. Cela a été souligné à de nombreuses reprises et depuis plusieurs années (cf. Nea say)
Le problème consiste à trouver chez les pays responsables du changement climatique les fonds pour aider les pays qui en sont le plus victimes à y faire face. La décision de la conférence des Nations unies sur le climat à Cancun, en décembre 2010, a ouvert la voie : son article 14-F cite les migrations et déplacements liés au changement climatique parmi les mesures qui pourraient être financées par le « Fonds vert ». Ce fonds est pour l’instant une coquille vide. Les pays riches ont promis de le doter de 100 milliards de dollars (77,3 milliards d’euros) par an à partir de 2020. Ces problèmes étaient assez régulièrement évoqués il y a trois/quatre ans, maintenant la crise des dettes souveraines (elle passagère) leur a ravi la vedette dans les médias ! Est-ce bien sage ?
L’augmentation des phénomènes extrêmes nécessite une meilleure préparation des Etats : telle est la conclusion du rapport spécial du GIEC, présenté officiellement le 18 novembre et approuvé le même jour par les gouvernements membres du Groupe d’experts in intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Mais plutôt que de se montrer alarmiste, le rapport s’efforce de présenter une série de solutions à mettre en œuvre pour limiter les conséquences de ces phénomènes climatiques tant il est vrai fait remarquer le GIEC que la sévérité des effets dépend non seulement de la sévérité des épisodes extrêmes eux-mêmes mais aussi de la vulnérabilité des sociétés exposées qui ne se seraient pas préparées à affronter des situations nouvelles caractérisées par davantage de canicules ( rappelons que la dernière en Russie a fait près de 55 000 morts)et de précipitations
Des propositions ?
L’accroissement des concentrations de gaz à effet de serre a entraîné une diminution des jours et des nuits froids et une augmentation des jours et des nuits chauds, indique le GIEC avec un degré de confiance élevé. La longueur et le nombre de vagues de chaleur ont augmenté dans de nombreuses régions du monde. « Dans certaines régions, on constate une évolution des phénomènes extrêmes, par exemple des sécheresses plus longues et plus intenses, mais un degré de confiance moyen s’attache à ces constatations, selon le rapport, en raison du manque d’observations directes et parce que les analyses scientifiques disponibles dans ce domaine ne concordent pas. Quant aux prévisions concernant l’évolution de l’intensité, de la fréquence et de la durée des cyclones tropicaux dans une perspective à long terme, le degré de confiance qui s’y rattache est assurément faible », indique Qin Dahe, coprésident du Groupe de travail I du GIEC.
Cependant, estime le GIEC, à l’avenir, il est « pratiquement certain qu’à l’échelle du globe, les jours de canicule deviendront encore plus chauds et seront plus fréquents ». Thomas Stocker, coprésident du Groupe de travail I du GIEC, précise que l’occurrence des jours de canicule sera multipliée par dix dans la plupart des régions du globe en cas d’émissions élevées de gaz à effet de serre. « De la même manière, les fortes précipitations seront plus fréquentes et la vitesse des vents associés aux cyclones tropicaux augmentera alors que le nombre de cyclones sera probablement constant ou en diminution ». L’Europe devrait être touchée par des vagues de chaleur plus intenses, l’Afrique par des sécheresses plus régulières. Certaines régions, dans les pires scénarios, pourraient même devenir inhospitalières.
La priorité sera donc de limiter la vulnérabilité des populations : l’impact des événements extrêmes est étroitement lié au degré de préparation des pays ainsi qu’à leur capacité à réagir, souligne le rapport. Par exemple, l’urbanisation rapide et la croissance des mégalopoles, en particulier dans les pays en développement, ont augmenté la vulnérabilité de certaines populations (bidonvilles, mauvaise gestion des terres…). Les réfugiés, les personnes déplacées sont également particulièrement vulnérables. « De nombreuses solutions s’offrent à nous pour diminuer les risques. Certaines ont été mises en œuvre mais beaucoup ne l’ont pas été. Les meilleures sont celles qui sont susceptibles de procurer des avantages pour un large éventail de scénarios de changement climatique », indique Vicente Barros, coprésident du Groupe de travail II. Parmi les pistes identifiées par le GIEC : les systèmes d’alerte précoce, la communication sur les risques entre les décideurs et les populations locales, l’aménagement durable et la planification urbaine, la gestion et la préservation des écosystèmes. Sont également indispensables : la surveillance sanitaire, l’approvisionnement en eau, l’assainissement, les systèmes d’irrigation, l’adaptation des infrastructures et des bâtiments, et une meilleure éducation et sensibilisation.