Dans une déclaration, le 12 janvier à Bruxelles, la Commission des épiscopats de la Communauté européenne (Comece) demande l’introduction d’une sorte de « taxe Tobin » sur les transactions financières à l’échelle européenne. Mais surtout inquiets pour l’Union, les évêques développent longuement le concept bien connu et développé ailleurs et de longue date( principalement en Allemagne)d’« économie sociale de marché », qui pourrait garantir son avenir. Les évêques sont conscients « que l’Eglise catholique n’a pas de solution technique ou de modèle économique ou politique à offrir. Mais parce que l’Eglise vit réellement parmi les gens, elle est aussi au fait de leurs préoccupations et de leurs besoins dans le monde. Etant donné que la forme revêtue dans le futur par l’ordre social et économique est intimement liée à la vie des citoyens, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’UE, nous considérons qu’il est de notre devoir, en tant qu’évêques européens, de faire entendre notre voix sur cette question importante ».
Pour les évêques, c’est dans la Parabole du Bon Samaritain que se trouvent les racines historiques et culturelles de l’Etat providence moderne : « personne qu’il soit jeune ou vieux, quelle que soit sa nationalité ou sa couleur de peau , ne doit être laissé sur le bord de la route ». D’où l’importance que donnent les évêques au concept de « gratuité » : ils rappellent l’importance du « don » dans l’économie sociale de marché. Les institutions dont les activités ont pour objectifs la solidarité(mutualités, coopératives, organes municipaux) doivent faire l’objet d’une attention toute particulière.
La compétitivité est un autre concept important pour les évêques car l’économie sociale de marché doit être hautement compétitive, mais n’est acceptable que jumelée avec la responsabilité. La Comece souligne le rôle positif de la concurrence dans une économie sociale de marché, qui permet d’éviter la formation de cartels et d’ententes. Les évêques condamnent cependant une économie tournée uniquement vers le profit qui « menace d’éclipser les dimensions sociale et écologique de la qualité de vie » et de transférer les coûts de l’activité économique vers d’autres personnes, en particulier les générations futures. Les évêques rappellent que l’autorité publique a le devoir de garantir la fourniture de biens essentiels de services d’intérêt général, en particulier des services sociaux et suggèrent aux citoyens « une consommation responsable ».
Politique sociale, les évêques appellent fermement à repenser la répartition des compétences entre l’UE et ses Etats membres. Ils estiment que le marché doit être complété par des prestation sociales de façon à ce qu’une vie dans le respect de la dignité humaine puisse être garantie à tous les citoyens. Dans cette optique le dialogue social entre partenaires européens doit jouer le rôle qui lui revient, particulièrement en ces temps de crise.
Développement durable, la déclaration appelle fermement et de façon continue au respect du principe économique et éthique du développement durable au point de suggérer que la formule économie sociale de marché est incomplète et devrait être complétée par « et environnementale »Justice et responsabilité écologique doivent être pises en charge. « A terme ni la compétitivité économique, ni la justice sociale, ne peuvent être atteintes sans une intégration systématique des facteurs écologiques » estiment les évêques de la COMECE.
Dans le débat actuel sur la « taxe Tobin », de longue date le cheval de bataille des altermondialistes, relancé par Nicolas Sarkozy ces jours-ci et alors que le Parlement européen vient d’engager son premier débat sur la proposition de la Commission, il n’est pas insignifiant que les membres de la Commission des épiscopats de la Communauté européenne (Comece) parlent de « la création d’une taxe sur les transactions financières » appliquée en Europe ou au moins aux 17 États de la zone euro.
Cette suggestion est l’un des points forts d’un texte d’une trentaine de pages que les évêques de la Comece ont rendu public jeudi 12 janvier à Bruxelles , au cœur du quartier européen devant une assistance fournie, sous le titre « Une communauté européenne de solidarité et de responsabilité . À vrai dire, cette proposition, rappelle-t-on , n’est pas nouvelle puisqu’elle figurait déjà dans un texte publié en 2000 sur la gouvernance mondiale. Le double contexte de crise européenne et de crise financière rend encore plus urgent un plan de sauvetage des économies de la zone euro qui ne repose pas uniquement sur les ménages. Concessions et sacrifices sont inévitables
« Les dettes publiques et privées, parfois astronomiques, doivent être diminuées pour le bien des générations futures » peut-on lire dans la déclaration de la Comece. Toutefois, ceci ne doit pas se faire aux dépens des plus pauvres ni dans l’ignorance du principe de la justice sociale. Le partage du fardeau dans la réduction des dettes contractées au cours de la crise financière actuelle doit tenir compte de la responsabilité des gouvernements ainsi que des banques et d’autres institutions financières. « D’où par exemple une taxation sur les transactions financières.
Ce genre de proposition n’est pas sans rapport avec l’inquiétude que nourrissent les évêques pour l’avenir de l’Union européenne, ébranlée ces dernières années par la « plus grande épreuve depuis sa fondation ».
« La question reste ouverte de savoir dans quelle direction l’Union européenne évoluera et si elle pourra répondre avec solidarité et responsabilité aux défis qui l’attendent, écrit, dans une synthèse accompagnant le texte, le cardinal Reinhard Marx, archevêque de Munich et Freising, et président de la commission sociale de la Comece. Il est aujourd’hui indispensable, poursuit-il, de mettre en oeuvre une action commune et résolue qui demandera des concessions et sacrifices pour éviter l’endommagement des fondations de l’ordre de paix en Europe. »
« L’Église catholique n’a pas de modèle économique ou politique propre à offrir ». Dépassant le simple constat et la mise en garde, les évêques de la Comece tracent des perspectives pour l’avenir de l’Europe, ils s’appuient résolument sur l’idée et l’appellation de « communauté européenne », pourtant effacée par le traité de Lisbonne qui lui préfère le terme d’« union ». Largement inspirée par les documents de la doctrine sociale de l’Église, et plus particulièrement la dernière encyclique « Caritas in veritate » (29 juin 2009,) cf. Nea say (1) la déclaration de la Comece est , fruit de deux ans de réflexion ; elle développe longuement le concept d’économie sociale de marché, apparu dans l’Allemagne de l’après-guerre et très en vogue dans certains pays d’Europe de l’Ouest. Les évêques font le pari que cette idée, bien que méconnue dans beaucoup de pays, dont en France, puisse susciter une large adhésion chez les citoyens européens.
Maniant la prudence ? « nous sommes conscients que l’Église catholique n’a pas de solution technique ou de modèle économique ou politique propre à offrir », les évêques européens souhaiteraient que les communautés chrétiennes engagent, à partir de leur déclaration, une réflexion sur ce concept d’économie sociale de marché. Celle-ci, rappellent-ils, « établit un lien entre la liberté du marché d’un côté avec le principe de la justice et le commandement de la charité ».
« Il faut européaniser l’économie sociale de marché pour faire face à la compétition mondiale, pour continuer à offrir une protection sociale efficace aux plus faibles et pour devenir une économie durable au vu des exigences environnementales et climatiques. Nous avons besoin d’une communauté de solidarité et de responsabilité pour donner vie à l’économie sociale de marché dans l’Union européenne. Solidaires et responsables, c’est ainsi que nous, Européens, pourrons maîtriser la grave crise actuelle et continuer ensemble notre chemin pour donner finalement un signe efficace de justice et de paix à tous les hommes dans le monde entier.
Le monde entier, l’Eglise qui se veut universelle y est sensible et la Comece rappelle son appel urgent aux gouvernements de Etats membres de l’UE de tenir leur promesse d’augmenter l’aide au développement jusqu’à 7% du produit intérieur brut d’ici 2015 et d’en faire un bon usage. Or souligne la Comece l’objectif intermédiaire de 0,56 % du PIB pour 2010 n’a pas été atteint. Un effort supplémentaire de 50 milliards sera nécessaire pour que l’Europe tienne ses promesses.
« L’Union européenne en tant que communauté d’Etas prospères et industrialisés depuis longtemps, a une responsabilité morale particulière dans le développement à long terme d’une authentique autorité politique mondiale avec des structures et des institutions supranationales qui seront chargées de cette lourde tache. Bien entendu elle devra être réglée par le droit et se conformer de manière cohérente au principe de subsidiarité et solidarité, mais elle nous parait indispensable.. Au-delà de l’ingéniosité économique, elle devra aussi prendre en considération la justice et la responsabilité écologique. Les Etats hautement industrialisés ne devront pas se contenter de chercher leur propre profit, mais ils devront oeuvrer de manière active à l’établissement d’un ordre économique mondial qui garantisse une concurrence libre et équitable. »
La Comece en appelle donc à ‘une nouvelle culture de co-reponsabilité qui doit prendre le pas sur la culture ambiante du blâme » pour combattre la marginalisation et la souffrance .
Dernière remarque, anecdotique mais révélatrice, le meneur de jeu du débat qui a suivi la présentation des propositions de la Comece, le journaliste Sebastien Maillard (la Croix) a interrogé le cardinal Reinhard Marx, archevêque de Munich : ne conviendrait-il pas de modifier les comportements vers plus de décence, de sobriété, pensez-vous qu’elle augmente ou au contraire diminue ? Le cardinal lui a répondu ,notamment, en lui faisant observer les indices de perception de la corruption (publiés chaque année par Transparency International) : depuis vingt ans ils ont augmenté considérablement.
-.Texte de la déclaration des évêques de la Comece (FR) (EN) (D) www.comece.eu
-.Compte rendu de la visite du président Sarkozy au Vatican http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=1727&nea=69&lang=fra&lst=0
-. (1) Commentaire sur l’Encyclique « Caritas in veritate » dans Nea say n°95 « Mondialisation, crise économique, gouvernance mondiale, le pape place aussi l’immigration au cœur de son Encyclique » http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=1164&nea=70&lang=fra&lst=0