En trente ans, la santé des immigrés s’est dégradée : meilleur dans les années 1970, l’état de santé des immigrés est devenu plus mauvais que celui des Français, selon une étude du bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH), à paraître mardi 17 janvier. Pour expliquer cette détérioration, les chercheurs mettent en avant à la fois des changements dans les politiques migratoires, mais aussi des profils de migrants différents, ainsi qu’un accès aux soins insuffisant.
-.Evolution de la santé des migrants au cours de ces trente dernières années : situation socio économique et administrative
Comment a évolué la santé des migrants ces trente dernières années ?
Selon les données du recensement de 1975, les étrangers mourraient moins que les Français après 30 ans, ce qui leur donnait une espérance de vie plus longue (70,12 ans contre 69,66 ans).
Au début des années 1990, la déclaration de maladie chez les femmes et les hommes originaires du Maghreb étaient de 16 % et 33 % inférieure à celle des nationaux, malgré des conditions de travail et des conditions de vie défavorables. Notamment, les hommes étaient moins touchés par les cancers et les maladies cardio-vasculaires.
Le basculement a lieu autour des années 2000. À partir de cette époque, les étrangers sont deux fois plus nombreux que la moyenne nationale, en proportion, à déclarer un état de santé « médiocre » ou « très mauvais » .
L’étude révèle en outre qu’aujourd’hui, leur situation se détériore à mesure qu’ils restent sur le territoire. « Les immigrés naturalisés sont plus malades que les étrangers qui n’ont pas acquis la nationalité », observe Florence Justot, un des auteurs de l’article, chercheuse à l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes).
Comment s’explique cette inversion de tendance ?
L’immigration au début des années 1970 était avant tout motivée par le travail. « On avait à cette époque une sélection plus forte des candidats à l’émigration dans les pays de départ, ce qui donnait une population plus robuste que les Français », explique Florence Justot.
À partir de 1974, le regroupement familial et l’asile politique ont pris le pas sur l’immigration professionnelle, alors que la croissance économique s’est ralentie. Par ailleurs, la population migrante a changé. « Les personnes en provenance d’Afrique subsaharienne et d’Europe de l’Est notamment étaient plus fragiles avant leur départ », poursuit la chercheuse.
Il faut ajouter à cela l’actuelle difficulté d’accès aux soins des étrangers, qui ont moins recours aux médecins généralistes, et encore moins aux spécialistes. Un tiers des bénéficiaires de l’Aide médicale d’État (AME), réservée aux personnes en situation irrégulière, déclarent avoir été confrontés à un refus de soin de la part des professionnels de santé.
Par ailleurs, 35 % des immigrés étrangers et 20 % des personnes naturalisées n’ont pas de complémentaire santé, contre 7 % des Français.
Que peuvent faire les pouvoirs publics ?
Les chercheurs appellent à la mise en œuvre de politiques d’amélioration des droits médicaux des populations étrangères. Le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), suivant le même constat, proposait le 5 juillet dernier la levée des conditions d’accès à l’AME, soumise depuis l’an dernier à un droit d’entrée fixé à 30 €.
Il proposait par ailleurs de simplifier les démarches des patients en fusionnant l’AME avecla Couverturemédicale universelle (CMU), ouverte aux personnes résidant en France de manière stable et régulière.
-. Etat des pathologies
Les migrants plus exposés aux maladies infectieuses
En 2009, la moitié des nouveaux cas de tuberculose et de séropositivité au sida étaient détectés chez des personnes immigrées. Tuberculose, hépatite B, VIH: ces trois maladies infectieuses majeures sont surreprésentées au sein des populations récemment immigrées en France. Selon l’étude publiée aujourd’hui dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH), sous la direction de Florence Lot, chercheuse à l’Institut national de veille sanitaire (InVS), environ la moitié des 6700 nouveaux cas de séropositivité au virus du sida (VIH) et des 5276 cas de tuberculose déclarés en France en 2009 concernait des personnes récemment installées dans notre pays. La proportion est encore plus élevée en ce qui concerne l’hépatite B. «Parmi les 1.715 patients pris en charge pour une hépatite B chronique en 2008-2009, les trois quarts étaient migrants», constatent les auteurs.
Rien d’étonnant à cela. Selon les données de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), ces pathologies lourdes, voire chroniques, qui nécessitent un traitement prolongé, sont toutes les trois très présentes en Afrique subsaharienne. Or, d’après l’Insee, un peu plus de 12%, des 5,3 millions de personnes immigrées résidant en France métropolitaine en 2007 (8,3% de la population totale) étaient originaires de cette partie du monde. De leur côté, l’Asie (d’où proviennent 14% des migrants) et l’Europe de l’Est sont des zones à forte prévalence pour l’hépatite B et la tuberculose et à un moindre degré pour le VIH.
Les personnes originaires de ces régions ont donc, selon les auteurs, «un risque d’exposition et d’infection plus élevé» que le reste de la population française. Les populations provenant d’Afrique subsaharienne sont, à cet égard, les plus touchées puisqu’elles rassemblent 69% des nouveaux cas de séropositivité VIH décelés chez les migrants en 2009, 54% pour l’hépatite B et 36% pour la tuberculose. Mais il n’y a pas que cela. «Les migrants ont un moindre accès à la prévention dans leur pays d’origine et peut-être aussi en France», soulignent les chercheurs de l’InVS. En outre, le fait qu’ils soient davantage victimes de ces pathologies que le reste de la population peut s’expliquer par «les conditions de la migration et une précarité sociale favorisant la transmission de la tuberculose et la transmission intrafamiliale du virus de l’hépatite B».
À noter que c’est en Ile-de-France, en Guyane française et en Guadeloupe que la part des migrants parmi les personnes découvrant leur séropositivité au VIH est la plus importante (respectivement 68%, 62% et 59%). Même chose avec la tuberculose. Ces spécificités régionales s’expliquent par le fait que 6 immigrés d’Afrique subsaharienne sur 10 vivent en Ile-de-France. Par ailleursla Guyaneaccueille un flux important d’Haïtiens et de ressortissants d’autres pays d’Amérique latine fortement touchés par la tuberculose et le VIH.
Accès au soin
Face à ce constat, les auteurs de l’étude appellent à «poursuivre les actions de prévention» et à «renforcer les stratégies de dépistage et d’accès aux soins auprès de ces populations dans le but de réduire les disparités observées». Que ce soit au travers de la vaccination de l’entourage en cas d’hépatite B chronique ou de «mesures de contrôle autour de cas contagieux» pour la tuberculose. Enfin, concernant le VIH, l’étude révèle «qu’au moins 1 migrant d’Afrique subsaharienne sur5 aété contaminé en France». D’où l’importance de mener des actions de prévention et de sensibilisation ciblées vers ce public dont l’état de santé général est «moins bon» que le reste de la population. Au-delà de ces trois pathologies, le BEH met l’accent dans son édition d’aujourd’hui sur la situation «particulièrement exposée des femmes migrantes», avec des risques périnataux, de diabète et un dépistage insuffisant du cancer du col de l’utérus.
Portail de l’Aide Médicale d’Etat (AME) http://vosdroits.service-public.fr/F3079.xhtml
Bulletin épidémiologique hebdomadaire http://www.invs.sante.fr/beh/
Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), site du CNLE : http://www.cnle.gouv.fr/Actualites-Presse.html