L’Europe, l’Europe politique, est-ce bien raisonnable ?
Est-ce bien raisonnable d’entretenir cet espoir par les temps qui courent, face à l’affaiblissement de l’ambition collective. Les signes sont évidents et se sont accumulés au cours de la dernière décennie. Le plus préoccupant est l’accentuation de la distance politique entre le centre de décision que représente, de façon inexacte mais emblématique, le nom de Bruxelles et les perceptions qu’en ont les millions de citoyens européens pour qui s’y préparent et se prennent les décisions. Des décisions prises dans leur intérêt, faut-il le rappeler et par des autorités qu’ils ont élues démocratiquement, Parlement européen et Conseil. D’ailleurs la grande majorité des citoyens est disposée à reconnaitre que c’est bien dans leur intérêt comme beaucoup de sondages le confirment.
Dans cette prise de distance vis-à-vis du projet européen, la responsabilité des médias, des gouvernants, des politiques, des élus est totalement engagée. Peu d’entre eux assimilent correctement les données concernant l’Europe. Et le feraient-ils, que leur premier réflexe les conduit, pour la plupart d’entre eux, à participer au débat public sous la seule forme d’un antagonisme entre intérêt européen et intérêt national. Rarissimes sont les cas où le résultat est présenté comme la synthèse réussie et utile à la communauté dans son ensemble, un compromis et donc justifiant des concessions éventuelles. Un bon compromis n’est rien d’autre que l’abandon d’une crispation inutile, il est une meilleure perception de son véritable intérêt. Or la conduite d’authentiques programmes européens, d’une réelle ampleur, se heurtent à des lenteurs, à des difficultés paralysantes car le leadership politique se conduit au niveau national, se conçoit au niveau national, se « médiatise » au niveau national. Seules des circonstances exceptionnelles (la crise en est une), la volonté d’un homme politique plus visionnaire et plus audacieux ont fait que des dirigeants politiques nationaux ont cessé, pour un temps parfois, de se tourner exclusivement vers leurs références nationales, leur système politique et institutionnel national L’élection du Parlement européen au suffrage universel, son rôle grandissant incontestable n’y ont rien changé, jusqu’à aujourd’hui du moins. L’Europe reste un sujet de politique étrangère, pas encore un sujet de politique intérieure.
La situation de l’Europe, on le voit, n’offre pas beaucoup de promesses radieuses face au chômage, à la précarité, à la pauvreté et l’on peut être tenté de baisser les bras, comme beaucoup l’on fait, prématurément, penseurs et acteurs de la scène européenne déclarant, décrétant la mort de l’Europe et toutes ses utopies. Rappelons nous cependant que tous nos pays, sans exception, ont traversé des épreuves tragiques dans lesquelles, aussi fortes soit-elles des nations entières ont failli périr et ont finalement triomphé, se sont redressées. Le projet européen a éloigné à jamais ces périls, mais d’autres périls ressurgissent sous une forme inédite. Pensons à la situation de l’Europe en 1944-1945 qui fera dire plus tard au général de Gaulle parcourant le champ de bataille européen « mon cœur d’européen se serre » à la vue de toutes ces destructions, ces morts et ces infamies. Quelque mois plus tôt, à la veille du débarquement en Normandie, le 6 juin1944, il avait porté un toast « à l’Europe ! » devant un Winston Churchill interloqué qui venait de lui dire la phrase restée célèbre : entre le continent et le grand large, l’Angleterre choisira toujours le grand large.
Nous n’en sommes plus là, nous sommes loin de cette situation d’alors, mais il nous faut penser à tout cela, il faut s’en souvenir pour que naissent une réaction de survie, un sursaut. La fragilisation de l’Europe, son échec possible, annoncé complaisamment par certains peuvent, demain, faire naître des déploiements citoyens nouveaux, des énergies nouvelles dans nos démocraties inquiètes. Le pire n’est pas le plus certain. Ressaisissons nous ! pour tourner le dos au défaitisme, aux égoïsmes nationaux trompeurs, à la morosité, à la désespérance. Cette réaction de survie, la confiance dans notre avenir collectif, passent par la reconquête de l’efficacité économique : chacun comprend que c’est le dynamisme économique (la croissance dit-on habituellement) qui apporte l’influence mais aussi l’innovation, la productivité, la compétitivité, l’équilibre des finances publiques. L’Europe doit aussi prendre conscience que c’est la stabilité du monde et sa prospérité qui sont en jeu et que mettent en danger l’ impuissance de l’Europe, sa passivité, sa lucidité altérée, ses divisions. L’Europe est devenue une source d’incertitudes pour ses citoyens et également le monde et pas seulement et pas principalement pour les marchés. Ressaisissons nous !
Dans cette aventure, c’est le sentiment d’appartenir à une communauté de destin qui doit nous guider comme principe supérieur. Le moment est venu de repenser l’Union européenne, de susciter un débat citoyen sur les finalités bien présentes (appelées objectifs dans les Traités), mais non-dites, sur les valeurs victimes aussi du non-dit. C’est cette prise de conscience d’une communauté de destin qui apportera une solidarité forte et les transferts de souveraineté nécessaires. Aux aléas et périls qu’opposer ? rien d’autre sinon nos valeurs quasi constitutionnelles (article 2 du traité) nos objectifs, nos principes. Le hasard, la chance font que ce sont ces valeurs, ces principes qui font l’objet d’un âpre débat politique et l’ouverture d’un procès à l’égard d’un pays (la Hongrie) soupçonné de les avoir violés. Une occasion inespérée pour découvrir, enfin, quels sont nos valeurs, nos principes, nos finalités, si longtemps ignorés (cf. l’article : « la Commission somme la Hongrie de rentrer dans la légalité » !). Rien ne nous oblige à rester prisonniers de nos grands souvenirs qui font naître un sentiment de déclassés, de perte de l’universalisme européen, un malaise, un pessimisme qui ne nous aident pas à trouver notre place dans un monde nouveau, un monde global alors que l’Europe conserve les ambitions et les moyens d’une grande puissance mondiale. Pour cela : abandonner cette démarche gauche empruntée, cette vision étriquée s’autolimitant, se mutilant, qui d’emblée ne se tournent pas vers une Europe authentiquement unie.
Pour cela certains pensent à un évènement fédérateur qui donnerait l’élan : certains bons esprits pensent à la convocation d’une convention qui accoucherait d’une belle et grande constitution. Est-ce bien la priorité du moment ? La question a été posée et la réponse plutôt négative. Epuisons les possibilités, toutes les possibilités du traité de Lisbonne, nous sommes encore loin du compte. Des progrès considérables, inespérés viennent d’être faits en matière de gouvernance économique sans s’être heurtés aux insuffisances des traités. Les péripéties de l’ « accord international intergouvernemental ont révélé les difficultés (cas anglais) mais aussi les limites d’une telle entreprise. En avons-nous besoin ? Non ! a-t-on répondu assez largement et seules des considérations dites politiques assez mystérieuses expliquent ce futur traité, une « distraction peu opportune »a écrit le Financial Times. Beaucoup de bruit pour rien. Retenons la leçon. Retenons aussi qu’à Traité constant de très grands progrès ont été réalisés dans la gouvernance économique et le transfert de compétences et de souverainetés fortes.
Par contre les futures élections au Parlement européen vont constituer une occasion idéale pour mobiliser les européens, c’est un peu la dernière chance. Elles auront lieu dans deux ans. Il est grand temps de s’y préparer pour réussir, enfin, ces élections. L’enjeu est clair : qui voulons nous pour diriger l’Europe ? Qui sera le chef du gouvernement européen, c’est-à-dire le président de la Commission européenne. Comme vient de le souligner avec force Angela Merkel : « le dernier mot revient aux institutions européennes sur les Etats membres ». Pas d’Europe forte, sans institutions fortes, pas d’institutions européennes fortes sans un Parlement européen fort.