Lutte contre le terrorisme : est-ce de la politique internationale ou bien aussi de l’espace de liberté, de sécurité et de justice. Un arrêt de la Cour de justice très attendu : l’enjeu le contrôle démocratique.

Si la Cour devait suivre les conclusions de l’avocat général Yves Bot, en matière de listes noires de terroriste, ce serait le reniement d’une pratique décennale européenne, toutes institutions confondues, mais certes à des titres divers et selon des tonalités bien spécifiques : la lutte contre le terrorisme doit se faire dans le respect des droits fondamentaux. Deux éléments étroitement imbriqués comme en témoignent les travaux de la Commission des libertés civiles, de la Justicee et des affaires intérieures.

 

Les listes noires de terroristes sont un sujet bien connu des lecteurs de Nea say au travers des turpitudes rencontrées par le Conseil face à la Courde justice. Cette fois, si la Coursuivait l’avocat général ce serait une belle revanche pour le Conseil. L’avocat Yves Blot a, peut-être laissé parler son tempérament français et son ancien poste de procureur général de la Républiquefrançaise. Il s’agit du règlement transposant une résolution du Conseil de sécurité autorisant des sanctions (gel des avoirs, interdiction de visas) à l’égard d’une liste de personnes soupçonnées d’appartenir au réseau de Oussama ben Laden, de Al-Qaida ou des Talibans. L’argumentaire est  juridique, certes , mais aussi assez politique.

 

Cette affaire est née suite à une plainte du Parlement européen contre le Conseil des ministres de l’UE. Le Parlement conteste, en effet, la base juridique du règlement adopté par le Conseil de l’UE. Il estime que, après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le 1er décembre 2009, ce texte n’aurait pas dû l’être sur la base de la politique étrangère et de sécurité commune (article 215 § 2 TFUE) mais sur la base des dispositions relatives à la prévention du terrorisme et des activités connexes qui relèvent de l’espace de liberté, de sécurité et de justice (article 75 TFUE). Le choix de la procédure a une portée considérable et  concrète sur l’étendue du rôle du Parlement européen dans l’adoption de l’acte : dans le premier cas, il est juste « informé » par le Conseil ; dans le cadre de la politique de justice, il est associé aux décisions et il est co-décideur, avec un pouvoir d’amendement, voire de veto au final. Décidément en matière législative, la « Lisbonisation » passe mal. Précisons que dans cette affaire,la France, la république Tchèque,la Suèdecommela Commissioneuropéenne sont venus au secours du Conseil. Le Danemark qui avait marqué cette intention s’est ensuite désisté.

 

Pour Yves Blot la compétence  dela PESCest générale : pour lui, depuis le traité de Lisbonne, une action de l’Union sur la scène internationale visant à combattre le terrorisme international pour maintenir la paix et la sécurité au niveau international « doit être rattachée » àla PESC.  Aux termes de celle-ci « la compétence de l’Union en matière de la [PESC] couvre tous les domaines de politique étrangère ainsi que l’ensemble des questions relatives à la sécurité de l’Union, y compris la définition progressive d’une politique de défense commune qui peut conduire à une défense commune ». Et « bien que le traité de Lisbonne ait fait disparaître la structure en piliers qui existait précédemment, il n’a pas porté atteinte à la délimitation entrela PESCet l’ELSJ. Au  contraire, l’importance d’une ligne délimitant clairement ces deux domaines a été soulignée par le traité sur l’Union européenne. »

 

Donc la PESCest une voie normale, naturelle de transposition des résolutions de l’ONU. Pour Yves Bot, le but poursuivi par le règlement de 2009 ne « doit pas être réalisé de façon isolée » mais tenir compte des actes auxquels il se réfère et avec lesquels l’avocat général établit un lien, c’est-à-dire  : la résolution 1390 du Conseil de sécurité de l’ONU en 2002, la position commune basée sur la politique étrangère et de sécurité commune (402) puis le règlement d’application (881/2002) et son règlement modifié (1286/2009). Tous ces actes visent « en réalité, un but unique, celui de lutter contre le terrorisme international » en coupant ses ressources financières.  Pour lui, c’est bienla PESCqui permet une « interaction » entre les décisions prises au niveau des Nations Unies et celles prises au niveau de l’Union. L’Union se borne à reprendre la liste arrêtée au sein du comité sanctions de l’ONU.La PESC« habilite l’Union à adopter des mesures restrictives en matière de lutte contre le terrorisme ».

Il y a aussi dans l’analyse de l’avocat général, une considération plus pratique : la PESC est la « mieux adaptée à la variété des actions » qui peuvent être menées par l’Union afin de lutter contre le terrorisme international. Cela permet à l’Union de « prendre des mesures générales (mesures de restriction de la circulation des personnes visées, d’interdiction de la vente d’armes par exemple) sans limiter celles-ci aux seules mesures concernant les mouvements de capitaux et les paiements ».

 

L’argument peut se justifier si on se place au niveau d’un procureur poursuivant un criminel et voulant le mettre hors de nuire rapidement. Rapidité est le maître mot. Mais l’argumentaire oublie que certes il s’agit d’une action internationale et le but visé la complète : geler les fonds sur le territoire de l’Union européenne de certaines personnes et entreprises qui peuvent commettre un acte terroriste non seulement hors de l’Union mais bien à l’intérieur de l’Union. On est bien alors dans un domaine de justice et de police et non sur une action diplomatique ou de défense pures  qui sont les deux sphères d’actions dela PESC. Sion devait suivre le point de vue de l’avocat général, on pourrait s’interroger sur le sort de l’application du protocole de Kyoto et de mille autres cas. Ce serait un tournant dans la jurisprudence de la Cour.Etde plus en portant atteinte à tout ce qui ressort des droits fondamentaux.

 

Sans doute si le Parlement européen devait l’emporter, devrait-on trouver des procédures innovantes pour ne pas faire perdre de son efficacité et de sa rapidité au déroulé de la procédure. Ni l’obligation d’un examen  et d’un contrôle démocratique, ni la nécessité de l’efficacité ne sauraient être sacrifiés

      -. Texte des conclusions http://www.bruxelles2.eu/wp-content/uploads/2012/01/PECUETalibansC130@J120131.pdf

 

      -. Texte du Recours du Parlement européen http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2010:134:0026:0027:FR:PDF

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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