Après dix mois de négociations et de batailles juridiques, le programme européen d’aide aux plus démunis est officiellement reconduit pour 2012 et 2013. Mais les députés européens et la société civile poursuivent le combat pour le maintenir à long terme. Les parlementaires ont donc entériné, mercredi 15 février, l’accord conclu entre les Etats en novembre 2011 au sujet de l’avenir du Programme européen d’aide aux plus démunis (PEAD). Approuvé sans vote, il va s’appliquer de façon rétroactive à partir du 1er janvier 2012.
En avril 2011, la Cour de justice de l’UE a porté un coup à cette politique sociale de l’UE, financée depuis 1987 sur le budget agricole. A l’origine, les surplus alimentaires de la Politique agricole commune (PAC) finançaient le PEAD. Mais, la PAC n’ayant plus de surplus, le programme vit grâce aux subventions redistribuées aux ONG. La Cour de justice a déclaré que c’était illégal. En cause, le règlement interne du PEAD, selon lequel l’approvisionnement ne peut provenir que des surplus et stocks de l’UE. A la suite de la décision de la CJUE, la Commission européenne a annoncé son obligation de réduire le budget de 500 à 115 millions d’euros alors que 18 millions de personnes sont directement concernées par le programme. A l’origine de cette affaire, une plainte déposée par six pays (l’Allemagne, le Royaume-Uni, la Suède, le Danemark, les Pays-Bas et la République tchèque), selon lesquels de telles politiques sociales relèvent des compétences nationales.
Face au tollé provoqué par cette décision de la Cour, un certain nombre de gouvernements, en particulier français (Nicolas Sarkozy et Bruno Lemaire ministre de l’agriculture), soutenus par la Commission européenne Dacian Ciolos commissaire à l’agriculture et le président Barroso exemplaires en toute circonstances et ne désarmant jamais), ont bataillé ferme pour tenter de convaincre le groupe des six de revenir sur sa position. La société civile a été ardente dans le combat, notons parmi beaucoup ATD-Quart Monde. Le député européen Inigo Mendez de Vigo qui présidait l’intergroupe parlementaire du Parlement européen sur la lutte contre la pauvreté a été également très actif, écrivant à chacun des gouvernements qui s’opposaient à la reconduction du programme alimentaire.
En novembre 2011, après des discussions longues et difficiles, un accord a été dégagé, compromis plus que boiteux et sans avenir. La France (et la Commission) a obtenu deux ans de sursis et l’Allemagne des engagements implicites pour que le programme soit arrêté après 2013. Mais pour les députés européens, ce compromis n’est pas tolérable. Si le Parlement a bien validé le texte permettant au PEAD de vivre deux ans de plus, il reste opposé à sa suppression à partir de 2014. Chacun reste inquiet : « Cet accord était vital (…) mais nous sommes inquiets, car la droite européenne a obtenu la disparition du PEAD après 2014 : la Chancelière allemande, Mme Merkel, avance dans son objectif de stopper tout financement communautaire de ce type de politique sociale », a déclaré la députée européenne Estelle Grelier, au nom des socialistes français. Même attitude à l’UMP. Agnès Lebrun considère « qu’il ne faut pas se satisfaire de ce compromis. Nous ne pouvons nous contenter de cet accord partiel et j’en appelle à la responsabilité du Conseil de l’Union européenne de ne pas se retrancher derrière des arguments juridiques ».
La veille, la députée Sylvie Goulard (nouvelle présidente de l’intergroupe lutte contre la pauvreté où elle succède à Inigo Mendez de Vigo appelé au gouvernement espagnol) avait insisté sur le fait que l’UE ne pouvait avoir dans cette période de crise qu’un rôle de « père fouettard » et avait regretté que « la question des plus pauvres ne soit pas intégrée dans la stratégie Europe 2020 ».
Le soutien au PEAD dépasse les rangs des politiques ou des associations caritatives. Lors d’une conférence de presse début février, le président de la FNSEA, le principal syndicat agricole français, a insisté sur la nécessité de maintenir ce programme pour permettre aux Européens de se nourrir décemment.
Doit-on nourrir des espoirs dans la défaite aux prochaines élections allemandes de l’actuelle chancelière ? ce serait courir un bien grand risque. La voie est à rechercher ailleurs : l’avenir du financement du PEAD par l’Union européenne n’est toutefois pas impossible. Un consensus pourrait se dégager pour faire financer ce programme par le budget de la politique sociale, comme le propose la Commission depuis des mois. Selon le député européen Michel Dantin (PPE), « le débat se focalise aujourd’hui plutôt sur le Fonds social européen ». Les discussions sur l’avenir de la politique de cohésion pour 2014-2020 pourraient donc décider du futur financement de ce programme par l’UE. Mais les défenseurs de la politique de cohésion s’inquiètent de voir « leur » budget être rogné par de nouvelles dépenses provoquées par la crise : l’annonce de la prise en charge des jeunes chômeurs par les milliards des fonds structurels non encore dépensés (82 milliards ?) a rencontré des réserves ou oppositions fortes cela dans l’attente de précisions supplémentaires, considérant tout cela comme simplement un « effet d’annonce ». La discussion sur le futur Cadre Financier Pluriannuel (CFP), qui doit être adopté avant la fin de l’année 2012, sera déterminant. La mobilisation doit se faire dès aujourd’hui sans attendre le dernier délai de 2013 ! Le rapporteur du Parlement européen exprime bien la pensée dominante au sein du Parlement : « La crise économique actuelle conjuguée à des conditions climatiques difficiles, entraîne de lourdes répercussions pour les pauvres. Près de 18 millions de sans-abri, de chômeurs, de personnes âgées ou handicapées, mais également de familles nombreuses et de parents célibataires, bénéficient aujourd’hui du programme d’aide alimentaire de l’UE. Il ne faut pas que l’Union les oublie. Mais le plus important est de s’assurer que le programme continuera de distribuer des denrées alimentaires aux pauvres et aux démunis au sein de l’UE également après 2014″, a déclaré Czesław Adam Siekierski (PPE, PL), à la tête de l’équipe de négociation de la commission de l’agriculture et rapporteur au Parlement sur le règlement. Il a rappelé que la Cour de justice avait mis en question la base juridique et non pas ses mérites propres. Le programme doit être aussi mis en œuvre de façon plus efficace : il faut mieux coopérer et suivre l’exemple de ceux des Etats qui ont obtenu les meilleurs résultats. De nombreux députés, notamment Giancarlo Scotta ont rappelé que le programme est aussi un instrument de lutte contre le gaspillage alimentaire et qu’au niveau de la collecte des progrès restent à faire. Pour l’Irlandais Liam Aylward (ADLE) s’est insurgé contre les critiques faites (chevauchement avec les compétences nationales, problèmes budgétaires etc…), il s’agit de critiques politiciennes contre un programme qui fonctionne bien et depuis longtemps. La plupart des députés ont plaidé vigoureusement pour que le programme reste en place après 2013. Certains ont affirmé que cela n’a rien à voir avec la politique agricole commune pourtant s’est exclamé le français José Bové (Vert-Ale) « nourrir tous les citoyens fait partie de la charte fondamentale de la première politique commune de l’Union » dont on vient de fêter les 50 ans !. José Bové s’interroge également comment peut-on trouver 500 millions pour le programme ITER (projet de réacteur de fusion nucléaire) et dans le même temps refuser une somme identique pour les plus pauvres ? Garder le programme sur la bonne voie avec un financement propre jusqu’à la fin de 2013 est une « réussite importante », a déclaré le président de la commission de l’agriculture, Paolo de Castro (S&D, IT), « mais cela ne s’arrête pas là. Nous poursuivrons notre pression politique afin d’assurer que l’Union continue de faire preuve de solidarité envers les plus faibles de la société, et ce au-delà de 2013, en particulier en période de crise économique profonde », a-t-il souligné. Dacian Ciolos, commissaire en charge de l’Agriculture, s’est voulu rassurant sur l’avenir : « la Commission a proposé de maintenir ce budget dans le cadre de la politique sociale. Cette proposition budgétaire est maintenue sur la table du Conseil et du Parlement, qui prendront une décision à cet égard. Sur la base de cette décision concernant l’avenir du budget, bien sûr, la Commission ne se départit pas de son droit ni de son obligation d’initiative législative, y compris dans ce domaine ». Il s’est engagé aussi à réfléchir à la question du gaspillage alimentaire et de la nutrition (bien se nourrit, savoir cuisiner) et à présenter des idées sur ces thèmes ;. Il a rappelé qu’après trois ans d’intenses discussion entre les institutions » nous sommes finalement parvenus à donner un nouveau cadre juridique à ce programme pour les années 2012-2013, qui n’étaient plus couvertes à la suite de l’arrêt de la Cour de justice ».
Il convient enfin de noter que les nouvelles dispositions du programme élargissent l’éventail des denrées alimentaires concernées : les achats sur les marchés deviennent une source d’approvisionnement régulière, afin de compléter les stocks d’intervention, sur lesquels le programme était essentiellement fondé jusqu’à aujourd’hui. Le programme donne par ailleurs la préférence aux produits originaires de l’UE . Il sera intégralement financé par l’UE. Les coûts admissibles à un financement seront les frais de transport et de stockage et les coûts administratifs directement liés à la mise en œuvre du programme. La ligne budgétaire annuel consacrée au programme s’élève à environ 500 millions d’euros. Plus de 18 millions de citoyens en bénéficieront.
Texte de la résolution du Parlement européen (FR) http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//NONSGML+REPORT+A7-2012-0032+0+DOC+PDF+V0//FR