L’ampleur du débat (l’intensité des polémiques est-on tenté d’écrire) mérite que la question soit posée. Peut-on échapper à la loi de fer de la discipline budgétaire et peut-on repousser en permanence les échéances en empruntant et en empruntant sans limite ? Un pays comme la France depuis bientôt quarante ans n’a pas équilibré ses comptes. Les pays européens ont-ils, tous, compris qu’il va valoir tourner le dos à une pratique qui n’a que trop duré. Un jour ou l’autre il faut cesser d’emprunter et rembourser au moins une partie de ses dettes et ce jour est arrivé et cela s’impose à tous. Cela ne sert à rien de maudire les agences de notation.
Nous voulons toujours plus de subventions, d’emplois publics, de moyens supplémentaires pour l’école, la recherche, les hôpitaux, les infrastructures collectives etc. Mais pouvons nous continuer à faire en sorte que ce sont les autres qui payent ? En plusieurs décennies, les périodes de surplus de croissance pour rembourser les dettes n’ont jamais existé de façon durable. Il va bien falloir dire que ces temps sont révolus ! C’est un bouleversement des mentalités, des comportements qui tombe sur nous ou plus exactement va nous tomber dessus car nous ne sommes pas encore, tous, atteints, ni n’en sommes pleinement conscients. Potentiellement nous sommes cependant tous des grecs, enfin presque tous.
Pour faire bonne mesure, ajoutons à tout cela, les remises en cause multiples que nécessiteront les « crises » : démographique, vieillissement de la population, criminalité, délinquance juvénile, échecs scolaires, crise du logement, crise de la justice et engorgement des tribunaux, immigration, santé et problèmes des médicaments, qualité de l’alimentation et sa disponibilité, crise énergétique, réchauffement climatique, qualité de l’environnement, perte de compétitivité etc . et couronnant le tout le principe de précaution. A chacune de ces questions les gouvernants répondent par des dépenses supplémentaires et en légiférant. Or bien souvent l’aggravation de ces problèmes résulte des dysfonctionnements et de l’inefficacité des services publics nationaux, locaux ou européens. Mais qui serait assez imprudent pour soulever la question de l’efficacité des administrations et dire que la réponse ne se trouve pas toujours dans « plus d’argent ! ». Crise dans l’enseignement : réponse : plus de professeurs !
Le débat véritable sur la qualité des dépenses n’a pas eu lieu et n’aura pas lieu malgré la proximité d’élections décisives sur le plan politique. Or on ne peut plus reporter indéfiniment un tel débat. Ce sont là des questions impératives impliquant des réponses difficiles d’où la nécessité d’une règle budgétaire constitutionnelle. Or miracle européen inattendu, l’Union européenne vient au cours de ces derniers mois de se doter de quasi règles constitutionnelles, certes imparfaites et encore incomplètes, mais, mais qui commencent à fonctionner. La preuve en est l’ampleur des cris, récriminations, contestations et protestations qui rythment le lancement du « six pack » par exemple. Peut-être ne serons-nous pas condamnés à devenir une immense Grèce !
Mais dira-t-on la discipline budgétaire nuit à l’emploi et à la croissance ! Mais est- bien vrai ? à très court terme, c’est vraisemblable, mais c’est l’accumulation de la dette publique qui est source de croissance faible et donc de chômage, la faiblesse des investissements d’infrastructures, l’innovation, la compétitivité s’anémiant tout au long du processus de l’endettement croissant.
Mais ce récent « miracle européen » ne suffit pas à nous convaincre totalement de la solidité et de la permanence de cette conversion à la discipline budgétaire. En témoignent les difficultés pour le gouvernement français à faire ratifier le Mécanisme européen de stabilité (MES) : l’opposition s’est réfugiée dans une abstention difficile à expliquer qu’un certain nombre de personnalités regroupées autour de Cohn-Bendit ont qualifié dans le journal le Monde du 25 février de profonde erreur historique (« la bourde historique de la gauche »). Que reproche-t-on au MES ? une malformation congénitale, son couplage avec un autre traité à venir : le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance de l’Union Economique et Monétaire(TSCG) qui institue la « règle d’or » voulue par la chancelière Angela Merkel et le président français Nicolas Sarkozy. Mais ce couplage n’existe pas dans les articles du MES qui de plus n’est pas un mauvais mécanisme de solidarité. Mais qu’est-ce que ce TSCG ? Antonio Vitorino l’a bien décrit en deux courtes pages, incisives où tout est dit http://www.notre-europe.eu/uploads/tx_publication/TSCG_MotNE_Fev2012.pdf , deux pages à la mesure de 16 articles très brefs d’un Traité élaboré en quelques semaines. Il s’interroge : « beaucoup de bruit pour rien ? » Poser la question c’est déjà y répondre surtout si l’on relit les titres des quatre paragraphes :
– . le TSCG est d’abord un outil politique au service de la dialectique « solidarité européenne-responsabilités nationales ;
-. une valeur ajoutée au regard du droit communautaire limitée, voire incertaine ;
-. une contribution économique lacunaire à compléter par un volet « croissance » ;
-. un Traité intergouvernemental qui renforce utilement les pouvoirs des Parlements et de la Commission.
Le mot important est solidarité et sa relation dialectique avec « responsabilités nationales. La solidarité est depuis 2010 au cœur des travaux du Forum européen des think tanks et de Notre Europe en particulier. La solidarité c’est un besoin. Dans l’urgence ont été mis en place des mécanismes de solidarité qui faisaient totalement défaut jusqu’alors, créant d’inévitables tensions. La crise a servi d’impulsion au renforcement de l’Union. Impensable jusqu’alors on assiste à une solidarité accrue, non par générosité mais fondée sur l’intérêt bien compris de tous, « l’intérêt personnel éclairé » (1). Il n’y a pas de solution miracle et surtout pas de solution gratuite. Peut-être sommes-nous entrain de sortir de ce cycle infernal où des paquets de décisions s ‘abattent sur nous et à peine sont-ils tombés qu’on s’interroge, en permanence, sur leur crédibilité. La fin d’un cycle qui nous condamnait à des réactions timorées, à une activité de faible intensité, bref un marasme pour dix ans.
(1) « Solidarité dans la zone euro combien, pourquoi, jusqu’à quand ? » Sofia Fernandes et Eulalia Rubio. Préface de Jacques Delors http://www.notre-europe.eu/uploads/tx_publication/SolidariteUEM_S.Fernandes-E.Rubio_NE_Fev2012_01.pdf