Droit de séjour dans l’Union européenne : la Cour de justice s’apprête à rendre un jugement concernant la protection contre l’éloignement.

 Un citoyen de l’union qui a séjourné pendant plus de dix ans dans un Etat membre autre que le sien peut faire l’objet d’une procédure d’éloignement si son comportement met en danger la sécurité publique. L’intéressé ne peut par ailleurs se prévaloir du droit à une protection renforcée contre l’éloignement, s’il est démontré qu’il tire ce droit d’un comportement constituant un trouble grave à l’ordre public de l’Etat membre d’accueil .

Selon l’avocat général, M. Bot, un citoyen de l’Union ayant vécu plus de dix ans dans l’État membre d’accueil peut faire l’objet d’une procédure d’éloignement lorsque son comportement infractionnel met en danger la sécurité publique. De plus, le fait d’avoir dissimulé par menace ou contrainte sur la victime un comportement délictueux constituant un trouble grave à l’ordre public peut priver l’auteur de l’infraction de la protection contre l’éloignement résultant d’un séjour prolongé dans l’État membre d’accueil

La directive relative au droit des citoyens de l’Union de séjourner et de circuler librement sur le territoire des États membres prévoit les conditions d’exercice de ce droit et ses limitations pour des raisons d’ordre public, de sécurité publique ou de santé publique. Ainsi, l’État membre d’accueil ne peut pas prendre une décision d’éloignement à l’encontre d’un citoyen de l’Union qui a acquis un droit de séjour permanent (à l’issue d’une période ininterrompue de cinq ans minimum) sauf pour des motifs graves d’ordre public ou de sécurité publique. Lorsque ce citoyen de l’Union a séjourné les dix dernières années sur le territoire de l’État membre d’accueil, une décision d’éloignement ne peut être prise que pour des raisons impérieuses de sécurité publique.

M. I., ressortissant italien, vit en Allemagne depuis 1987. Par décision du 16 mai 2006, il a été condamné à une peine privative de liberté de sept ans et six mois pour abus et agression sexuels ainsi que viol, sur la fille mineure de son ancienne compagne (de 1990 et 2001). M. I. est en prison depuis le 10 janvier 2006 et aura purgé sa peine d’emprisonnement le 9 juillet 2013. La justice allemande a constaté, par décision du 6 mai 2008, en vertu du droit allemand, la perte du droit d’entrée et de séjour de M. I., au motif notamment qu’il peut récidiver et lui a enjoint de quitter le territoire allemand, faute de quoi il sera expulsé vers l’Italie. L’Oberverwaltungsgericht für das Land Nordrhein-Westfalen (Tribunal administratif régional supérieur du Land Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Allemagne), saisi en appel, demande en substance à la Cour de justice si l’abus sexuel sur mineur et l’agression sexuelle ainsi que le viol constituent des « raisons impérieuses de sécurité publique » pouvant justifier l’éloignement d’un citoyen de l’Union, présent depuis plus de dix ans sur le territoire de l’État membre d’accueil (Allemagne).

L’avocat général, M. Yves Bot, rappelle, tout d’abord, la jurisprudence de la Cour ( notamment l’Arrêt de la Cour du 23 novembre 2010, Tsakouridis (C-145/09), cet arrêt concernait la lutte contre la criminalité liée au trafic de stupéfiants en bande organisée)selon laquelle des agissements qui présentent un niveau d’intensité de nature à menacer directement la tranquillité et la sécurité physique de la population dans son ensemble ou d’une grande partie de celle-ci sont susceptibles de relever de la notion de « raisons impérieuses de sécurité publique ». Selon l’avocat général, s’il est incontestable, en l’espèce, que l’abus sexuel sur mineur et l’agression sexuelle ainsi que le viol dans la sphère familiale constitue une atteinte particulièrement grave à une valeur fondamentale de la société, ce type d’acte néanmoins ne relève pas de la notion de « sécurité publique » au sens de la directive2004/38/CE Article 28, paragraphe 3..

Ainsi, la directive distingue nettement la notion d’ordre public et celle de sécurité publique, la seconde revêtant une gravité supérieure à la première, s’agissant de faire échec à la protection renforcée accordée au citoyen de l’Union. En effet, ces deux notions correspondent à des réalités criminologiques différentes. L’Infraction commise à l’égard des règles pénales entraîne un trouble à l’ordre public établi par l’État membre alors que la référence à la notion de sécurité publique découle non pas de manière automatique du seul fait d’avoir commis une infraction, mais d’un comportement infractionnel particulièrement grave dans son principe et aussi dans ses effets qui vont au-delà du préjudice individuel causé à la ou les personnes victimes. Ces deux notions ne sont donc pas identiques : si tout comportement qui crée un danger pour la sécurité publique trouble par définition l’ordre public, la réciproque n’est pas vraie, même si un acte commis peut susciter dans l’opinion publique une émotion reflétant le trouble causé par l’infraction.

L’avocat général considère que la question de savoir si un délinquant, par son comportement, constitue un danger pour la sécurité publique dépend donc non seulement de la gravité de l’infraction commise – dont la peine encourue ou prononcée donne une idée – mais surtout de sa nature. Ainsi, si M. I. constitue incontestablement un danger dans la sphère familiale, il n’est pas établi, par la nature de l’acte commis, qu’il constitue une menace pour la sécurité des citoyens de l’Union comme le serait un prédateur sexuel, criminel particulièrement dangereux caractérisé par des comportements tels que ceux révélés par les affaires Dutroux et Fourniret. Décider autrement reviendrait à reconnaître que la seule gravité objective d’une infraction pénale, déterminée par sa peine, constitue potentiellement une justification d’une mesure d’éloignement pour « raison impérieuse de sécurité publique », ce qui serait contraire à la philosophie de la directive.

Pour autant, dans le cas présent, M. I. n’est cependant pas à l’abri d’une mesure d’éloignement.

En effet, l’avocat général poursuit en précisant que M. I. ne peut bénéficier de la protection renforcée contre l’éloignement prévue par la directive dans la mesure où il n’était pas réellement intégré dans la société de l’État membre d’accueil.

Il précise à cet égard que les « raisons impérieuses de sécurité publique » constituent la seule exception à la protection contre l’éloignement dont peut bénéficier un citoyen de l’Union ayant séjourné les dix années précédant la mesure d’éloignement sur le territoire de l’État membre d’accueil. La directive contient une présomption simple d’intégration dont la preuve contraire résulte, en l’espèce, des actes commis par M. I. qui témoignent qu’il n’était pas réellement intégré et qu’il ne peut, dès lors bénéficier de cette protection renforcée.

Il est incontestable que, si ces faits, compte tenu de leur date, avaient été connus dès qu’ils ont été commis, M. I. aurait été poursuivi et éloigné sans pouvoir bénéficier de la protection prévue par la directive. En effet, l’intégration du citoyen de l’Union est aussi fondée sur des facteurs qualitatifs et, pour l’avocat général, il est évident que le comportement de M. I. dénote une absence totale de volonté d’intégration dans la société de l’État membre d’accueil. Il ne peut donc se prévaloir de la protection accordée au terme d’un séjour de dix ans, ce délai n’ayant pas été interrompu parce que son comportement est resté caché.

M. Bot considère qu’une situation infractionnelle de cette nature ne peut pas être créatrice de droit au prétexte qu’elle a duré longtemps. De plus, la directive elle-même prévoit que les États membres peuvent adopter les mesures nécessaires pour refuser, annuler ou retirer tout droit conféré par elle en cas d’abus de droit ou de fraude. Il appartient à la Cour de tirer les conséquences d’une telle fraude.

L’avocat général conclut qu’un citoyen de l’Union ne peut se prévaloir du droit à une protection renforcée contre l’éloignement prévu par la directive, lorsqu’il est démontré qu’il ne peut en bénéficier en raison  d’un comportement infractionnel constituant un trouble grave à l’ordre public de l’État membre d’accueil.

      -. Texte intégral des conclusions de l’avocat général Yves Bot (FR) http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=120048&pageIndex=0&doclang=fr&mode=lst&dir=&occ=first&cid=109978

 (EN) http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=120048&pageIndex=0&doclang=EN&mode=lst&dir=&occ=first&cid=109978

      -.  Directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres (JO 2004, L 229, p.35, rectificatifs JO L 229, p. 35 et JO 2005, L 197, p. 34). (FR) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2004:158:0077:0123:fr:PDF  (EN) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2004:158:0077:0123:en:PDF

      -. Texte de la  demande de décision préjudicielle (FR) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2009:282:0027:0027:FR:PDF (EN) http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2009:282:0027:0027:EN:PDF

 

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

Laisser un commentaire