Après dix-sept mois d’existence, la Haute Autorité pour la diffusion des oevres et la protection des droits sur Internet (Hadopi) a choisi de mettre en ligne, le mardi 27 mars, sur son site, une étude de 16 pages réalisée par ses services. Alors que le sort de cette institution est suspendu au choix que fera le prochain président de la République de la maintenir ou de la supprimer, son bilan tient en deux constats. D’abord, les auteurs de l’étude constatent « une nette tendance au recul du téléchargement illégal » dans les échanges pair à pair, depuis que la Hadopi existe. Ensuite, ils observent qu’en un an et demi, une offre légale de biens culturels dématérialisés s’est fortement développée, essentiellement dans la musique, le domaine qui a le plus basculé dans le numérique.
Dans le cadre de ses missions, la Hadopi a dû instaurer une riposte graduée pour lutter contre le piratage et le téléchargement illégal d’oeuvres sous droit. Ce rôle de gendarme, avec sa dimension répressive, a été le plus contesté à gauche, mais aussi à l’extrême droite et au niveau européen, et a provoqué l’hostilité des internautes, pour qui le Net doit rester un espace de liberté et de gratuité. Le débat s’est propagé au Parlement européen et à la Commission où deux commissaires, la vice présidente Reding (Justice et droits fondamentaux) et Karel de Gucht (commerce) se sont prononcés clairement contre Hadopi. Ce dernier très récemment dans la cadre du débat concernant ACTA (Cf. Nea say)
Au premier abord les statistiques parlent d’elles-mêmes : 95 % des personnes ayants reçu une recommandation quant à leur comportement illicite ne font plus parler d’elles ; lors la deuxième semonce, elles sont 92 % à obtempérer et même 98 % à la troisième. En parallèle, les abonnés qui se voient rappelés à l’ordre par les services de la Haute autorité et qui entrent en contact avec elle afin de connaître les griefs reprochés sont 6 % après la première alerte, et entre 25 % et 71 % en cas de récidive.
Ces changements de comportement ont un impact plus global, puisque, que ce soient les mesures d’audiences faites sur les usagers par Nielsen ou Médiamétrie ou celles qui concernent les fichiers piratés (Peer media Technologies, Alpa), elles mettent en évidence de fortes baisses des usages illicites qui varient de – 17 % à – 66 %.
Dans une étude pour la Fédération internationale de l’industrie phonographique (IFPI), Nielsen avait noté en janvier qu’en dix-huit mois, 2 millions d’utilisateurs avaient cessé de fréquenter les sites illégaux de téléchargement de musique en France. D’un pic de 6,3 millions de personnes en août 2010, la courbe était retombée à 4,3 millions, en décembre 2011.
Mais selon la Hadopi, « rien ne permet d’affirmer qu’il y a eu un report massif des usages vers les technologies de streaming ou de téléchargement direct ». De la même manière, la Haute autorité estime qu’elle n’a pas le recul pour cerner les changements de consommation des internautes depuis la fermeture, le 19 janvier, du site pirate Megaupload, par les autorités américaines. En revanche, elle s’appuie sur un sondage réalisé sur un échantillon de 1 500 internautes : un sur trois se dit prêt à consommer plus régulièrement des oeuvres culturelles sur des sites respectueux du droit d’auteur.
Encore faudrait-il que cette offre légale soit abondante, diversifiée et attractive financièrement. La Hadopi renvoie la balle aux sociétés d’auteurs, aux syndicats patronaux du cinéma et de la musique (SACD, SNEP, ARP…) qui ont plaidé, vendredi 23 mars, en faveur du développement du téléchargement légal.
La Hadopi, qui a légalisé plus de 50 plates-formes de téléchargement dans six secteurs culturels (musique, vidéo, jeu vidéo, photographie, livre numérique et logiciels), note sur dix-huit mois « une stabilisation globale de l’offre, marquée par quelques belles progressions ». Dans le domaine de la musique, les plates-formes commencent à avoir de l’audience. Le marché de la musique numérique a été multiplié par trois en cinq ans pour atteindre 140 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2010.
Ce bilan, qui semble globalement positif, suffira-t-il à la Haute autorité pour sauver sa tête ? Les auteurs de l’étude s’abstiennent de tout triomphalisme. Ils présentent des faits, ne désespérant pas de convaincre, sinon l’opinion publique, du moins ceux qui décideront de l’avenir de l’institution, après le scrutin présidentiel. Un instant on a cru prévoir que Hadopi allait s’inviter dans le débat des élections présidentielles, surtout après l’annonce claire de sa suppression par François Hollande le 20 janvier dernier à Biennales internationales du spectacle (BIS). Puis par la suit le message s’est obscurcit, les commentaires se sont multipliés n’apportant pas les clarifications souhaitées dans un dossier complexe. Supprimer Hadopi, soit ! mais quoi à la place ? Après avoir promis sa suppression, puis son remplacement, le 2 mars François Hollande dans une tribune du journal le Monde (« mes 60 engagements pour la France), déclare que la loi Hadopi ne sera ni « abrogée », ni « remplacée » mais « repensée ». Mais il faut l’avouer, au moins jusqu’à ce jour, les électeurs ont manqué d’appétence pour ce débat. La publication de ce rapport va-t-il rallumer une querelle éteinte apparemment ou au contraire l’ajourner. Pour longtemps ? Notons simplement qu’à peine était publié un communiqué du président de la République se félicitant d’un « bilan indiscutable (…) qui consolide le rôle pionnier de la France en matière d’adaptation des industries culturelles à l’ère numérique » qu’apparaissaient des analyses savantes selon lesquelles le bilan n’apporte pas la preuve d’un impacte « indiscutable » d’un recul du téléchargement illégal dans sa globalité : ce sont les pratiques illégales qui ont changé.
-. Rapport, Hadopi 1 an ½ après son lancement http://www.hadopi.fr/sites/default/files/page/pdf/note17_en.pdf
-. Dossier Hadopi de Nea say http://www.eu-logos.org/eu-logos-nea-recherche.php?q=hadopi&Submit=%3E