La Cour européenne des droits de l’Homme a condamné le jeudi 12 Avril, la France pour une perquisition menée en 2006 dans les locaux du Midi Libre, un titre important de la presse quotidienne régionale française. La Cour a reconnu que les motifs de la condamnation étaient « pertinents mais non suffisants ». Les requérants sont quatre journalistes du Midi Libre qui avaient rédigé en 2005 plusieurs articles sur la gestion de la région Languedoc-Roussillon en reprenant des extraits d’un rapport de la Chambre régionale des comptes (CRC) mettant en cause la gestion de la région. Signalons également que le principe concernant la protection de la confidentialité des sources journalistiques avait été malmené, que la Cour a déjà, à plusieurs reprises, prononcé de telles condamnations.
Sur une plainte de Jacques Blanc, alors président du Conseil régional, pour violation du secret professionnel et recel de violation du secret professionnel, le juge d’instruction avait perquisitionné les locaux du journal le 5 juillet 2006 et saisi divers documents dont une copie du rapport de la CRC. Mis en examen pour recel de violation du secret professionnel, les journalistes avaient obtenu un non-lieu en 2007.
« Il y a eu ingérence dans la liberté des journalistes de recevoir ou de communiquer des informations », a souligné la CEDH qui s’est interrogée sur le bien-fondé de la perquisition. « La Cour se demande si d’autres mesures que la perquisition au siège de la rédaction du journal n’auraient pas pu permettre au juge d’instruction de rechercher s’il y avait eu violation du secret professionnel », ont relevé les juges siégeant à Strasbourg.
Dans son arrêt non définitif, la Cour a noté par ailleurs que les journalistes avaient « fait une présentation claire de la nature du rapport en cause et démontré ainsi leur bonne foi et un souci du respect de la déontologie de leur profession ». La CEDH a ajouté que le gouvernement n’avait « pas démontré que la balance des intérêts en présence, à savoir d’une part la protection des sources et d’autre part la prévention et la répression d’infractions, a été préservée ». Elle en a conclu « que la perquisition litigieuse est à considérer comme disproportionnée et a violé le droit des requérants à la liberté d’expression ». Elle a condamné la France à verser 5000 euros à chacun des quatre journalistes pour dommage moral.
COMMUNIQUE DE PRESSE DU GREFFIER DE LA COUR
Dans son arrêt de chambre, non définitif, rendu ce jour dans l’affaire Martin et autres c. France (requête no 30002/08) la Cour européenne des droits de l’homme dit, à l’unanimité, qu’il y a eu : Violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention européenne des droits de l’homme.
L’affaire concerne une perquisition ordonnée par un juge d’instruction dans les locaux du quotidien Le Midi Libre pour déterminer les conditions et circonstances dans lesquelles des journalistes avaient obtenu copie d’un rapport provisoire et confidentiel de la Chambre régionale des comptes – protégé par le secret professionnel – portant sur la gestion de la région Languedoc-Roussillon.
Principaux faits
Les requérants MM. Francois Martin, Jacky Vilaceque, Anthony Jones et Pierre Bruynooghe, ressortissants français, sont nés respectivement en 1955, 1949, 1955 et 1961 et résident à Poulx, Assas, Poussan et Montpellier. Ils sont journalistes au quotidien Le Midi Libre.
Le 31 août 2005, la Chambre régionale des comptes (« CRC ») du Languedoc Roussillon établit un rapport provisoire mettant en cause la gestion de la région pendant la période où M. J.B., sénateur depuis 2001, en avait été le président. Le quotidien Le Midi Libre publia plusieurs articles citant des extraits de ce rapport. Ce dernier était couvert, légalement, par le secret professionnel. Le 3 novembre 2005, M. J.B. déposa une plainte avec constitution de partie civile pour violation et recel de violation du secret professionnel. Afin de déterminer les conditions et circonstances dans lesquelles les journalistes avaient obtenu les informations protégées par le secret professionnel, le juge d’instruction, assisté d’un expert en informatique, décida d’effectuer une perquisition dans les locaux du Midi Libre. La perquisition se déroula le 5 juillet 2006, divers documents furent saisis et placés sous scellés dont une copie du rapport de la CRC. Le juge d’instruction fit également procéder à une copie des disques durs des ordinateurs des journalistes en cause. Sur les ordinateurs de deux d’entre eux, apparurent à l’analyse des traces du rapport de la CRC. L’enquête ne permit pas d’identifier la personne ayant remis ou envoyé le rapport confidentiel aux journalistes.
Conformément aux dispositions des articles 43 et 44 de la Convention, cet arrêt de chambre n’est pas définitif. Dans un délai de trois mois à compter de la date de son prononcé, toute partie peut demander le renvoi de l’affaire devant la Grande Chambre de la Cour. En pareil cas, un collège de cinq juges détermine si l’affaire mérite plus ample examen. Si tel est le cas, la Grande Chambre se saisira de l’affaire et rendra un arrêt définitif. Si la demande de renvoi est rejetée, l’arrêt de chambre deviendra définitif à la date de ce rejet.
Dès qu’un arrêt devient définitif, il est transmis au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe qui en surveille l’exécution. Des renseignements supplémentaires sur le processus d’exécution sont consultables à l’adresse suivante : http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution.
A l’issue des investigations, le juge d’instruction ordonna la mise en examen de MM. Francois Martin, Jacky Vilaceque et Anthony Jones, puis un peu plus tard de Pierre Bruynooghe, du chef de recel de violation du secret professionnel. Entendus par le juge, tous excipèrent du « secret des sources ».
Le 6 avril 2007, les journalistes sollicitèrent l’annulation de la perquisition et des saisies, ainsi que de tous les actes subséquents, alléguant de leur nullité car ils contrevenaient à l’article 10 de la Convention qui protège la liberté d’expression. Dans un arrêt du 3 juillet 2007, la chambre d’instruction de la cour d’appel de Montpellier rejeta leur demande. Elle rappela que la perquisition litigieuse avait été pratiquée par le juge d’instruction dans les locaux du Midi Libre afin de déterminer comment les journalistes avaient pu obtenir les informations qui se trouvaient à l’origine de leurs articles sur le rapport confidentiel de la CRC. Elle ajouta que le principe de la protection des sources journalistiques ne saurait entraver la recherche et la manifestation de la vérité en matière pénale, celles-ci pouvant être poursuivies au moyen de perquisition ou de saisie dans les locaux d’entreprises de presse.
Les journalistes formèrent un pourvoi en cassation. Ils firent valoir qu’en s’abstenant de vérifier si la perquisition poursuivait un but légitime et si, à cette fin, elle était nécessaire dans une société démocratique, la cour d’appel avait méconnu l’article 10 de la Convention.
Par un arrêt rendu le 4 décembre 2007, la Cour de cassation rejeta le pourvoi, jugeant que la perquisition avait été effectuée conformément au code de procédure pénale et que l’ingérence était nécessaire et proportionnelle au but légitime visé, à savoir la protection des droits d’autrui – en l’occurence la présomption d’innocence -, la protection des informations confidentielles et la nécessité de se prémunir contre des agissements de nature à entraver la manifestation de la vérité.
Mais dans l’intervalle, le juge d’instruction rendit le 22 mai 2007 une ordonnance de non-lieu en faveur des journalistes. Celle-ci constatant qu’il n’avait pu être établi que l’auteur de la divulgation était tenu au secret professionnel, faute de caractérisation d’un délit antérieur, le délit de recel ne pouvait être retenu. La cour d’appel de Montpellier confirma par un arrêt du 4 octobre 2007, qu’aucun délit de violation du secret professionnel n’ayant pu être établi, il ne pouvait dès lors y avoir recel d’une telle infraction.
Griefs, procédure et composition de la Cour
MM. Francois Martin, Jacky Vilaceque, Anthony Jones et Pierre Bruynooghe se plaignaient que les investigations menées à leur encontre violaient les dispositions de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention. La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits de l’homme le 3 juin 2008.
L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de : Dean Spielmann (Luxembourg), président, Karel Jungwiert (République Tchèque), Boštjan M. Zupančič (Slovénie), Mark Villiger (Liechtenstein), Ann Power-Forde (Irlande), Angelika Nußberger (Allemagne), André Potocki (France), juges, ainsi que de Stephen Phillips, greffier adjoint de section.
Décision de la Cour
La Cour rappelle qu’elle a déjà jugé que des perquisitions qui avaient été menées au domicile et sur le lieu de travail de journalistes aux fins d’identifier l’auteur d’une violation du secret professionnel constituaient une atteinte aux droits protégés par l’article 10 de la Convention. En l’espèce, il y a eu ingérence dans la liberté des journalistes de recevoir ou de communiquer des informations.
Selon la Cour, et eu égard aux circonstances particulières de l’affaire, cette ingérence prévue par la loi visait à empêcher la divulgation d’informations confidentielles, à protéger la réputation d’autrui et notamment la présomption d’innocence. La question essentielle est de savoir si cette ingérence critiquée était « nécessaire dans une société démocratique », correspondait à un besoin social impérieux, était proportionnée au but légitime poursuivi et si les motifs fournis par les autorités pour la justifier étaient pertinents et suffisants.
La Cour note que, dans la présente affaire, MM. Francois Martin, Jacky Vilaceque, Anthony Jones et Pierre Bruynooghe, journalistes, ont publié dans un quotidien des extraits d’un rapport provisoire de la Cour régionale des comptes du Languedoc- Roussillon qui mettait en cause la gestion de la région sous la présidence de M. J.B. Les articles litigieux contenaient principalement des informations au sujet de la gestion des fonds publics par des élus locaux et des fonctionnaires publics, gestion qui avait été mise en cause par un rapport provisoire de la Chambre régionale des comptes.
Pour la Cour, il s’agissait là indéniablement d’un sujet d’intérêt général que les journalistes avaient le droit de faire connaître au public à travers la presse. La Cour souligne que le rôle des journalistes d’investigation est précisément d’informer et d’alerter le public, notamment sur des phénomènes indésirables, dès que des informations pertinentes entrent en leur possession. Elle relève que les journalistes avaient indiqué en première page du quotidien qu’il s’agissait d’un « rapport d’observations provisoires susceptible d’être modifié par les arguments de ceux qu’il met en cause ». La Cour estime que les journalistes ont fait une présentation claire de la nature du rapport en cause et ont démontré ainsi leur bonne foi et un souci du respect de la déontologie de leur profession.
La Cour constate que le rapport en cause avait été communiqué aux président et ancien président du conseil régional du Languedoc-Roussillon et que des extraits avaient été adressés à soixante-dix personnes mises en cause dans ce rapport. Le juge d’instruction ayant mis les journalistes en examen constata lui-même dans son ordonnance du 22 mai 2007 que l’enquête n’avait pas permis de déterminer si l’auteur de la divulgation était tenu au secret professionnel. La chambre d’instruction de la cour d’appel de Montpellier souligna que les destinataires de ce rapport n’étaient pas tenus au secret professionnel, et que les documents provisoires n’étaient pas – suivant le code des juridictions financières – automatiquement classifiés.
La Cour se demande si d’autres mesures que la perquisition au siège de la rédaction du journal n’auraient pas pu permettre au juge d’instruction de rechercher s’il y avait eu violation du secret professionnel. Le Gouvernement omet de démontrer qu’en l’absence de la perquisition litigieuse, les autorités n’auraient pas été en mesure de rechercher d’abord l’existence d’une éventuelle violation du secret professionnel, puis ensuite, celle du recel de cette violation.
Au vu de tous les éléments précédents, la Cour arrive à la conclusion que le Gouvernement n’a pas démontré que la balance des intérêts en présence, à savoir d’une part la protection des sources et d’autre part, la prévention et la répression d’infractions a été préservée. Les motifs invoqués par les juridictions nationales pour justifier la perquisition peuvent passer pour pertinents, mais ne peuvent cependant être jugés suffisants. La Cour conclut que la perquisition litigieuse est à considérer comme disproportionnée et a violé le droit des requérants à la liberté d’expression reconnu par
Au titre de la satisfaction équitable, la Cour dit que la France doit verser à chacun des requérants 5 000 euros (EUR) pour dommage moral.