« Et qui pardonne au crime, en devient complice »1 (Voltaire).
L’Union Européenne (UE) se doit de lutter contre le crime transnational organisé (CTO) afin de garantir aux Etats-Membres que « le crime ne paie pas »2. A ce titre, de nombreuses réglementations ont été mises en œuvre depuis plus de deux décennies pour permettre à l’Union Européenne de définir une stratégie gagnante contre cette CTO.
Toutefois, force a été de constater que les engagements initiaux de l’UE n’ont pas toujours été suivis dans les faits au sein des Etats-Membres, en ce qui concerne la lutte systématique de toute forme de CTO. Ce sont justement les formes déguisées de cette criminalité qui ont régulièrement remis en cause tous les espoirs de progrès sur cette question, d’où la nécessité de renforcer le dispositif existant et de relancer la lutte contrela CTO : c’est l’objectif de la proposition quela Commissioneuropéenne vient de faire et c’est aussi l’objectif de la création d’une création spéciale que vient de faire le Parlement européen. En effet, les principales difficultés rencontrées – lorsqu’on évoque le cas dela CTO– proviennent de son caractère protéiforme qui englobe tout aussi bien le blanchiment d’argent, que la lutte contre le terrorisme voire d’un point de vue secondaire la corruption ou le crime d’entreprise. Dans cet optique, de nombreux experts ont, ainsi, mis en évidence qu’en fonction de l’environnement politique, économique et social, la façon d’appréhender la lutte contre la criminalité n’était pas la même. Est-il nécessaire de rappeler le bouleversement que constitua le 11 Septembre 2001, en matière de lutte contre le terrorisme en Europe3 ? La lutte contre le crime organisé apparait donc comme un ensemble à la fois disparate et difficilement appréhendable, dans sa propension à regrouper une variété d’activités toujours plus nombreuses, compliquant sans cesse la tâche de l’UE, dans sa recherche d’un socle commun à cette CTO.
De surcroît, les outils de lutte contre cette CTO apparaissent, bien souvent, en décalages profonds avec les nouvelles stratégies mises en œuvre par la criminalité organisée. Or, si certains préconisent, la constitution d’une véritable politique de prévention pour contrer les corrélations existantes entre pauvreté et criminalité, l’heure est aujourd’hui davantage aux méthodes de répression, notamment par le biais de la généralisation des confiscations et des gels des avoirs des organisations du crime.
C’est pourquoi, malgré les difficultés rencontrées dans la lutte contre le CTO, au cours des dernières décennies, ont été prises, un grand nombre de mesures à l’échelle internationale et européenne, afin de donner une portée réelle aux intentions et à la prise de conscience mondiale sur cette question (I). Ces mesures – qui ont souvent été qualifiées d’inefficaces – sont aujourd’hui remises sur le devant de la scène parla Commission, sous la forme de l’outil jugé le plus efficace, celui de la confiscation et le gel des avoirs, afin de « réinjecter [les gains de la criminalité organisée] dans l’économie légale, surtout en ces temps de crise »(II).
I- Un cadre juridique prônant une approche commune en matière de confiscation et de gel des avoirs.
Si les prémisses de la lutte internationale contre la criminalité organisée remontent à la fin des années 80, avec les mesures prises au sommet de l’Arche en Juillet 1989 ou à la convention du 8 Novembre 1990 au sein du Conseil de l’Europe, il convient de souligner qu’il faudra attendre la fin des années 1990 pour que l’UE s’empare de cette question essentielle.
A ce titre, le traité d’Amsterdam permettra une avancée fondamentale en mettant en œuvre une coopération judiciaire et policière dans le cadre officiel d’un « espace de liberté, de sécurité et de justice commun ». Ainsi, dès 1997 la criminalité organisée devient l’un des aspects fondamentaux de l’agenda européen en matière de coopération judiciaire et policière entre Etats Membres notamment avec les plans d’actions contre la criminalité organisée de 1997 et de 2000, ou encore avec les conclusions élaborées lors du programme dela Hayeen 2004.
A- Une volonté harmonisatrice basée sur une logique incitative.
Concernant la lutte contre la criminalité organisée par le biais du gel et de la confiscation de biens du produit du crime, l’action commune du 3 décembre 1998 demeure l’apport le plus prépondérant des années 90. Celle-ci se réfère directement à la convention du 8 Novembre 1990, évoquée préalablement, et définit un nouveau cadre afin que « les États membres accordent à toutes les demandes présentées par les autres États membres en ce qui concerne l’identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des avoirs la même priorité que celle qui est accordée à de telles mesures dans les procédures internes »4. Cette action commune est innovante, dans le sens où elle prend le pari de recourir à une entraide entre les Etats-Membres de l’UE, tout en organisant une gestion quotidienne de cette collaboration entre les pays. Cet acte fondateur a, notamment, permis de favoriser de nouvelles orientations stratégiques entre les différents partenaires – juristes, représentants d’Europol et d’Eurojust – afin de promouvoir les pratiques idoines de bonne gouvernance entre les Etats Membres, mais aussi de consacrer la coopération parfois difficile entre les organes policiers et judiciaires.
Après le succès de cette première étape primordiale, de nombreux cadres juridiques sont venus renforcer le poids de ce principe de rapprochement entre les Etats-Membres en matière de gels et de confiscations des avoirs d’origine criminelle. De ces dispositions, retenons comme cadre juridique les quatre décisions cadres du Conseil et une décision du Conseil :
- La décision-cadre 2001/500/JAI se fait une nouvelle fois l’écho de la convention du conseil de l’Europe de 1990, elle oblige aussi les Etats-Membres à tout mettre en œuvre pour favoriser les confiscations et gel des avoirs lorsqu’ils concernentla CTO. Mais surtout, cette décision cadre en son Art.4 prévoit des « traitements de demande d’entraide » afin que les Etats membres soient tenus de traiter de la même manière une demande provenant d’un Etat membre qu’il le ferait sur son propre territoire.
- La décision-cadre 2005/212/JAI porte en elle de nouveaux critères permettant une harmonisation de la lutte contrela CTO, par le biais des confiscations. Dans ce cadre, le Conseil avait notamment prévu une distinction formelle entre la confiscation ordinaire et la confiscation élargie5 afin d’étendre les champs d’actions des Etats-membres sur ces questions.
- Décision-cadre 2003/577/JAI permet une reconnaissance mutuelle des décisions de gel.
- Décision-cadre 2006/783/JAI permet une reconnaissance mutuelle des décisions de confiscations.
- La décision 2007/845/JAI du conseil « relative à la coopération entre les bureaux de recouvrement des avoirs des États membres en matière de dépistage et d’identification des produits du crime ou des autres biens en rapport avec le crime ». Cette décision permet la mise en œuvre des bureaux de recouvrement dans les différents Etats-membres de l’Union Européenne. Elle permet une nouvelle fois un rapprochement et une coopération renforcée, notamment par le biais des bureaux de recouvrements des avoirs présent en son Art. 2.
Les principes fondateurs de l’Union Européenne en matière de lutte contrela CTOsont donc marqués, par une volonté de rapprochement et d’harmonisation entre les Etats-membres. Il veut permettre une meilleure collaboration sur ces questions dont les enjeux demeurent considérables. Toutefois, de nombreuses lacunes subsistent, encore à l’heure actuelle, afin de parvenir à une entraide efficace entres les différents services policiers et judiciaires des Etats-membres. A ce titre, de récents bouleversements – tels que les différents bureaux de recouvrements des avoirs mise en œuvre dans de nombreux Etats-membres – permettent tout de même d’organiser et de réguler l’effort commun entre les services, notamment en matière de traçabilité et d’identification des informations financières liées àla CTO.
B- De nouveaux dispositifs recommandant la mise en œuvre de règles de bonnes conduites et de collaboration entre Etats-membres.
Le programme de la Hayeen 2004 avait marqué un tournant majeur de la politique européenne de lutte contre la CTOen instituant la création du réseau CARIN (Camden Assets Recovery Inter-Agency Network). C’est grâce à ce réseau, notamment, que les différents Etats-membres de l’Union Européenne, ont, de manière informelle, pu collaborer afin d’améliorer sensiblement leurs relations en terme de traçabilité et d’identification des produits ou profits du crime. Or, lorsque l’on sait que la criminalité organisée regroupe tout aussi bien le trafic de stupéfiants, d’être humains, d’armes que la corruption, il est aisé de comprendre l’enjeu primordial d’une collaboration intense et efficiente, entre les différents services composants les bureaux de recouvrement des avoirs. Dans ce cadre, la collaboration entre les différents bureaux de recouvrement s’est vu élever aux rangs de priorité stratégique de la part de l’Union Européenne depuis les conclusions du programme de Stockholm en 2009, prévoyant notamment « un échange systématique d’informations, un recours important aux agences et aux outils d’investigation de l’Union et, le cas échéant, le développement de techniques communes d’investigation et de prévention et une coopération renforcée avec les pays tiers.»6.
Le programme de Stockholm a aussi émis la volonté de poursuivre l’action – qui avait déjà été définie au sein des bureaux de recouvrements – dans des observatoires pour la prévention de la criminalité (OPC) afin de « collecter, d’analyser et de diffuser les connaissances sur la criminalité, notamment la criminalité organisée (y compris les statistiques) et les moyens de la prévenir, de soutenir et d’encourager les États membres et les institutions de l’Union lorsqu’ils prennent des mesures préventives, et d’échanger les meilleures pratiques »7. Cet observatoire (OPC) aurait pour but, d’une part de servir de tremplin à un rapprochement sur la durée entres les politiques nationales des Etats-membres et d’autre part, de pouvoir quantifier l’impact réel des mesures entreprises afin de lutter contre la CTO de manière pragmatique. Dans ce volet, le programme de Stockholm a donc jeté les bases d’un nouveau système alliant prévention et harmonisation, ce qui constitue une originalité certaine lorsqu’on observe le durcissement législatif récent concernant la lutte contre la CTO. En effet, que ce soit dans le cadre des conclusions du conseil « justice et affaires intérieures » ou dans le cadre du rapport d’initiative sur la criminalité organisée par le Parlement européen, les nouveaux textes et cadre juridique ont essentiellement consisté en une consolidation et un affermissement de la logique répressive au détriment de la logique préventive. Ainsi, alors que les conclusions du conseil de Juin 2010 appelaient à « déterminer dans quel domaine l’action des autorités répressives et des autorités chargées des poursuites serait la plus efficace », le Parlement européen en octobre 2011 préconisait, entre autres mesures, de « s’attaquer aux patrimoines criminels, y compris ceux indirectement liés aux organisations criminelles et à leurs affiliés ». Ce durcissement législatif a, par ailleurs, été corrélé à une volonté de rapprochement spectaculaire entre les Etats-membres par le biais du principe de reconnaissance mutuelle – prévu à l’article 34 du traité sur l’Union Européenne – qui permet un rapprochement, entre les autorités judiciaires des différents pays, basé sur une confiance mutuelle entre celles-ci et plus uniquement de simple connexion momentanée et intermittente entre Etats souverains.
La multiplication des interventions des institutions européennes – depuis le tournant majeur que constitua la communication du Parlement européen et du Conseil du 20 novembre 2008 – Produits du crime organisé: garantir que le «crime ne paie pas» – s’explique en grande partie par les résultats « modestes » voire insuffisants obtenus dans ce domaine, en comparaison des revenus de la criminalité organisée.8 Or, en ces temps de crise économique dans la zone euro et d’euro-scepticisme rampant, la criminalité organisée apparaît comme un projet à même de créer un fort consensus et surtout de résorber les déficits importants de certains Etats-membres engendrés par la crise économique de 2008 pour peu que l’on prenne en considération les évaluations faites des montants des produits de la criminalité organisée. C’est pourquoi, l’Union Européenne, mais surtout la Commission européenne s’est engagée dans un combat déterminé contre toute forme de CTO. A ce titre, la proposition de directive – du parlement européen et du conseil concernant le gel et la confiscation des produits du crime dans l’Union Européenne en Mars 2012 – tente d’insuffler un vent nouveau à la lutte contrela CTO en réformant ou approfondissant certaines dispositions déjà existantes.
II- Un « effet Saviano » à l’échelle européenne : vers une lutte audacieuse et innovante contre la CTO ?
L’événement – que constitua la publication de « Gomorra » en 2007, mais aussi la parution récente de son dernier livre « Le combat continue. Résister à la mafia et à la corruption » – permet certainemenr d’accréditer la thèse d’un véritable « effet Saviano » à la vue des multiples résolutions, communications et autres conclusions proposées par les institutions européennes depuis 2008. Au-delà même de la visibilité apportée sur cette question par le succès du livre, la classe politique européenne a, aussi, pris conscience de manière simultanée, de l’étendue des activités criminelles en Europe et de leurs ramifications dans les sphères économiques, sociales voire politiques. A ce titre, la récente proposition de directive et la mise en place d’une commission spéciale par le Parlement européen sont autant de signe qu’ « enfin l’Europe envoie un message clair aux organisations criminelles et aux gangs » selon Sonia Alfano, eurodéputée italienne du groupe ADLE et rapporteure du Parlement sur la lutte contre le crime organisé.
A- Une proposition de directive visant à combler les lacunes existantes.
Cette proposition de directive du 12 Mars 2012 se fait dans un contexte élargi comme nous venons de l’évoquer. Elle s’inscrit également au sein d’une série de mesures déterminante pour l’UE – train de dispositions «anticorruption» de l’UE et la stratégie antifraude élaborée parla Commission- elles-mêmes ancrées à la stratégie 2020. Or, si la proposition de directive vient poursuivre le travail mise en œuvre dans un cadre législatif plus large, il n’en reste pas moins qu’elle constitue aussi une véritable rupture par son audace et l’ouverture vers le renforcement des coopérations qu’elle entend soutenir. Pourla Commissioneuropéenne, il est temps de s’attaquer de manière ferme et direct aux réseaux criminels et à la corruption, par le biais du gel et de la confiscation des produits du crime, qui nonobstant son pouvoir de nuisance est très faiblement utilisé contre les CTO.9 Cette proposition de directive vise donc avant tout la mise en œuvre d’une réglementation inédite afin de permettre une simplification des règles existantes, mais aussi une collaboration renforcée entre les Etats-membres, tout en comblant les lacunes des dispositions précédentes.
A ce titre, la proposition de directive prévoit :
- Un renforcement de la confiscation élargie afin d’autoriser les Etats-membres à geler et confisquer des avoirs qui – sans être liés à une infraction immédiate – ont été obtenus grâce à une activité criminelle.
- Une consolidation des confiscations des avoirs de tiers, qui devraient connaitre l’existence criminelle de l’origine des avoirs.
- L’obtention d’une condamnation pénale pour cause de décès, de maladie permanente ou de fuite du suspect.
- La mise en œuvre d’un gel temporaire par les procureurs des avoirs qui risquent de disparaître à défaut d’intervention.
La proposition de directive cherche donc avant tout la simplification des règles existantes et l’efficacité des procédures, tout en renforçant nettement les prérogatives des Etats-membres en ces domaines. L’analyse d’impact vient, d’ailleurs, corroborer les propositions formulées par la commission, en mettant en exergue le fait qu’à divers degrés d’interventions de l’UE10 « l’option législative a maxima – incluant une action en matière de reconnaissance mutuelle – » semble être celle qui donne le plus d’efficacité aux décisions de gels et de confiscations des avoirs. Entre autres impacts, cette option devrait permettre une meilleure harmonisation des règles, tout en respectant les principes de subsidiarité et de proportionnalité afférents aux droits fondamentaux. Toutefois, sur ce dernier point, certaines critiques ont été émises concernant l’éventuel caractère illégal de certaines propositions de la Commission, risquant notamment d’enfreindre les droits individuels. Ainsi, le journal suédois Dagens Nyheter affirmait notamment que les propositions de la directive risquait de créer « un déséquilibre gênant en faveur de la police et des procureurs”, malgré l’affirmation de la mise en œuvre – par la Commission dans sa proposition de directive – de « solides mesures protégeant les droits fondamentaux, notamment que le droit à la présomption d’innocence et le droit de propriété sont respectés. ».
La proposition de directive est donc audacieuse, en ce sens qu’elle permet une confiscation et un gel ordonnés des avoirs, même en l’absence de condamnation dans les cas évoqués préalablement. Si aucun consensus n’a été trouvé sur la destination des gains attendus d’une telle mesure au sein des Etats-membres, la Commissiona, toutefois, préféré préciser que cette proposition de directive n’aurait « aucune incidence sur le budget de l’UE », ce qui exclut une réaffectation possible des produits tirés de ces gels et confiscations des avoirs à l’échelle européenne. Par ailleurs, malgré l’avancée concrète et indéniable d’une telle proposition, le Parlement a décidé d’aller plus loin en se prononçant deux jours après la proposition de directive pour la mise en place d’une commission spéciale sur les organisations criminelles.
B- La création d’une commission spéciale sur les organisations criminelles : Simple acte de communication ou réelle menace pour les CTO ?
La mise en œuvre de cette commission spéciale – point d’orgue du rapport de S. Alfano en septembre 2011- avait déjà été discutée et approuvée à la quasi-majorité en octobre 201111. Cette résolution avait fait grand bruit en montrant qu’un projet apparaissant comme utopiste, il y a de cela quelques années, était en passe d’être concrétisé sous l’impulsion du Parlement Européen. Ce coup de projecteur – orchestré par un trio de députés italiens ayant fait de la lutte contre la mafia la raison d’être de leur engament politique – avait notamment permis de définir une batterie de recommandation telles que : la confiscation du patrimoine des criminels, la protection des témoins de justice ou encore l’interdiction pour les anciens détenus mafieux de se présenter à des élections. Sans remettre en question le bien fondé de telles recommandations, beaucoup s’interrogeaient sur les moyens réels alloués à un tel projet et y voyaient uniquement un effet d’annonce pour suspendre la classe médiatique à ces questions primordiales.
A cette suspicion, la décision du Parlement Européen – créant la commission spéciale sur le crime organisé, la corruption et le blanchiment d’argent – semble indiquer que les recommandations d’octobre dernier ne seront pas que des mots sans conséquences. En effet, cette commission spéciale aura des pouvoirs réels, lui permettant notamment d’enquêter sur les comportements des CTO. Tout comme dans le cas de la proposition de directive, l’objectif principal de cette commission spéciale sera de saisir les produits du crime. Pour ce faire, la commission spéciale disposera d’une année, renouvelable une fois, pour mener une série d’enquête afin d’ « analyser et évaluer l’ampleur de la criminalité organisée, de la corruption et du blanchiment de capitaux, ainsi que ses effets sur l’Union et les États membres, et proposer des mesures permettant à l’Union européenne de prévenir et de combattre ces menaces, notamment sur les plans international, européen et national ».12
Ces enquêtes devraient permettre à la commission d’évaluer, d’analyser et de quantifier l’infiltration des réseaux criminels au sein du secteur public, de l’économie réelle et du système financier. A ce titre, les représentants de la commission spéciale devront faire un véritable travail de terrain afin d’entendre les juges, les victimes, les organismes de la société civile et les institutions. Ils disposeront également d’un large pouvoir au cours de ces enquêtes pour « effectuer des visites et organiser des auditions avec les institutions de l’Union européenne, les institutions nationales, européennes et internationales, les parlements et les gouvernements des États membres et des pays tiers, ainsi qu’avec des représentants de la communauté scientifique, du monde des affaires et de la société civile, des acteurs de terrain, des organisations de défense des victimes». Au-delà de l’aspect purement analytique de la situation, le rapport final sera aussi proposé par la commission spéciale, revenant sur diverses propositions d’actions pour lutter efficacement et de manière coordonner contre la CTO. Cette commission spéciale – composée de 45 membres13 – aura donc la lourde tâche, à partir du mois d’avril, de trouver l’implantation des organisations criminelles afin d’éviter toute propagation des ces réseaux au sein de l’économie légale et du système financier.
Beaucoup d’attentes sont donc placés dans cette commission spéciale, sans pour autant savoir si les moyens dont dispose le Parlement Européen seront suffisants, face à des problèmes qui peuvent rapidement apparaître comme difficilement surmontables. A ce titre, si la volonté dela Commissionet du Parlement Européen apparaissent comme tout à fait louable, il n’en reste pas moins que dans la réalité des faits, les moyens mis en œuvre – pour lutter contre ce fléau et des réseaux criminels aussi puissants et organisés – apparaissent encore insuffisants.
Toutefois, la présence permanente récente de l’Union Européenne dans la lutte contre la CTOa relancé l’espoir de parvenir à des solutions concrètes dans les prochaines années, car comme le rappelait un député lors d’une intervention à l’assemblée nationale française en 2008, « la mafia s’est toujours développée, là où l’Etat était absent ». L’UE aspire donc, avant tout, à montrer que ce champ d’action – loin d’être abandonné comme il peut l’être à l’échelle national – constitue l’une des priorités dans l’espace européen de liberté, sécurité et justice.
Conclusion :
Après un premier élan de l’UE, afin d’organiser un cadre juridique en adéquation avec les obstacles rencontrées face à l’organisation transfrontière des réseaux criminels, beaucoup ont espéré, une relance qui soit proportionnelle aux capacités de nuisance et de pénétration de ces organisations sur le sol européen. Or, si les récentes propositions dela Commissionet du Parlement Européen semblent aller dans le sens d’une implication grandissante de l’UE sur les questions liées à la lutte contre les CTO, il n’en demeure pas moins que les pouvoirs de l’UE restent encore largement tributaires de la bonne volonté des Etats-membres, qui ne semblent pas faire de cette question une priorité de leurs agendas politiques.
Dés lors, certains experts voudraient, aujourd’hui, voir dans l’UE une possible fenêtre d’opportunité afin de mettre en œuvre ce qui n’est pas envisageable à l’échelle nationale. En effet, le caractère transnational du crime, mais aussi l’existence d’une corrélation forte entre développement international du crime organisé et l’affaiblissement de l’Etat dans un monde globalisé14 semblent accréditer l’idée que l’échelon européen est le seul à pouvoir maximiser l’efficacité des politiques de lutte contrela CTO. Ace titre, une question reste en suspend, ne devrait-on pas faire primer la logique d’unité et d’efficacité, au détriment d’une politique étatique centrée sur des intérêts égoïstes, déconnectés du monde extérieur qui l’entoure ?
Notes de bas de pages :
1- AROUET F.M dit Voltaire, Le Brutus, de Monsieur de Voltaire, Avec Un Discours Sur La Tragédie, Ed. Galle Ecco, P.66, 1730.
2- Voir en FR : COM(2008) 766 final – Non publiée au Journal officiel.
3- Voir en FR: 2002/475/JAI du Conseil du 13 juin 2002 relative à la lutte contre le terrorisme ; Voir en EN : Council Framework Decision of 13 June 2002 on combating terrorism
4- Art. 3 98/699/JAI: Action commune du 3 décembre 1998 adoptée par le Conseil sur la base de l’article K.3 du traité sur l’Union européenne, concernant l’identification, le dépistage, le gel ou la saisie et la confiscation des instruments et des produits du crime
5- Voir en FR : Identification et confiscation des instruments et des produits du crime ; Voir en EN : Identification and confiscation of instrumentalities and proceeds from crime
6- Ibid. Selon la commission, la confiscation « élargie » concerne la confiscation d’avoirs au-delà des produits directs d’une infraction, si bien qu’il est inutile d’établir une relation entre les avoirs présumés d’origine criminelle et une infraction précise.
7- Voir EN FR : 2012/0036 (COD), Proposition de directive du parlement européen et du conseil concernant le gel et la confiscation des produits du crime dans l’Union Européenne :
8- Selon la banque d’Italie, la criminalité organisée blanchirait près de 150 milliards d’Euros tous les ans uniquement en Italie. De ces produits du crime, seul 800 millions d’euros, ont été gelés en 2009 en Italie.
9- Selon les Nations-Unis, seul 1% des produits du crime sont à l’heure actuelle confisqués ou gelés à l’échelle mondiale.
10- Ibid note de bas de page No 5.
11- « Une option non législative, une option législative a minima (corrigeant les défauts du cadre juridique existant de l’UE qui l’empêchent de fonctionner comme le législateur l’entendait) et une option législative a maxima (dépassant les objectifs dudit cadre juridique). Au titre de cette dernière, deux sous-options législatives a maxima sont analysées, l’une incluant, l’autre excluant, l’action au niveau de l’UE en matière de reconnaissance mutuelle des décisions de gel et de confiscation entre États membres. »
12- La lutte anti mafia à l’ordre du jour au Parlement européen. La mafia un phénomène unique en Europe, mise en ligne :25 05 2011 ( NEA say n° 109 )
Voir en FR : Décision du Parlement européen du 14 mars 2012 sur la constitution, les attributions, la composition numérique et la durée du mandat d’une commission spéciale sur la criminalité organisée, la corruption et le blanchiment de capitaux ; Voir en EN : European Parliament decision of 14 March 2012 on setting up a special committee on organised crime, corruption and money laundering, its powers, numerical composition and term of office
13- Sur ces 45 représentants, on observe une surreprésentation de parlementaire italien avec 6 députés à leurs actifs. La liste définitive composant la commission spéciale a été définie le 29 mars 2012.
Voir : Commission spéciale sur le crime organisé dans l’UE: qui en fait partie?
14- DE MAILLARD J. Le marché fait sa loi. De l’usage du crime par la mondialisation, Ed. Mille et Une Nuits, 2001.
Pour en savoir plus :
-. Document de travail des services de la Commission européenne, résumé d’impact accompagnant la proposition de directive du Parlement Européen et du Conseil concernant le gel et la confiscation des produits du crime dans l’Union européenne
-. Constitution de la commission spéciale sur le crime organisée.
Commission spéciale sur le crime organisé dans l’UE: qui en fait partie?
-. Mandat de la commission spéciale sur le crime organisé, la corruption et le blanchiment d’argent
-. NEA say n° 109 du 25/05/2011
La lutte anti mafia à l’ordre du jour au Parlement européen. La mafia un phénomène unique en Europe
Gildas LE SAULNIER. (Institut d’Etudes Européennes de l’Université libre de Bruxelles ,étudiant master complémentaire).