Mark Zuckerberg, gouverneur suprême du réseau social, doit prendre en compte les abus de droit qu’exercent les administrateurs de Facebook, Google et autres : il est temps qu’ils respectent les utilisateurs, et il y a urgence. Il est temps que les cours souveraines européennes se penchent sur ce type de contentieux, un jugement prononcé par un tribunal national à l’évidence ne suffira pas.
Un internaute, juriste de formation, a ouvert sa page Facebook dès 2007. Il en a fait un usage classique, apolitique. Or, en 2010, sa page est clôturée par les administrateurs, sans qu’aucune raison ne soit fournie à l’intéressé. Il aurait été «signalé» par un autre utilisateur, mais ne sait ni par qui ni, surtout, pourquoi. Le banni de Facebook saisit le tribunal (précisément la juridiction de proximité de Bayonne) et, parallèlement, se rapproche de la Cnil, qui lui aurait indiqué une astuce pour se réinscrire. De fait, il ouvre une nouvelle page, laquelle est désactivée au bout d’une dizaine de jours.
La première décision de justice lui est défavorable: il lui est notifié qu’une clause du contrat validé au moment de l’adhésion à l’espace Facebook stipule que seuls les tribunaux californiens sont compétents en cas de désaccord. Mais le plaignant est tenace, il interjette appel. Et le 23 mars dernier, la cour d’appel de Pau lui donne raison. Les magistrats écrivent dans un arrêt totalement inédit: «Il apparaît à la lecture des conditions générales d’utilisation du site que les dispositions spécifiques relatives à la clause attributive de compétence à une juridiction des États-Unis est noyée dans de très nombreuses dispositions dont aucune n’est numérotée. Elle est en petits caractères et ne se distingue pas des autres stipulations. Elle arrive au terme d’une lecture complexe de douze pages format A4 pour la version papier remise à la cour et la prise de connaissance de ces conditions peut être encore plus difficile sur un écran d’ordinateur ou de téléphone portable, pour un internaute français de compétence moyenne.»
Conclusion: les tribunaux français sont parfaitement compétents pour trancher le litige, et la clause mise en avant par Facebook est si peu claire qu’elle est considérée comme «non écrite». Les comptes sont clôturés sans préavis et bien plus, l’avocat du plaignant s’en félicite, la cour estime que, «contrairement à ce que prétendait la société Facebook, la gratuité apparente de sa prestation de service suppose en réalité que les utilisateurs acceptent que Facebook puisse traiter et exploiter leurs données personnelles, ce qui constitue une source très importante du financement des activités de Facebook, et en conséquence cette prestation de service a bien une contrepartie financière». Corollaire: il est abusif de lier la gratuité de l’inscription et le risque d’une éviction qualifiée d’«arbitraire» par le conseil du plaignant.
Nul ne peut à présent présager de ce que pourrait être la décision de la justice française et les conséquences à plus long terme dans cette affaire : la compagnie dispose de quatre mois pour former, le cas échéant, un pourvoi en cassation. On peut imaginer un juge faisant un recours préjudiciel devant une des cours souveraines européenne, voire cas encore plus probable, un particulier saisir la Cour européenne des droits de l’homme. On peut se poser légitimement la question : si le plaignant finissait par avoir gain de cause ( il demande la réactivation de ses deux pages, moyennant le paiement d’une astreinte, et 3000€ de dommages et intérêts), il pourrait donner des idées à tous ceux qui seraient dans son cas, en France et à travers le monde. Nombreux sont ceux qui ont vu leur compte clôturé sans préavis ni explication. La mondialisation peut aussi montrer ses effets positifs. Ne parlons des autres causes de litiges. Facebook et les autres ne peuvent rester une zone de non-droit en particulier pour ses utilisateurs. Ne peut persister plus longtemps leur mépris des principes juridiques fondamentaux tels que la notion d’abus de droit. Pas de mise en demeure, pas d’avertissement, pas de contrôle préalable de la réalité d’éventuelles violations commises.
La désactivation d’un compte Facebook équivaut au bannissement, à la proscription des temps anciens. En théorie le compte n’est pas supprimé et peut être réactivé, mais aucun bouton ne le permet automatiquement. Les administrateurs Facebook envoient quant à eux des messages types affirmant sans preuve que la Déclaration des droits a été violée et que leur décision de désactivation est irrévocable. Périple qui arrive à trop de citoyens « facebookiens » démunis face à ce fameux message « votre compte a été désactivé. Si vous avez des questions ou des interrogations, vous pouvez visiter notre page des questions/réponses ». « Ils » violent allègrement la vie privée, s’approprient sans vergogne les images et les contenus de leurs utilisateurs. En cas de litige il faut s’adresser au tribunal de Santa Clara en Californie … c’est énorme !
En effet, l’article 16 de ces conditions générales indique : « Vous porterez toute plainte afférente à cette Déclaration ou à Facebook exclusivement devant les tribunaux d’Etat et fédéraux sis dans le comté de Santa Clara, en Californie. Le droit de l’Etat de Californie est le droit appliqué à cette Déclaration, de même que toute action entre vous et nous, sans égard aux principes de conflit de lois. Vous acceptez de respecter la juridiction des tribunaux du comté de Santa Clara, en Californie, dans le cadre de telles actions. » Facebook impose ses conditions sans armée ou menace militaire, sans armée d’occupation juste par son monopole. L’effet est le même.