Dans son rapport de 120 pages, intitulé « Choix et préjugés : la discrimination à l’égard des musulmans en Europe », Amnesty a concentré son enquête sur cinq pays : la Belgique, la France, les Pays-Bas, l’Espagne et la Suisse et dans le domaine de l’éducation et de l’emploi. Ses recommandations sont adressées principalement à la Commission européenne et au Conseil des ministres. Amnesty International appelle les gouvernements européens « à faire plus pour s’en prendre aux stéréotypes négatifs (…) contre les musulmans, qui attisent les discriminations. Au lieu de combattre ces préjugés, les partis politiques et les responsables publics vont trop souvent dans leur sens, espérant des retombées électorales ». »Les partis politiques répondent et alimentent les peurs de l’islam dans la société », explique John Dalhuisen, directeur du programme Europe et Asie centrale à Amnesty. « Depuis deux ou trois ans, il y a une volonté de mettre l’islam au cœur des débats politiques, confirme Henniche M’hammed, secrétaire général de l’Union des associations musulmanes de Seine-Saint-Denis. Depuis la mission ministérielle sur la burqa, il y a eu une multiplication des polémiques par l’UMP et le Front national, comme le Quick Halal, les minarets, les prières dans la rue. »
Le rapport met en évidence le fait que la législation interdisant la discrimination dans l’emploi n’est pas correctement appliquée en Belgique, en France et aux Pays-Bas. Certains employeurs ont pu s’affranchir de l’obligation de l’égalité de traitement en invoquant le motif que tel ou tel symbole culturel ou religieux allait déplaire aux clients ou aux autres membres du personnel, ou bien qu’il était incompatible avec l’image de l’entreprise ou allait à l’encontre de sa « neutralité ».
Dans le domaine de l’éducation, le rapport constate que des interdictions du port du voile ou d’autres vêtements religieux et traditionnels à l’école ont été prononcées dans de nombreux pays. Pour Amnesty, « la règle générale devrait être celle de la présomption du droit des élèves de porter des signes religieux à l’école ». Toute restriction serait ensuite examinée au cas par cas. Toute interdiction doit avoir un objectif légitime ? sécurité publique, ordre, santé, moralité, ou encore libertés et droits fondamentaux d’autrui ? et être à la fois proportionnée et nécessaire au dit objectif.
Selon Amnesty, il incombe aux États de justifier toute restriction de la liberté des personnes d’arborer des signes manifestant leur religion ou leurs convictions. « L’interdiction d’afficher des signes religieux quand elle se fonde sur des spéculations ou des présupposés plutôt que sur des faits démontrables constitue une violation de la liberté de religion des individus », souligne-t-elle. Le rapport examine par ailleurs les obstacles à l’implantation de lieux de culte musulmans et les lois interdisant le port du voile intégral.
Quelle est la situation des musulmans en France selon Amnesty ?Le rapport cite plusieurs cas de discriminations dans le domaine de l’emploi et souligne l’importance du rôle joué par la Halde et le défenseur des droits pour fournir des orientations aux employeurs dans l’application de la législation et une assistance aux victimes de discrimination.
Amnesty affirme par ailleurs que le gouvernement français devrait examiner périodiquement l’application de la législation interdisant les signes religieux ostentatoires dans les écoles publiques afin d’éviter les abus. Enfin, Amnesty dénonce l’interdiction totale des signes religieux ostentatoires dans les écoles en France, arguant du fait que « porter des symboles ou des vêtements religieux ou culturels fait partie du droit de liberté d’expression ». « L’interdiction de porter des vêtements (…) n’est pas la bonne approche. Une interdiction générale risque de porter préjudice à l’accès des filles à l’éducation et de violer leur droit de liberté d’expression », poursuit Amnesty.
« Il y a de plus en plus de gens qui nous disent que pour trouver un emploi ou un logement, c’est très difficile « , dit Henniche M’hammed. Le rapport d’Amnesty International dénonce d’abord la discrimination à l’embauche envers les personnes musulmanes. « Dans de nombreux pays européens, les taux d’emploi des musulmans sont inférieurs à ceux des non-musulmans. Les employeurs sont autorisés, en violation de la législation européenne, à discriminer des musulmans sous prétexte que les symboles religieux ou culturels agaceront les clients ou les collègues », note l’organisation de défense des droits de l’homme. « Au cours des dix dernières années, on a constaté qu’il y a un désir sociétal et politique de réduire la présence visible de l’islam car cette religion serait une menace », ajoute John Dalhuisen.
L’organisation dénonce aussi l’accès limité fait aux musulmans pour prier, notamment en Suisse, où la population a voté en 2009 contre la construction de nouvelles mosquées, et en Catalogne (Espagne), où certains doivent prier dehors faute de lieux de prière adéquats. « Dans le 93, une seule mosquée a été construite depuis 2005, celle de Tremblay-en-France en mars 2011, indique Henniche M’hammed. Il y a trente projets dans le département mais les maires bloquent. Les gens ont l’impression qu’il y en a beaucoup plus car lorsque l’on en construit une on en parle beaucoup. »
Enfin, Amnesty dénonce l’interdiction totale des signes religieux ostentatoires dans les écoles en France, arguant du fait que « porter des symboles ou des vêtements religieux ou culturels fait partie du droit de liberté d’expression ». « L’interdiction de porter des vêtements (…) n’est pas la bonne approche. Une interdiction générale risque de porter préjudice à l’accès des filles à l’éducation et de violer leur droit de liberté d’expression », poursuit Amnesty. « Ce principe de la laïcité n’a pas de justification en terme de droits de l’homme, insiste John Dalhuisen. On a diabolisé le voile et l’islam, au lieu de les banaliser. Cette question est devenue polémique alors que cela ne l’était pas, car on a greffé des peurs dessus. »
Le rapport d’Amnesty fait écho à celui du Collectif contre l’islamophobie en France. Les « insultes et agressions » islamophobes à l’encontre des personnes physiques ont augmenté de « 72 % entre 2010 et 2011 », selon le rapport annuel de l’association, rendu public le 13 avril. Ainsi 262 agressions verbales ou physiques ont été recensées, contre 152 répertoriées en 2010.
Quelles sont les recommandations ?
Amnesty International appelle les institutions européennes et les gouvernements européens à prendre des mesures pour mettre fin à la discrimination sur le marché du travail et dans l’éducation et garantir le droit des musulmans de disposer de lieux de culte adéquats. En matière de discrimination sur le marché du travail, Amnesty souhaite notamment que le Conseil de l’Union européenne adopte le projet de nouvelle directive en matière d’égalité.
Afin de mettre fin à la discrimination que subissent les musulmans sur le marché du travail Amnesty International recommande :
– . Les gouvernements doivent garantir que les entreprises du secteur privé n’interdisent pas le port de tenues et de signes religieux et culturels uniquement pour se conformer au principe de neutralité ou pour promouvoir une certaine image d’elles mêmes ou pour plaire à leur clients.
-. La Commission européenne doit veiller à ce que la directive-cadre en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi soit mise en œuvre conformément aux normes internationales de lutte contre la discrimination. La notion « d’exigence essentielle pour le déroulement de l’activité professionnelle » doit notamment faire l’objet d’une interprétation stricte.
-. La Commission européenne doit surveiller l’impact de la discrimination en matière d’emploi à l’égard des femmes appartenant à des minorités ethniques et religieuses et faire des propositions afin de lutter contre les multiples formes de discriminations dont ces femmes sont victimes.
Afin de veiller à ce que les élèves et les étudiants puissent exercer leurs droits à la liberté d’expression et de religion sans subir de discriminations, Amnesty International recommande :
-.les gouvernements doivent éviter de mettre en place des interdictions totales de port de tenues et de signes religieux et culturels dans le cadre religieux.
-.Les gouvernements doivent veiller à ce que les écoles qui adoptent une restriction concernant le port de tenues et de signes religieux et culturels ne le fassent que pour des motifs conformes aux principes du droit international relatif aux droits humains et seulement lorsque ladite restriction est nécessaire et proportionnée à la réalisation de ces objectifs.
-. Le Conseil de l’Union européenne doit adopter le projet de nouvelle directive en matière d’égalité qui permettrait de lutter dans toute l’UE contre la discrimination fondée sur des motifs d’appartenance à une religion ou de convictions religieuses dans plusieurs domaines dont l’éducation.
Afin de garantir le droit des musulmans de disposer de lieux de culte adéquats Amnesty International recommande :
-. Les autorités gouvernementales doivent engager une véritable consultation des groupes religieux et des autres associations locales afin d’évaluer leurs besoins lorsqu’elles élaborent ou révisent les plans locaux d’urbanisme. Des dispositions doivent prévoir des espaces réservés, le cas échéant, à la construction de nouveaux lieux de culte.
-. Les autorités ne doivent pas refuser la création d’un nouveau lieu de culte uniquement au motif que certains habitants du quartier concerné s’y opposent.
-. Les autorités doivent faire comprendre que la création de lieux de culte est un composant essentiel du droit à la liberté de religion ou de conviction, et elles doivent lutter contre les stéréotypes relatifs aux mosquées. S’agissant du voile intégral, Amnesty International fait la recommandation suivante :
S’agissant du voile intégral, Amnesty international recommande
-. Les gouvernements doivent s’abstenir d’adopter des interdictions totales et veiller à ce que toute restriction soit nécessaire et proportionnée à la réalisation d’un objectif reconnu par le droit international relatif aux droits humains.
Texte intégral du rapport (FR) (EN)http://www.amnesty.org/en/library/asset/EUR01/001/2012/en/85bd6054-5273-4765-9385-59e58078678e/eur010012012en.pdf
Résumé en français http://www.amnesty.org/fr/library/asset/EUR01/002/2012/fr/7e03b713-89d0-4134-818a-0cb003d42422/eur010022012fr.pdf