Une information qui n’aurait pas dû passer inaperçu en période d’élections présidentielles françaises et pourtant…Inintéressante, ennuyeuse, creuse, éloignée des préoccupations des Français, les qualificatifs négatifs n’ont pas manqué pour décrire la campagne électorale pour l’élection présidentielle de 2012. Certains sujets ont été peu abordés, voire même oubliés. Parmi les sujets négligés ou malmenés c’est l’Europe qui remporte incontestablement la palme. S’agissant de l’Europe, on peut considérer que si elle n’a pas tant que ça été la grande oubliée de la campagne, elle en a été, d’une manière générale, la grande mal aimée. Car d’Europe, en réalité, certains candidats en ont parlé, mais c’était le plus souvent pour la critiquer et la rendre responsable de tous les maux de notre société : le chômage ? C’est l’Europe. La dette ? L’Europe ! La croissance en panne ? L’immigration incontrôlée ? La délinquance, les trafics, la grande criminalité internationale organisée, l’insécurité ? Encore, et toujours l’Europe ! Les voix venues des extrêmes ont atteint des records qu’il sera, à l’avenir, difficile de battre.
Alors comment expliquer cette tonalité anti-européenne de la part de nombreux candidats et surtout est-ce en accord avec l’opinion moyenne des français ? Qu’en pensent-ils en réalité ? Nous le savons assez bien suite à l’enquête Eurobaromètre Flash, commandée par la Représentation en France de la Commission européenne, sur les attitudes des Français vis-à-vis de l’Union européenne. Cette enquête, qui a eu lieu quelques semaines seulement avant le premier tour de l’élection présidentielle, reprenait un certain nombre de questions posées dans des enquêtes similaires, en 2006.
En premier lieu comment les français envisagent-ils l’avenir de leur situation personnelle ? leur opinion sur la manière de sortir de la crise ? quel est le meilleur niveau de décision pour apporter des réponses à la crise ? Les Français sont- ils favorables ou opposés à un certain nombre de propositions destinées à sortir de la crise ? Quelle est leur attitude générale à l’égard de la construction européenne ? Quels sont leurs souhaits en matière d’information? Telles sont les quatre questions posées et un constat conclusif qui surpasse tout le reste : les français veulent être informés et sont parfaitement conscients des faiblesses en matière d’information.
– . 1. Les français champions du pessimisme ? Si les Français sont pessimistes, ils demeurent toutefois confiants quant à leur avenir. De plus, la majorité d’entre eux estime que l’Europe demeure le meilleur instrument pour sortir de la crise et que davantage de coordination et de convergence est nécessaire. Enfin, le rapport note que les Français aimeraient que les responsables politiques et les médias parlent plus et mieux d’Europe.
Les Français les plus pessimistes du monde (très loin devant les iraquiens et les soudanais), une opinion qui mérite d’être nuancée. Certes, lorsqu’on les interroge sur la manière dont, selon eux, leur situation personnelle va évoluer au cours des trois prochaines années, une courte majorité des Français se dit pessimiste : c’est le cas de 52% d’entre eux, dont 12% qui se disent même « très pessimistes ». Mais à l’inverse, 47% des Français continuent de se dire optimistes. En termes d’évolution, cela représente une inversion de l’opinion majoritaire par rapport à l’enquête Eurobaromètre Flash réalisée au printemps 2009 : quatre Français sur dix étaient alors pessimistes (40%), contre 56% d’optimistes. En trois ans, les perspectives d’avenir des Français sur leur situation personnelle se sont sévèrement détériorées, c’est indéniable. Mais au-delà de cette dégradation, on peut également lire ces résultats de manière plus positive : alors qu’on les qualifie de « rois du pessimisme » et que le contexte économique est décrit comme très dégradé, près d’un Français sur deux est optimiste lorsqu’il pense à son avenir personnel. C’est un résultat qu’on peut trouver encourageant.
Concernant le futur de leur vie en général, l’indice d’optimisme des Français est de +8 bien loin donc du -52 mesuré en Grèce et supérieur à celui de 19 Etats membres de l’Union européenne.
-. 2. Les français tentés par le repli sur soi ? Bien au contraire, ils ont le sentiment qu’on ne pourra pas sortir de la crise sans l’Europe. Alors comment sortir de la crise ? Faut-il, dans ce contexte socio-économique particulièrement lourd, se replier sur soi ? Une partie des Français semble tentée par cette solution et les résultats du premier tour de l’élection présidentielle, le 22 avril dernier, l’ont d’ailleurs confirmé. Mais cela reste l’expression d’une minorité : appelés à choisir le meilleur niveau pour répondre à la crise économique actuelle, une majorité des Français estime que le niveau européen est le plus pertinent (52%), tandis qu’une minorité importante considère au contraire que les réponses devraient être apportées au niveau national (38%). Moins d’une personne interrogée sur dix répond spontanément « les deux » (8%). A un problème global, les Français préfèrent une réponse collective, une réponse européenne. Ils semblent avoir pleinement conscience qu’ils sont étroitement liés au sort des autres Etats membres – tant ceux qui sont les plus en difficulté, que ceux qui au contraire semblent déjà sortis de la crise-, et que c’est donc ensemble que les réponses doivent être apportées. C’est un résultat important d’autant plus que cette réponse européenne s’impose dans quasiment toutes les catégories de Français même si ceux qui estiment que leur situation est mauvaise ont plus tendance que les autres à trouver la dimension européenne non pertinente même s’ils sont malgré tout 41% parmi ceux qui estiment leur situation mauvaise, à trouver la dimension européenne pertinente.
Alors que, pendant la campagne électorale, on a parfois entendu parler de remise en cause des règles communes, de renégociation des traités européens, voire même de l’abandon de la monnaie unique européenne, ou de sortir de Schengen, les Français, dans leur majorité, n’imaginent pas sortir de la crise sans l’Europe.
-. 3. Quelles sont les différentes mesures retenues en priorité pour sortir de la crise ? les français sont en faveur de davantage de coordination et de convergence. Invités à donner leur opinion sur différentes mesures destinées à lutter contre la crise, les Français se montrent très largement favorables à huit des neuf propositions testées. Seule l’interdiction d’importer les produits de certains pays, qui ne figure d’ailleurs pas à l’agenda des institutions européennes, ne recueille pas d’assentiment majoritaire. Rappelons ces propositions :une réglementation plus stricte des marchés financiers, un programme pour relancer la croissance en Europe, le principe de réciprocité dans les échanges internationaux, davantage de décisions prises en Europe à la majorité plus qu’à l’unanimité,, un plus grand contrôle de l’Union européenne sur les budgets des Etats membres, un contrôle plus poussé des agences de notation,, une taxe sur les transactions financières, un rapprochement de la fiscalité des Etats membres, l’interdiction d’importer les produits de certains produits. Bref, à une exception près tout ce que l’Union européenne apporte déjà, propose ou rendra possible à l’avenir.
Plusieurs de ces mesures vont directement dans le sens d’une convergence des politiques européennes, et d’un rôle accru donné à l’Union et à ses institutions : en effet, huit Français sur dix s’expriment en faveur de « davantage de décisions prises en Europe à la majorité plutôt qu’à l’unanimité » : 80% y sont favorables, dont 27% « tout à fait favorables ». Et entre sept et huit sur dix s’expriment pour « un plus grand contrôle de l’Union européenne sur les budgets des Etats membres » (79%, dont 33%) et « un rapprochement de la fiscalité des Etats membres » (71%, dont 30%).
La réponse des Français sur la nécessité d’apporter des réponses européennes à la crise n’est donc pas qu’une vague déclaration d’intention : lorsque des propositions concrètes leur sont soumises, ils se montrent très largement favorables à des solutions européennes. Et notamment à davantage de convergence des politiques fiscales et budgétaires des différents Etats membres. Ce n’est pas rien
-. 4. Y-a-t-il un grand malentendu ? Comment expliquer ces réponses assez étonnantes ? Contradictoires avec ce qu’on entend habituellement, à gauche comme à droite et y compris en dehors des extrêmes? Est-ce par facilité, faiblesse des politiques et des médias , pour s’attirer les faveurs d’une majorité de citoyens supposée en y être opposée ? Défaveur supposée mais non vérifiée jusqu’à ce que l’étude Eurobaromètre apporte un démenti assez cinglant. On reste assez perplexe, même si ce n’est pas la première fois qu’on assiste à un tel phénomène : récemment on a vue toute la classe politique sans exception s’opposer ou prendre ses distances avec le projet donnant le droit de vote aux élections locales, aux étrangers résidant légalement depuis plus de cinq ans alors qu’un sondage nous révélait que plus de 60% des français y étaient favorables.
Un sondage Viavoice pour le quotidien Libération, réalisé au lendemain du premier tour de l’élection présidentielle, révèle ainsi qu’un Français ayant voté à l’élection présidentielle de 2012 sur cinq cite « préparer l‘Europe de demain », comme l’un des enjeux principaux l’ayant incité à voter pour le candidat qu’il a choisi. C’est même le quatrième item cité, derrière les thématiques « hyperdominantes » que sont, surtout en temps de crise, la réduction des inégalités sociales (30%), la réduction du chômage (23%) et la réduction de la dette publique (21%). Dans l’ordre des motivations des votes, c’est une performance remarquable à défaut d’être remarquée. L’Europe a donc joué un rôle important dans le choix électoral pour de nombreux Français.
Par ailleurs, l’enquête Eurobaromètre Flash confirme que les Français sont, dans l’ensemble, plutôt bien disposés à l’égard de l’Union européenne. Ainsi, une nette majorité d’entre eux reconnaît les apports de la construction européenne, dans trois domaines clés : la paix, la puissance face aux autres pays du monde et la prospérité économique.
C’est particulièrement net s’agissant du maintien de la paix, qui était à l’origine du projet européen. « La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. La contribution qu’une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien des relations pacifiques». Le rôle de l’Union dans le maintien de la paix reste incontestable pour une nette majorité des Français : plus des trois quarts d’entre eux sont d’accord avec la proposition selon laquelle « la construction européenne permet de garantir la paix sur notre continent » (76%, +1 point depuis avril-mai 2009). Un peu plus d’un cinquième d’entre eux est d’un avis contraire (22%, stable). La déclaration Schumann ne commençait-elle pas par la phrase suivante : « la paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent. La contribution qu’une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien des relations pacifiques».
Deux tiers des Français adhèrent à la proposition selon laquelle « la construction européenne nous rend plus forts face au reste du monde » (66%, contre 32%) malgré un recul important depuis avril-mai 2009. Enfin, c’est sur les apports de la construction européenne en termes de prospérité de la France que les Français sont les plus divisés. Malgré une certaine érosion, une majorité absolue de personnes interrogées continue d’être d’accord avec cette proposition (54% -3 points, contre 43% d’un avis contraire, + 6 points).L’Europe a de l’importance, pour les Français : ils en ont tenu compte pour choisir leur candidat et s’accordent pour apprécier un certain nombre de bénéfices de la construction européenne.
-. Les Français sont-ils lucides sur l’information qu’ils reçoivent ? Un premier constat s’impose, sans appel : les Français sont mal informés sur l’Union européenne. C’est l’opinion de deux tiers d’entre eux, contre seulement un tiers qui se dit bien informé sur la vie politique de l’Union européenne. Mais alors qu’ils pourraient ne montrer que peu d’intérêt pour l’Europe avec toutes les excuses et circonstances atténuantes à leur égard, c’est tout l’inverse qui se passe : une très large majorité de Français souhaite vivement que les responsables politiques français, mais également les médias, parlent davantage de l’Europe. C’est en tout cas l’opinion de plus des trois quarts d’entre eux, tant en ce qui concerne les responsables politiques français (76%, stable par rapport à avril-mai 2009), que les médias (76%, +5 points). C’est un autre résultat marquant de cette enquête Eurobaromètre Flash.
CONCLUSION
Un constat global : l’enquête Eurobaromètre Flash, réalisée quelques semaines avant le premier tour de l’élection présidentielle, à un moment où la campagne électorale était déjà bien lancée, éclaire le rapport des Français à l’Union européenne d’une lumière plutôt bienveillante et positive. Dans un contexte économique particulièrement difficile, avec un pessimisme sur l’avenir de leur situation personnelle qui a fortement augmenté en trois ans, malgré tout cela une majorité absolue des Français a le sentiment que les réponses à la crise doivent être apportées au niveau européen, contre un peu plus d’un tiers seulement qui privilégie au contraire le niveau national. D’ailleurs, les Français adhèrent très largement à plusieurs mesures qui vont dans le sens de davantage de convergence des politiques des différents Etats membres et de pouvoirs accrus pour l’Union européenne.
S’agit-il d’une adhésion fervente et enthousiaste ? Plutôt un pragmatisme qu’on pourrait qualifier de bon aloi. Les Français sont parfaitement conscients qu’aujourd’hui, l’Europe est là, et qu’ils ne peuvent pas faire sans. Prendre des décisions au niveau national uniquement, dans un monde globalisé où les situations des uns et des autres ont des conséquences directes sur l’économie française, n’est pas vraiment raisonnable. Adopter une attitude contraire, c’est ne pas faire preuve d’une grande lucidité quant au sens de ses intérêts. De ce fait l’Union est incontournable et les bénéfices de la construction européenne sont fortement appréciés encore faut-il leur en parler ! et leur en parler de façon équilibrée sinon objective : l’Union européenne, c’est ceux qui l’aimaient le moins qui en ont le plus parlé ! Les Français qui sont enfin lucides sur leur mauvaise information sur l’Union, affichent fermement leur envie de voir leurs médias, mais aussi leurs hommes et leurs femmes politiques, parler davantage de l’Union européenne et de façon moins abstraite en donnant des exemples concrètes sur les bénéfices de la construction européenne , sur ce que l’Union apporte, propose et rend possible dans le quotidien des Français. Chacun de ces éléments a son importance et chacun de ces éléments doit être décliné avec autant de force que de clarté.
(1) C’est la conclusion tirée par Julien Zalc consultant pour TNS Opinion auteur de l’étude