Alors qu’Amnesty International vient de consacrer un rapport à la discrimination à l’égard des musulmans en Europe, Amnesty France se penche sur les discriminations antichrétiennes. La Chronique, le magazine mensuel d’Amnesty France, consacre le dossier de son numéro de mai aux discriminations antichrétiennes. Un premier article, signé Henri Tincq, journaliste, spécialiste des questions religieuses au Monde jusqu’en 2008, propose un état des lieux. Se gardant d’abuser du terme de « christianophobie », l’auteur constate que dans les rapports du Vatican, comme dans ceux d’Amnesty International ou du département d’État américain, « s’exprime la même inquiétude sur l’avenir de la liberté religieuse ». Cette inquiétude a été relayée par plusieurs députés au sein du Parlement européen. Le Conseil affaires étrangères de l’Union européenne s’en est également fait l’écho. (cf. Nea say)
Les plus menacés, note Henri Tincq, sont les chrétiens du Maghreb et du Moyen-Orient, estimés entre 10 et 15 millions. « La guerre du Liban, la Révolution islamique en Iran, la guerre civile en Algérie, le long chaos irakien, la poussée islamiste en Palestine (avec le Hamas) avaient été des traumatismes synonymes de marginalisation et d’exode. Les chrétiens ont survécu comme citoyens de seconde zone, mais la hiérarchie s’est parfois compromise avec les régimes de dictatures en place (Irak, Syrie, Libye, et aujourd’hui Syrie). A l‘heure du Printemps arabe, les chrétiens à nouveau menacés par le vent de l’Histoire, déchirés entre l’aspiration à la démocratie et la menace des islamistes conquérants dans les urnes. En Égypte, en Syrie, ils sont déstabilisés, isolés et peinent à trouver leur place sur des échiquiers politiques encore instables. »
Henri Tincq aborde ensuite la situation des chrétiens dans certains pays d’Afrique noire ? notamment le Nigeria où l’islamisme est une menace, au Nord Soudan d’où les chrétiens ont été priés de partir, et dans des régions musulmanes réputées plus tolérantes (au Sénégal, au Tchad, dans le Nord Bénin, le Nord-Togo, au Burkina Faso, au Niger, au Mali), « où la tradition de dialogue entre chrétiens et musulmans se heurte à la conception plus militante de l’islam importée par de jeunes musulmans formés en Arabie Saoudite, en Égypte ou en Iran ».
Concernant l’Asie, l’auteur explique que dans les pays à domination musulmane, Indonésie, Malaisie, Pakistan, la cohabitation avec les chrétiens ultra-minoritaires devient également plus difficile, alors qu’en Inde, c’est l’extrémisme hindou qui constitue la principale menace, et qu’en Corée du Nord comme en Chine, ce n’est pas l’intolérance religieuse, mais l’athéisme d’État qui entraîne la persécution des chrétiens. Au Vietnam, ajoute-t-il, le gouvernement tente de faire plier des communautés chrétiennes à l’avant-garde de la contestation.
L’avenir des coptes en Égypte et des chrétiens en Syrie : dans un second article, le P. Jean Jacques Pérennès, directeur de l’Institut dominicain d’études orientales au Caire, évoque l’avenir incertain des coptes en Égypte. Le dominicain, arrivé en Égypte en mai 2000, après avoir été assistant du Maître de l’Ordre dominicain à Rome de 1992 à 1998, explique que, si début 2011, les Égyptiens ont tourné en dix-huit jours la page de trente années du régime de Hosni Moubarak, il est encore difficile de mesurer la portée de ce changement qui ébranle la société égyptienne, et de savoir si les coptes, « qui représentent environ 10 % de la population, soit environ 8 millions d’Égyptiens, ce qui fait d’eux et de loin le plus gros groupe des chrétiens d?Orient » , tireront bénéfice de ce bouleversement.
Après avoir listé les raisons qu’ont les coptes d’être inquiets mais aussi rappelé des prises de position courageuses « qui augurent d’un meilleur équilibre », il conclut ainsi : « On peut espérer que, sous la forte contrainte des réalités économiques et sociales, la majorité islamiste maintenant au pouvoir en Égypte soit obligée de modérer la surenchère idéologique au profit d’un certain réalisme qui permette à tout Égyptien de vivre selon ses convictions ».
Un dernier article est consacré aux chrétiens de Syrie pris en étau. Guyonne de Montjou, journaliste, auteur de Mar Moussa : Un monastère, un homme, un désert (Albin Michel, 2006) rappelle que dès le début de la contestation, en février 2011, l’attitude des chrétiens de Syrie (7 à 10 % de la population) a suscité commentaires et interrogations. Mais, explique-t-elle, si le clergé soutient Bachar Al Assad, et si la majorité des baptisés de Syrie est convaincue que le régime de Bachar est son plus sûr protecteur, certains chrétiens ont rejoint les rangs de l’opposition dans l?espoir que la liberté et la démocratie leur assureraient à terme plus de sécurité. « Le conflit irakien est le véritable spectre qui les hante, note-t-elle cependant : tous connaissent le sort tragique de ceux qui, depuis la chute de Saddam Hussein en 2003, envahissent avec leurs valises les paroisses d’Alep et les ruelles de Bab Touma (le quartier chrétien de Damas) ». En conclusion, Guyonne de Montjou s’interroge sur l’avenir de « vernis laïque » qui tenait la société.
Ce numéro de mai de La Chronique propose également un article qui se focalise sur l’hiver des chrétiens d’Irak.
Amnesty International a publié le 24 avril 2012 un rapport sur la discrimination à l’égard des musulmans en Europe, écrit par Marco Perolini, chercheur, spécialiste à Amnesty International à Londres des questions de discrimination (cf. Nea say n° 121).
Amnesty France : « un panorama des discriminations antichrétiennes » http://www.amnesty.fr/AI-en-action/Discriminations/Discriminations/Actualites/Un-panorama-des-discriminations-anti-chretiennes-5227