À l’avenir, les sans-papiers pourront être emmenés au commissariat, afin que des mesures de vérification de leur identité puissent être menées, mais ne pourront pas y demeurer plus de quatre heures. En la matière la Cour de cassation a suivi la jurisprudence européenne qui estime que le seul fait de se trouver en situation irrégulière ne constituait pas un délit justifiant une peine de prison.(cf.Nea say)
Les étrangers en situation irrégulière ne peuvent pas être placés en garde à vue, s’ils ne sont pas soupçonnés d’un autre délit: ainsi a tranché la chambre criminelle de la Cour de cassation. Comme souvent, le changement s’est glissé via la jurisprudence européenne. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a en effet estimé à deux reprises en 2011 que le seul fait de se trouver en situation irrégulière ne constituait pas un délit justifiant une peine de prison. Or, en droit français, ne peuvent être placées en garde à vue que les personnes encourant une peine d’emprisonnement.
Les tribunaux français ont du coup rendu ces derniers mois des décisions contradictoires. L’avis rendu le 5 juin, destiné à la première chambre civile de la haute juridiction, qui voulait connaître la position de la chambre criminelle avant de se prononcer – signe de la sensibilité du dossier – devrait désormais faire jurisprudence. Plusieurs dizaines de milliers de sans-papiers sont interpellés par an en dehors de tous faits délictuels – par exemple, à l’occasion de contrôles d’identité. Auparavant, ils étaient placés en garde à vue pendant 24 ou 48 heures. Quelques centaines d’entre eux étaient incarcérés. Les personnes ne justifiant pas d’une situation régulière pouvaient être réorientées vers le dispositif de reconduite à la frontière. À l’avenir, les sans-papiers pourront être emmenés au commissariat, afin que des mesures de vérification de leur identité puissent être menées, mais ne pourront pas y demeurer plus de quatre heures. C’est un changement de philosophie important.Les personnes en situation irrégulière n’échappent pas à une éventuelle reconduite à la frontière, mais ne sont pas assimilées à des délinquants.
C’est un premier pas de la France vers une remise en cause de la garde à vue des étrangers au seul motif qu’ils sont sans papiers. Désormais et suite à cet avis, la Cour de cassation estime que ce délit de séjour irrégulier ne saurait suffire à un placement en garde à vue dans le cadre d’une procédure d’expulsion. La décision définitive de la chambre civile de la haute juridiction est encore attendue. Si elle entérine cet avis, comme on peut l’imaginer un changement important va marquer le droit des immigrés clandestins .
Traditionnellement la France incarcèrait les sans-papiers depuis de nombreuses décennies, et la loi prévoit un an de prison et 3 750 euros d’amende pour séjour irrégulier. D’où la possibilité de les placer en garde à vue, celle procédure ne pouvant concerner qu’une personne soupçonnée d’un délit passible d’une peine de prison, il faut le rappeler. Puis est intervenue la « directive retour » de l’UE tant décriée par les milieux associatifs et en 2008, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) est entrée en contradiction avec la juridiction française et les pratiques nationales : elle a estimé que le séjour irrégulier d’un étranger ne justifie pas une peine d’emprisonnement. C’est la « directive retour », qui signe une « limite à la criminalisation des sans-papiers ».
Celle-ci fixe en effet les différentes étapes de la procédure de retour des étrangers clandestins : en priorité, le départ volontaire de la personne arrêtée dans un délai de 7 à 30 jours ; s’il n’a pas lieu, l’éloignement forcé « en employant les mesures les moins coercitives possibles » ; et enfin, si cet éloignement est « compromis par le comportement de la personne », la rétention – « la plus courte possible », de 18 mois maximum, et séparément des prisonniers de droit commun.
En 2011, la CJUE confirme avec l’arrêt El Dridi – du nom d’un Algérien condamné à un an d’emprisonnement en Italie car il ne s’était pas conformé à un ordre de quitter le territoire. Même dans ce cas, souligne-t-elle, l’emprisonnement « est susceptible de compromettre la réalisation de l’objectif visant à instaurer une politique efficace d’éloignement et de rapatriement dans le respect des droits fondamentaux ».
En France, le flou juridique a perduré malgré la directive de 2008 et l’arrêt de 2011, les gardes à vue d’étrangers clandestins aussi. Car le gouvernement précédent a interprété la jurisprudence à son avantage, estimant que la garde à vue était toujours justifiée si d’autres mesures non coercitives avaient été tentées auparavant. Du coup, la pratique reste massivement employée : le séjour irrégulier est même l’un des premiers motifs de garde à vue, avec 60 000 personnes concernées en 2010, parmi 100 000 étrangers ayant fait l’objet d’une procédure pour ce délit.
60 000 gardés à vue, donc, mais seulement 200 condamnations à la prison ferme. Au-delà de la critique d’une pratique « trop brutalement coercitive », ces chiffres montrent un détournement de la procédure pénale de la garde à vue en procédure administrative : les policiers et procureurs savent pertinemment que dans plus de 95 % des cas, il ne s’agit pas de peine d’emprisonnement mais d’une reconduite à la frontière, simple mesure administrative. En fait, ils font un usage de ces gardes à vue, pratiques à leurs yeux, pour avoir le temps de prendre une décision.
Les effets de cet avis de la Cour de Cassation ne se sont pas fait attendre : l’avis de la Cour de cassation a déjà eu au moins un effet, dans un tribunal de Toulouse. Un juge des libertés et de la détention, qui y validait toutes les gardes à vue depuis des mois, en a annulé une le 6 juin au lendemain de l’avis.
Certes à la place, la police peut avoir recours à d’autres procédures : l’audition libre dans les locaux de la police, laissée au bon vouloir de la personne contrôlée, et surtout, la possibilité de garder à disposition une personne pendant quatre heures pour vérifier son identité. Des mesures moins répressives pour des personnes qui ne se considèrent pas comme des délinquants et sont bien souvent choquées par les gardes à vue. La garde à vue est quant à elle limitée aux seuls cas où une personne est soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement. entraîner d’autres effets qui contourneraient l’avis de la Cour de Cassation : des placements pour des délits annexes plus ou moins fondés, tels qu’outrage aux forces de l’ordre, ou occupation illégale d’un lieu dans le cas d’une interpellation dans un squat.
Finalement, ce frein aux gardes à vue de sans-papiers pourrait avoir une incidence, certes sur le nombre de gardes à vue lui-même, qui avait explosé dans les années 2006-2008, mais aussi, dans une moindre mesure, sur le nombre d’expulsions. Et ce n’est pas un mal, juge David Rohi : « Après une politique d’expulsions massives, qui a concerné 62 000 personnes en 2010 et consistait bien souvent à apaiser une partie de l’opinion publique surchauffée par les mouvements populistes ou extrémistes. Quelle sera la pratique du nouveau gouvernement ? Certainement pas de vouloir poursuivre une politique du chiffre. »
-. http://www.courdecassation.fr/ Avis de la Cours de Cassation
-. Conclusions de l’avocat général dans l’affaire el Dridi http://www.adde-fr.org/mod/resource/view.php?id=62
-. Commentaires de l’AEDH dans l’affaire el Dridi http://www.adde-fr.org/mod/resource/view.php?id=62