La Cour de cassation a estimé jeudi 5 juillet qu’il n’était pas possible de mettre en prison ou de placer en garde à vue un migrant au seul motif qu’il n’a pas de titre de séjour. C’est toute la chaîne de reconduite à la frontière qui est bouleversée. Pas de surprise, une décision attendue dont Nea Say a annoncé l’inéluctabilité. (cf. n° 123)
Le ministre de l’intérieur, Manuel Valls, veut une loi « le plus vite possible » pour combler ce vide juridique. On peut espérer qu’il s’agit du dernier épisode d’une histoire commencée dans son épisode français il y a plus d’un an. Au départ, une question que se posaient les juges : peut-on mettre en détention un étranger parce qu’il est sans papiers ? La Cour de cassation a clairement répondu par la négative, suivant un premier avis demandé à la chambre criminelle, rendu le 5 juin dernier (cf. Nea say). « Cette décision entérine le fait que les étrangers sans papiers ne sont pas des délinquants, et que le droit pénal ne doit par conséquent pas être utilisé pour remplir des objectifs de lutte contre l’immigration illégale » , se félicite Me Patrice Spinosi, qui plaidait cette affaire pour la Cimade, association d’assistance aux migrants placés en centres de rétention.
C’est une décision qui se place à l’opposé de la conception du droit des étrangers en France qui prévalait jusqu’alors. Le séjour illégal était jusque-là considéré comme un délit pouvant être puni d’un an d’emprisonnement et de 3750 euros d’amende. Dans la pratique, 200 personnes sont écrouées chaque année pour ce motif. À noter, toutefois, que le régime de la rétention administrative qui précède la mesure d’éloignement n’est pas concerné par la présente décision. La garde à vue, également considérée comme une détention, devient elle aussi interdite. Cette fois, l’enjeu est tout autre, puisque cette mesure constitue un maillon essentiel de la chaîne de reconduite à la frontière. Selon le ministère de l’intérieur, 84000 infractions à la législation des étrangers étaient constatées en 2011. La grande majorité des sans-papiers interpellés est maintenue à disposition de la police, le temps de demander à la préfecture un titre d’éloignement. Sans garde à vue, les forces de l’ordre n’auront plus que quatre heures pour vérifier l’identité d’un étranger et déclencher une éventuelle mesure d’éloignement.
Cette évolution trouve son origine dans un cas italien sur lequel la Cour européenne de justice de l’Union européenne (CJUE) s’est prononcée, le 28 avril 2011. Un Algérien rentré illégalement dans la péninsule transalpine avait fait l’objet d’une expulsion prise par le préfet de Turin.(cf. Nea say) Pour ne pas s’être plié à cette décision, il risquait cinq ans de prison. Saisie en appel, la CJUE a jugé illégale l’incarcération d’un étranger au seul motif qu’il est sans papiers.
Dès lors, la loi française entrait elle aussi en contradiction avec le droit de l’Union. Certaines cours d’appel ont annulé des gardes à vue, tandis que d’autres ont préféré suivre la position du gouvernement , pour qui un maintien de 24 heures au poste de police restait possible. Saisis sur cette affaire par une question prioritaire de constitutionnalité, les sages avaient estimé, le 3 février dernier, qu’il ne leur revenait pas de s’exprimer sur une problématique administrative. Au final, c’est la Cour de cassation, en charge du contentieux des étrangers, qui a tranché.
Il s’agit maintenant de trouver un nouvel outil juridique qui permette de rendre efficaces des éloignements . Le ministre de l’intérieur Manuel Valls souhaite créer « le plus vite possible » un nouveau texte législatif. La France pourrait notamment s’appuyer sur le modèle belge, qui ne prévoit plus d’infraction pénale de séjour irrégulier. En revanche, les policiers peuvent effectuer des « arrestations administratives », sortes de « pré-rétentions » en attendant d’obtenir l’éventuelle autorisation à expulser.
Pour le spécialiste du droit des étrangers comme Serge Slama, ce nouveau système ne constituera pas nécessairement une avancée. « La garde à vue offre un certain nombre de garanties, dont la présence très rapide d’un avocat. La procédure à venir sera-t-elle aussi protectrice ?Des contentieux vont continuer à se multiplier.Les associations de défense des immigrés préconisent plutôt une généralisation des alternatives au système de mise en rétention, comme l’assignation à résidence. Le développement d’une telle procédure est peu probable à court terme. Pour l’heure, le taux d’exécution des Obligations de quitter de territoire français (OQTF) envoyées au domicile des migrants sans papiers ne dépasse pas 10 %. Notons qu’en Belgique le taux d’expulsion suite à une obligation de quitter le territoire est également faible.