Une bonne journée pour l’Europe le 12 octobre, journée du Nobel Editorial du n° 125 de Nea say

 Ce  12 octobre a été une bonne journée pour l’Europe ! Ce prix Nobel  est un prix pour l’Europe de demain. Souvenez-vous du passé et avancez, allez de l’avant et retenez aussi votre souffle : la véritable  bataille pour l’Union européenne vient de commencer. N’oubliez pas que ce prix est d’abord adressé aux citoyens européens : le jury du Nobel l’a voulu ainsi.

Au départ de cet éditorial, cette «  bonne journée » visait celle du 12 septembre, saluée comme telle aussi par Angela Merkel devant les députés allemands à l’annonce de la décision de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe. L’annonce du Prix Nobel de la paix a bouleversé les intentions et les motivations de l’auteur de ces lignes. Disons le tout net, l’UE mérite son prix, c’est un message symbolique qui lui est envoyé pour avoir voulu et su fonder la paix sur une communauté de valeurs et pour le vouloir encore aujourd’hui. Plus de solidarité et de respect en Europe et hors d’Europe. Plus qu’un appel à sauver l’héritage, c’est un appel à le faire fructifier .C’est une récompense pour des décennies de travail pour le long terme au service d’un idéal, un idéal  inaccompli, souvent mis en cause, controversé, mais d’un idéal quand même. C’est la permanence de cet idéal qui fait que les critiques sont plus vives et les frustrations plus aiguës. Cessons de railler le « soft power » de l’Europe, il n’est pas méprisable à ce point dans un monde où il est de plus en plus difficile de faire la guerre, même et surtout pour les plus puissants : accord préalable des organisations et puissances régionales, feu vert du Conseil de sécurité des Nations Unies etc … La politique de la  canonnière est à ranger désormais au rayon des accessoires , la force a même perdu sa capacité dissuasive.

Reconnaissons  le, sans naïveté et avec intelligence, qui a fait mieux ? Personne.

Une récompense, mais plus encore une ardente obligation qui engage l’avenir alors que les prochaines élections européenne de 2014 sont  déjà en vue. Un sursaut politique auquel on devrait consacrer la même dévotion qu’aux dossiers financiers de la zone euro. Un prix qui récompense autant qu’il encourage. « Il doit redonner du courage et aussi donner une conscience lucide de tout ce qui a été fait «  (Jacques Delors). Ne nous y trompons pas, au nom du passé et  des blessures cicatrisées, c’est à l’Europe de demain que sera remis le prix Nobel, une Europe qui devrait y puiser ce  qui lui manque tant aujourd’hui, la confiance en elle face à ses difficultés et au reste du monde. Attribué à la surprise générale le Prix Nobel  de la Paix  apporte un sentiment de fierté indéniable et quel que soit le jugement apporté sur le malaise ou le désarroi des responsables institutionnels à tous les niveaux, le geste est fort, il rappelle aux 500 millions d’Européens que l’Union européenne s’est faite en leur nom pour défendre le bien commun contre les pires menaces et son œuvre a été salutaire pour tous, « la plus grande machine à faire la paix jamais créée dans le monde » (Herman van Rompuy), un modèle en matière d’influence, un modèle par sa capacité de transformation qui la porte bien au-delà de ses frontières. Ce prix à bien des égards tombe au meilleur moment : il redonne espoir à un grand dessein un instant contrarié par la crise.

Le prix Nobel c’est bien, mais l’Europe a une autre actualité investir dans l’avenir au moment où elle se querelle gravement sur le budget 2014-2020 et sur bien d’autres chose encore, mais  revenons au 12 septembre, une autre bonne journée pour l’Europe. Pour une fois faisant un effort d’impartialité en matière européenne, le journal le Monde a salué également cette journée, élargissant même la période couverte : « l’union, et plus encore la zone Euro vient de traverser  deux bonnes semaines. Cela se fête » écrit-il dans son éditorial du 16/17 septembre. Surprenant, il fait une recommandation inhabituelle chez lui et pleine de sagesse, elle « touche à notre moral et impose de ne jamais  bouder les bonnes nouvelles », pas si fréquentes ajoute-t-il. Il est vrai que l’Europe n’a que trop tendance à bouder les bonnes nouvelles et l’accueil fait à l’annonce de ce Prix Nobel  en est une confirmation. Aucune nouvelle concernant l’Europe ne trouve grâce ou faveur auprès des commentateurs et des médias. Ce 12 septembre n’a pas échappé à la règle. Ce 12 septembre, c’est tout à la fois le jugement de la Cour de Karlsruhe, le discours de José Manuel Barroso sur l’état de l’Union, le lancement après l’union budgétaire de l’union bancaire et la mise en route, pour commencer, de la supervision bancaire,  l’annonce par la BCE des rachats à venir d’obligations d’Etat à court terme et n’oublions pas  les résultats des élections aux Pays-Bas accueillis avec soulagement qui virent la défaite incontestée des eurosceptiques de l’extrême droite et de l’extrême gauche. « N’ayons pas peur des mots : nous devons avancer vers une fédération d’Etats nation. C’est ce dont nous avons besoin » a lancé , ce 12 septembre, José Manuel Barroso aux députés européen. Il ne s’agit nullement de créer un « super Etat », mais de mettre en place « une souveraineté partagée », a-t-il précisé. Le président de la Commission veut utiliser les élections de 2014 pour mobiliser toutes les forces pro-européennes. « Nous ne devons pas laisser les forces populistes et les nationalistes décider de l’agenda ». Il a annoncé la publication le jour même d’une proposition législative pour renforcer le statut juridique et l’autonomie des partis politiques européens. Il juge par ailleurs nécessaires que les formations politiques présentent des candidats au poste de président de la Commission avant l’élection du Parlement européen. Cette innovation devrait permettre une réelle polarisation des débats au-delà des barrières nationales. Mais le cœur de son ambition repose sur une nouvelle modification des traités : « avant les prochaines élections européennes, la Commission présentera les grandes lignes des  contours de la future Union européenne (…) nous mettrons en avant des idées, le moment venu ». Sa phrase « le temps du consentement implicite des citoyens à la construction européenne est révolu » a résonné fortement. Ce discours méritait, une fois de plus,  un meilleur accueil beaucoup de réactions décevantes ou simplement prudentes ou des surenchères irréalistes et imprécises ( Guy Verhofstadt), un bing bang institutionnel, un « grand soir » qui font peur à l’opinion publique(tout le contraire de ce qu’a avancé le président de la Commission), ont tenté certains analystes, « un projet sans boussole » (Daniel Cohn-Bendit). Quelles que soient les ambitions des uns et des autres, aussi insaisissables que soient les querelles sémantiques sur le mot fédéral, il faut bien reconnaitre qu’il est impensable de créer une union économique authentique, fonder un pacte social réconciliant les citoyens, ramener la compétitivité et la croissance sans l’union politique qui va avec. C’est une question de crédibilité, l’union politique c’est plus de légitimité avec plus de contrôle démocratique  et plus de participation des citoyens. Les autres évènements de ce 12 septembre furent reçus sur le même ton : l’arrêt de la Cour de Karlsruhe, un succès à la Pyrrhus, pour l’un, brefs des succès « exagérés » pour d’autres.

Mais force est de reconnaître que les échéances redeviennent crédibles, un tournant est pris çà se sent ! De réelles perspectives sont à nouveau ouvertes. N’ayons pas peur des mots, comme nous y a invité José Manuel Barroso, jamais l’Europe n’a progressé aussi rapidement que ces derniers mois, durant cette crise qui fut un prodigieux accélérateur de l’unification européenne au même titre que le fut sur un mode infiniment plus tragique la dernière guerre mondiale. Passons en revue ce qui vient d’être fait.

Depuis que la crise a éclaté en 2008, l’Union a renforcé le cadre législatif du système financier et introduit de nombreuses autorités de supervision. Le processus n’est pas terminé. Très peu de domaines ayant trait aux services financiers ont été épargnés par la législation européenne, peu le resteront durablement. Trois mécanismes de sauvetage financier ont été créés (FESM, FESF ,MES) des épigones apparaitront rapidement. Il y a eu  une modification du Traité de Lisbonne et un accord sur deux traités intergouvernementaux appelés à réintégrer rapidement l’ordre juridique communautaire. Depuis l’instauration du semestre européen, les budgets nationaux sont sous la surveillance de l’UE. Le pacte de croissance et de stabilité a été renforcé et une nouvelle procédure visant à identifier les déséquilibres macro-économiques a été mise en place. Le processus de décision relatif à la prévention et à la correction des déficits excessifs a été amélioré afin que les propositions de la Commission soient effectives à moins d’un vote de blocage à la majorité qualifiée au sein du Conseil. Sur tout cela la participation du Parlement européen est énergique quand il n’agit pas comme co-législateur .

Ajoutons que le Conseil européen s’est engagé à ce que les Etats prennent le chemin d’un programme productif afin de renouer avec la croissance. Cependant les Etats membres bloquent toujours la réforme du système budgétaire. Mais dans le même temps, la Commission a formellement donné le coup d’envoi du débat sur l’émission d’euro-obligations (Eurobonds) et proposé d’introduire une taxe sur les transactions financières à l’échelle de l’Union, onze Etats viennent de s’engager dans une coopération renforcée. La Grèce, l’Irlande, le Portugal sont bénéficiaires de plans de sauvetage de la zone Euro, la Hongrie, la Lettonie et la Roumanie sont sous assistance économique d’urgence. En 2012 l’Espagne a reçu une aide importante afin de remettre sur pied son secteur bancaire, une aide supplémentaire est programmée et sera mise en œuvre lorsque l’Espagne le demandera. Chypre a demandé une aide en juillet 2012, il lui revient de dire ce qu’elle veut au bout du compte. La Hongrie a déposé une demande d’assistance financière seulement quelques mois après que la précédente ait atteinte son terme. La Banque centrale européenne a effectué des « mesures non conventionnelles » afin de permettre au système bancaire de retrouver sa liquidité dont il a besoin pour le bon fonctionnement d’une économie stagnante ou menacée de récession.

Conscient de l’insuffisance des mesures prises pour rétablir la confiance non seulement des marchés mais aussi et surtout des citoyens, le Président du Conseil européen a lancé une initiative visant la création  d’un cadre d’intégration sur le plan financier, budgétaire et économiques. Des plans sont dressés pour avancer vers la création d’une union bancaire, budgétaire et politique, premier rendez-vous le 18 et 19 octobre prochain, et enfin finir d’achever la Marché intérieur : vingt ans après le grand Marché intérieur de Jacques Delors, la Commission  vient de transmettre les propositions de Michel Barnier au Parlement européen et aux Etats membres. Bien que toutes ces propositions rassemblent une large majorité au sein du Parlement européen, elles divisent et diviseront le Conseil, mais l’usage croissant des coopérations renforcées va permettre à un noyau dur d’Etats, plus disposés à emprunter la voie de l’intégration, d’aller de l’avant.

La crise est en train de dessiner les contours d’un nouvel ordre politique. Dans l’intérêt des Etats et des citoyens un gouvernement économique d’inspiration fédérale en charge de conduire l’union budgétaire sera plus que jamais une nécessité. La BCE, la Commission européenne auront besoin de nouvelles compétences et de clarifications. Au terme de l’évolution un Trésor européen doit voir le jour, inexorablement, sans doute beaucoup refuseront le mot mais accepteront la chose. L’Eurogroupe devra être formalisé au sein du nouveau système de gouvernance  qui lui-même devra être inscrit dans les traités. On parle de plus d’un budget propre à zone Euro, voire d’une assemblée parlementaire rassemblant les parlementaires européens et les parlementaires nationaux. Le vertige nous saisit… .

Une convention constitutionnelle sur le modèle de celle qui fut présidée par Giscard d’Estaing devra se mettre à la tâche dès 2015 immédiatement après les élections du Parlement européen afin d’amender les Traités actuels en vue d’établir une véritable Union en s’attachant à renforcer la légitimité d’une Europe encore plus unie. Nous sommes encore loin du bing bang institutionnel qu’ont dénoncé certains, cela prendra du temps, mais à un horizon historique rapproché.

L’urgence n’est pas totalement derrière nous,  chacun se sent un peu plus rassuré à défaut de se sentir complètement sauvé. La bataille va déserter les salles des marchés pour être politique et institutionnelle. Après avoir sauvé la monnaie, c’est l’Europe qu’il faut sauver en la dotant des éléments de souveraineté qu’elle n’a pas encore. Il faudra convaincre les politiques nationaux, mais ceux-ci n’auront plus d’excuses, notamment celles de l’ignorance et de l’indifférence qui ont été leur marque dominante jusqu’à aujourd’hui.

Une ombre angoissante est jetée sur tout cela : l’attitude britannique. Les déclarations récentes  de David Cameron viennent de confirmer ce qui était avancée dans l’éditorial de juillet, à un élément près, son attitude s’est durcit, des gages ont été donnés à l’aile droite et aux europhobes. Conditionné par sa classe politique, le pays dans sa grande majorité, mais avec des nuances, se sent submergé par trop d’Europe au moment même où de nombreuses voix européennes s’élèvent pour réclamer plus d’Europe. Tout est remis en cause, le pays veut choisir  les aspects de la construction européenne auquel il entend participer. La formule britannique est évidemment inacceptable et conduit à la désintégration de tout ce qui a été entrepris et réalisé depuis la fin de la dernière guerre mondiale, des réalisations indiscutables pour lesquelles précisément l’Union européenne vient de recevoir le prix Nobel. Ce n’est pas un hasard si les premiers éclats concernent le budget et les perspectives financière 2014-2020 : David Cameron a jeté la menace de son veto et ne veut plus financer des politiques auxquelles il ne participerait plus. Des aspects fondamentaux de la construction européenne seraient fortement  mis en cause. Ce n’est pas un hasard non plus si la première nommée de ces  politiques concerne la libre circulation des personnes et l’espace de liberté, sécurité et justice.

Le Royaume-Uni a quasiment décidé  de ne pas prendre part à cette nouvelle Union européenne, incontestablement plus fédérale qu’elle n’était. Par conséquent une nouvelle catégorie d’Etats membres  disons « associés » va émerger ; elle devra être  conçue pour donner satisfaction aux britanniques, certes, mais aussi pour prévenir les vetos qui menacent déjà et menaceront de plus en plus fortement les nécessaires évolutions que souhaite le reste des autres partenaires. Inutile d’insister sur l’ampleur de ce défi.

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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