Ce mardi 23 octobre, les partisans du « Single Seat » pour le Parlement européen ont pris une longueur d’avance. En effet, sur 700 votes exprimés, ce n’est pas moins de 518 votes qui se sont exprimés symboliquement en faveur d’un siège unique pour l’assemblée législative européenne.
Sujet polémique entre les partisans du « Tout Bruxelles » et les défenseurs de l’institution strasbourgeoise, la question du siège du Parlement européen revient régulièrement sur la table avec ce genre de geste fort.
Aujourd’hui, force est de constater que le camp du « Single Seat » met les bouchées doubles pour faire rentrer son projet dans les consciences. Menés par le conservateur écossais Edward McMillan-Scott (ALDE), ceux-ci ont été jusqu’à distribuer des bricolages en carton en forme de siège aux parlementaires européens, lors de la dernière séance plénière du Parlement européen, qui avait lieu, évidemment, à Strasbourg.
Avant de se plonger dans le cœur du débat et peser les arguments des deux parties, une certaine remise en contexte semble nécessaire pour comprendre pourquoi l’appareil législatif européen se retrouve tiraillé entre Bruxelles et Strasbourg (les deux villes tirant d’ailleurs la couverture sur elles, délaissant Luxembourg, cantonnée à un rôle administratif).
En 2008, le piquant Jean Quatremer (le célèbre correspondant bruxellois de Libération) nous expliquait pourquoi Bruxelles faisait office de centre des institutions européennes.
En remontant à la genèse de la construction européenne, on constate que c’est tout simplement la France qui a laissé passer sa chance d’accueillir l’attirail européen (le même schéma guidera la déménagement de l’OTAN vers Bruxelles). Néanmoins, les bureaux européens resteront « provisoires » jusqu’en 1993, année où les Traités cimenteront le siège de l’Union à Bruxelles.
Sur le plan législatif, c’est tout de même Strasbourg, symbole de la réconciliation franco-allemande (une des pierres fondatrices de la construction européenne), qui reçoit officiellement le siège du Parlement européen (en effet, les séances plénières se déroulent dans l’hémicycle Louise Weiss, tandis que Bruxelles se « limite » aux travaux des nombreuses commissions parlementaires).
Concrètement, les eurodéputés ne sont à Strasbourg que 12 fois par an.
Afin d’appuyer leurs dires, les « bruxellistes » ont développé un argumentaire solide dont voici les grandes lignes :
Premièrement, c’est avant tout, une question financière. En effet, en pleine crise, pourquoi le Parlement doit-il organiser pour chaque session plénière le déménagement de son administration ? Ce n’est pas moins de 180 millions d’euros qui seraient finalement mobilisés pour assurer cette assemblée bicamérale (au sens purement physique du terme), bien que ces chiffres soient contestés par l’Association Européenne des Jeunes Entrepreneurs (d’origine française et fervente partisane du siège de Strasbourg – nous y reviendrons).
Deuxièmement, le clan bruxellois met en avant une raison environnementale. Alors que la stratégie Europe 2020 appelle à réduire les émissions de gaz carbonique de 30%, l’Union est-elle cohérente avec elle-même quand les allers retours entre Bruxelles et Strasbourg produiraient près de 19 000 tonnes de CO2 (qui ne sont pas les chiffres de l’AEJE, évidemment).
Ensuite, troisièmement, ce sont plus les faiblesses de la ville de Strasbourg qui sont soulignées par les défenseurs du siège unique. En effet, la capitale alsacienne souffre d’un manque sérieux de connexion avec le reste de l’Europe. Seules 6 capitales européennes (dont Paris et Bruxelles) disposent d’une connexion aérienne directe avec Strasbourg, sans parler du manque de places dans la liaison ferroviaire. Alors quand on sait que tous les eurodéputés ne viennent pas directement de Bruxelles pour assister à la plénière, imaginons le périple du parlementaire en provenance de Vilnius ou de Nicosie.
Toujours sur Strasbourg, les partisans du « Single Seat » évoquent les prix exorbitants pratiqués par la classe hôtelière locale lors de la présence des parlementaires en ville. Sur ce point là, force est de constater que Bruxelles est plus abordable.
Et enfin, quatrièmement, divers arguments sont avancés par les pro-Bruxelles, comme le manque de confort pour les parlementaires provoqué par les déplacements à Strasbourg, un certain « affaiblissement » de l’image de l’assemblée législative par son siège bipolaire et par conséquent, une image floue de l’institution auprès de l’opinion publique européenne.
En somme, pour les partisans du siège unique, trois raisons majeures appellent à une centralisation de l’institution parlementaire : une raison financière, environnementale et logistique.
Mais quels arguments proposent alors les défenseurs du siège strasbourgeois du Parlement européen ?
Pour commencer, dans le rapport de l’AEJE « Le siège dans tous ses Etats », on constate une remise en question des chiffres présentés par le rapport de McMillan-Scott. En effet, là où les pro-Bruxelles estiment à 180 millions d’euros le coût des va-et-vient entre la capitale belge et Strasbourg, le rapport de l’AEJE chiffre le tout à 51 millions d’euros (soulignant une utilisation tronquée des documents du Secrétariat Général du Parlement européen par les partisans du siège unique). Et concernant l’empreinte environnementale, l’AEJE réduit la quantité des émissions carboniques de 19 000 à 4200 tonnes de CO2 (une méthodologie de calcul différente, semble-t-il).
Le problème étant que, quand deux rapports s’affrontent, l’un et l’autre crieront à une mauvaise utilisation des chiffres ou à des querelles méthodologiques. Ce ne sont donc pas ce genre d’arguments qui permettent de trancher le débat.
Mais le plaidoyer strasbourgeois ne se limite pas pour autant à cela.
C’est dans un autre type d’argument qu’on retrouve la défense de Strasbourg. En effet, comme déjà cité plus haut, il s’agit là d’une ville au haut capital symbolique. Cité-frontière, elle incarne la réconciliation franco-allemande, fer de lance de la construction européenne. Strasbourg, depuis lors, jouit d’une notoriété internationale, en tant que « ville symbole de paix ».
Sans compter que Strasbourg est officiellement le siège du Parlement européen, les Traités faisant foi en la matière (la Cour de Justice de l’Union Européenne ayant d’ailleurs donné gain de cause à Paris à ce sujet dans ses conclusions du 06.09.2012).
La défense de Strasbourg se justifie également par le principe européen de diversité. En effet, il ne faudrait pas perdre de vue que les institutions européennes sont réparties selon une notion de polycentrisme, caractéristique de l’Union : l’exécutif à Bruxelles, le judiciaire à Luxembourg et le législatif à Strasbourg.
Enfin, concernant les éventuelles faiblesses qu’afficherait Strasbourg, c’est encore une fois le rapport de l’AEJE qui souligne le fait que la cité alsacienne a mis en place une série de projets de ville afin de s’adapter à sa qualité de capitale législative de l’Union Européenne.
Mais d’un autre côté, quel avenir serait réservé à Strasbourg dans le cas d’une centralisation des services du Parlement européen à Bruxelles ?
Le Brussels-Strasbourg Seat Study Group (groupe de travail derrière la campagne du siège unique) a proposé une série d’utilisation alternative pour la cité rhénane :
Une première proposition serait de faire de Strasbourg la ville-siège du Conseil des chefs d’Etat et de gouvernement européens. Le problème des connexions aériennes pourrait se poser à nouveau, mais c’est là où il faut envisager la plus grande capacité d’action des transports officiels des gouvernements. Mais, en toute honnêteté, on peut difficilement imaginer les Sommets européens quitter si facilement Bruxelles, alors que le futur bâtiment « Europa » est en construction (et est appelé à accueillir les réunions du Conseil ainsi que sa présidence).
Ensuite, il a été envisagé d’y déplacer le Quartier Général de l’OTAN, étant donné que la France y a effectué son grand retour. Mais la même réponse que le Conseil européen est donné : en effet, l’Alliance Atlantique a lancé un projet pour construire à Bruxelles de nouveaux locaux. Quand le financement est à hauteur de 800 millions d’euros, l’OTAN est loin de quitter la capitale belge.
D’autres options ont également été dans le sens de déplacer d’autres institutions européennes vers Strasbourg, mais rarement avec un projet concret derrière : le Comité des Régions, le Service européen pour l’action extérieure, voire jusqu’à créer une nouvelle institution avec son siège à Strasbourg.
L’idée d’y créer un véritable pôle universitaire européen n’attire pas non plus les foules.
Enfin, il existe une alternative qui semble bénéficier d’un certain niveau de crédibilité. Ici, la proposition serait de faire de Strasbourg la capitale européenne de la Justice. En effet, on y retrouve déjà la Cour Européenne des Droits de l’Homme, on pourrait dès lors y centraliser la Cour de Justice de l’Union Européenne, ainsi que les services comme EUROPOL et EUROJUST. Sans oublier que Strasbourg est déjà la ville du médiateur européen.
Force est de constater que Strasbourg pourrait bénéficier d’un second souffle dans le cas – éventuel – d’une centralisation de l’institution législative européenne à Bruxelles.
En attendant, le débat continue entre les pro-Bruxelles et les défenseurs du polycentrisme institutionnel caractéristique de l’Union.
Mais n’oublions pas que le siège du Parlement européen est coulé dans les Traités. Unanimité requise donc pour quitter Strasbourg …
François Balate
Pour en savoir plus :
– Le rapport du Brussels-Strasbourg Seat Study Group (dirigé par Edward McMillan-Scott) : A Tale of Two Cities (2011) (EN)
– Le rapport de l’Association Européenne des Jeunes Entrepreneurs (sous la direction de Pierre Loeb) : Le siège dans tous ses Etats (2012) (FR)
– Le site officiel de la campagne pour un siège unique du Parlement européen : Campaign for a Single Seat for the European Parliament (EN)
– « Strasbourg : is there a life after the European Parliament », par le Brussels-Strasbourg Seat Study Group (14.04.2012) (EN)