Les avancées sont réelles, mais on ne peut affirmer que la crise a vu sa dynamique totalement enrayée. La fragmentation financière de la zone euro est toujours là, la récession est toujours là et menace d’autres pays, les tensions politiques et sociales dans les sociétés soumises à des épreuves parfois dramatiques sont très fortes. Les orientations prises ne sont pas encore toutes traduites en décisions et toutes les décisions n’ont pas été mises en œuvres. Cependant une véritable inflexion peut être constatée et Herman Van Rompuy, sans être contredit, a pu dire rendant compte devant le Parlement européen du dernier sommet « ce que nous avons fait était impensable » il y a quelques mois ou un an. Une réponse de fond parmi d’autres : la supervision des établissements bancaires ce qui signifie qu’à terme les crises bancaires seront gérées au niveau européen et le coût de leur résolution sera partagé. Le danger de rupture de la zone euro, sans aucun doute très largement surévalué dans les rhétoriques dominantes, s’éloigne.
Au travers de la procédure du « semestre européen », la coordination réelle des politiques économiques et budgétaires nationales progresse. Seulement, vient de nous dire le Parlement européen, cette coordination doit être plus politique, plus démocratique, inclure la « stratégie 2020 », inclure plus d’acteurs : les parlements nationaux doivent être appelés à jouer un rôle accru. La Commission européenne devra vérifier concrètement que les pays agissent conformément aux recommandations faites, demande avec insistance le Parlement européen. En un mot il est nécessaire d’améliorer la légitimité du « semestre européen ». Enfin il convient de reconnaître le rôle du budget de l’EU dans le processus du « semestre européen. Des engagements ont été pris par les Etats membres dans le pacte de croissance et pour l’emploi adopté par eux-mêmes ; ils doivent respecter leurs engagements à l’occasion de l’adoption prochaine du budget pluriannuel.
Et le Royaume-Uni ? Il n’arrêtera pas la marche en avant de l’UE avec ses menaces de veto sur le budget. A ce stade nous ne pouvons que renouveler notre éditorial de juillet dernier relayé alors par BBC News: l’heure de vérité est arrivée. Le Royaume-Uni ne peu plus être « décisionnaire » à plein temps et acteur à temps partiel quand cela lui chante (pick and choose). Le récent discours de Nick Clegg devant Chatham House souligne que la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne sera difficile à éviter : “ what kind of club gives you a full pass with all the perks, but doesn’t expect you to pay the full membership fee ? “.
La conséquence immédiate de ce qu’il faut bien appeler des succès, est que ce soit de budget, que ce soit de politique, ou de solidarité financière, ou de supervisions de toute nature, l’idée d’une intégration accrue de l’Europe se répand un peu partout. Mais quelle serait la forme de cette union plus fédérale, c’est bien là le problème et toute la substance du débat. En janvier dernier lors du Forum économique de Davos la chancelière Merkel a osé évoquer le fédéralisme, sans susciter de grandes réactions mais quelques mois plus tard les déclarations en faveur d’une Union européenne fédérale ou plus fédérale sont multiples et la liste s’allonge de semaine en semaine, mais cela ne signifie pas que chacun s’accorde sur ce que c’est une fédération et il règne aujourd’hui un véritable tohu-bohu verbal sur le sujet. Chaque jour apparaissent de nouveaux concepts dont le sens ne se révèle qu’ensuite et de façon partielle, incertaine pour tout dire.
Retenons les appels faits par Antonio Vitorino, président de « Notre Europe-Institut Jacques Delors » « …il est possible de bâtir une union économique et monétaire consistante, cohérente, sans exiger des bouleversements de fond d’un point de vue d’un saut fédéral. Dans le détail il y a toujours des divergences sur ce que ce « saut fédéral » signifie (…) l’absence d’un tel saut fédéral ne devrait pas être l’alibi pour ne pas faire ce qui doit être fait dans l’immédiat selon une logique qui est celle des pères fondateurs et qui est celle des petits pas dans la construction européenne . C’est pourquoi nous avons bien distingué [dans le rapport du Groupe Padoa-Schioppa]l’objectif final et les étapes ».
L’essentiel est de récupérer la confiance des citoyens en leur montrant bien où est et en quoi consiste le fil conducteur, c’est le même depuis plus de soixante ans. Le « saut fédéral » fera l’objet de longs débats, d’amendements des traités, une procédure lourde, soumise aux aléas de la ratification. Beaucoup peut être fait à traités constants et Antonio Vitorino de souligner encore : « n’utilisons pas le saut fédéral comme alibi pour ne pas faire ce qui doit être fait, tout en ouvrant la porte au débat sur les options du modèle final ».
C’est rejoindre les propos tenus récemment par Etienne Davignon appelant à ne pas confondre l’Europe à la carte ( nous dirions l’Europe selon le modèle britannique) et l’Europe à plusieurs vitesses, pratiquée dès l’entrée en vigueur du traité de Rome, formule où le stade final est connu de tous , partagé et accepté par tous ceux qui souscrivent au « modèle », le calendrier du stade final est également connu dans ses lignes essentielles, mais chacun rallie l’étape finale selon une vitesse qui lui est propre en fonction de ses moyens, de sa situation, de l’état de l’opinion publique. N’exagérons pas l’opposition entre pays appartenant à la zone euro et pays n’appartenant pas à la zone euro, c’est une situation éminemment transitoire, tous les Etats membres ont souscrit un engagement d’appartenance à la zone euro et d’adopter l’euro comme monnaie unique, seuls le Royaume-Uni et le Danemark bénéficient d’un opt-out. Mais il convient de faire remarquer qu’il n’y a pas si longtemps bien des pays faisaient partie de la zone deutschmark sans avoir la monnaie dans leur poche, ni même sans appartenir nécessairement à l’Union européenne, dure réalité de l’économie qu’ont dû subir ^bien des pays , par exemple, un pays comme la France. Ne nous faisons pas d’illusion, la couronne danoise sait pertinemment qu’elle appartient à la zone euro et la City ne manquera pas de rappeler si cela se révèlerait nécessaire que la majorité des avoirs qu’elle détient est libellée en euro et que dire des pays plus éloigné encore de la zone euro ? C’est une réalité qui dépasse l’étroitesse des frontières institutionnelles.
Mais avant toute chose de la simplicité, elle garantit l’efficacité et la réussite, elle garantit aussi la démocratie. Dans le cas contraire comment se rapprocher des citoyens, comment expliquer, se justifier auprès d’eux et comment les entrainer dans le projet européen ? Dans quelques mois nous aurons un test grandeur nature : les élections au Parlement européen de 2014. Les citoyens auront en compétition des projets sur l’avenir de l’Europe, des projets qui devront être clairs et alternatifs. Le choix leur appartiendra et toute clarification de ces choix renforcera l’attachement des citoyens au projet, mais aussi agira dans le même sens, le sentiment qu’ils ont enfin leur mot à dire, qu’ils ont un pouvoir de décision, ce qui n’est pas le cas dans le cadre actuel. C’est pourquoi doit l’emporter l’idée selon laquelle les partis politiques qui se présentent aux élections au Parlement européen devraient désigner à l’avance leur candidat à la présidence de la Commission européenne et arrêter leur « programme de gouvernement ».
Le problème de la légitimité démocratique ne sera pas pour autant entièrement résolu : il faudra trouver des formules d’ordre pratique qui puissent mettre ensemble la légitimité démocratique incontestable du Parlement européen en tant que représentants des citoyens au niveau de l’Union européenne et la légitimité démocratique également incontestable des parlements nationaux au niveau des Etats membres. Mais chaque chose en son temps : pour faire simple, cela prend du temps.