Sans aucun doute, mais en n’oubliant pas que la dernière partie de la présidence de Obama a connu une inflexion assez sensible et que par ailleurs le ton dominant des commentateurs, assez plaintif là comme ailleurs, ne correspond pas totalement à la réalité.
Dores et déjà il est clair que les Etats-Unis tout entier tournés vers l’action et les résultats, n’auront pas une patience illimitée pour les lenteurs et sophistications souvent dilatoires des institutions de l’Europe, des institutions encore en voie d’achèvement. Le message implicite donné par Obama , singulièrement dans la dernière partie de son mandat lorsque la crise économique a semblé tout submerger, est clair, voire d’une redoutable franchise :agissez ensemble, soyez unis ou vous risquez de perdre avec une vitesse accélérée, toute influence sur les affaires du monde, vous cesserez alors d’être pertinents. Les Européens auront l’Amérique qu’ils méritent.
La conséquence immédiate est que s’en est fini d’une Amérique réservée pour ne pas dire plus à l’égard de l’Europe, entretenant des divisions, cultivant des relations privilégiées, spéciales, avec le Royaume-Uni., voire d’autres pays comme ceux d’Europe centrale ou orientale. Des commentateurs perspicaces ont fait observer que la politique d’Obama a amené les pays d’Europe centrale à cesser d’être les grands et bons atlantistes qu’ils étaient du temps de George W., pour devenir, chacun à son rythme, aujourd’hui Il a valeur de symbole intervenant au lendemain de la réélection d’Obamad’authentiques européens, demain de grands européens pour certains d’entre eux. Il est peu probable qu’on assiste à une répétition de ce que l’on a connu au moment du déclenchement de la guerre en Iraq. L’arrivée d’une nouvelle génération de responsables politiques ne fera qu’accélérer un processus déjà engagé. Les Etats-Unis ne sont plus, ou beaucoup moins, un facteur de divisions et d’affrontements en Europe.
Jamie Shea, Secrétaire général adjoint de l’OTAN, a estimé dans une déclaration qu’à court terme l’Amérique ne s’éloignera pas de l’Europe. Simples propos de circonstances? Or il rejoint sur bien des aspects Justin Vaïsse (1) qui dans un entretien avec la Fondation Robert Schuman avait fait observer que les défis dans le monde ne vont pas manquer « pour lesquels l’Amérique se tournera forcément, à un moment ou à un autre, vers l’Europe ». Peu à peu le président est revenu de ses espoirs ou illusions du début lorsqu’il pensait pouvoir former de nouveaux partenariats avec les pays émergents : Chine, Brésil, Inde, Russie (dans ce dernier cas, échec de la « politique du reset ») n’étaient pas prêts pour jouer ce rôle. Quant au pivotement vers l’Asie, il est bien réel, mais pas au détriment de l’Europe. Il existe un potentiel de coopération énorme que le monde multipolaire instable vient justifier davantage encore. Le lancement des discussions transatlantiques sur une vaste zone de libre échange avec ses normes, ses projets donnerait tout à la fois un coup de fouet et un ballon d’oxygène aux deux économies par rapport aux autres zones économiques du monde. A l’expérience les Etats-Unis ont constaté que les Européens malgré leurs incertitudes, lenteur, hésitations, impréparation (le fait que les européens ne payent pas leur quote-part dans les dépenses de défense pèse lourd dans la balance) se sont tenus fidèlement aux côtés des Etats-Unis dans les périodes de crise. Ils ont fini par se rendre compte qu’ils n’ont pas dans le monde d’alliés plus solides. La brillante formule selon laquelle l’Europe n’étant ni le problème, ni la solution et donc les Etats-Unis s’en désintéressaient, a connu son heure de gloire médiatique, mais elle a vécu.
Barack Obama, pragmatique et réaliste, a bien conscience d’être le premier président américain « post-hégémonique » (Frachon et Vernet dans la Chine contre l’Amérique) ; sa puissance s’est érodée et l’appoint européen est désormais à prendre en considération.
Le contexte général est au soulagement des européens : d’abord du fait même de la réélection, la continuité a toujours quelque chose de bon. Mais aussi du fait qu’aux inquiétudes du début ont succédé des raisons d’espérer, de se rassurer au moins. Parallèlement un effort sincère américain de mieux comprendre l’Europe ne serait-ce que sur le plan institutionnel : plus question de s’abstenir de participer au sommet rituel Etats-Unis/ Union européenne, tirer les leçons de l’échec de la conférence de Copenhague de 2009 sur le climat pour avoir privilégié les Etats au détriment de l’Union européenne et son fonctionnement institutionnel, collaboration dans le dossier iranien, la menace islamiste au Maghreb, partage du même diagnostic concernant la Syrie etc…Enfin et c’est l’essentiel, Obama semble avoir misé sur l’avenir de l’euro et il n’a rien fait pour compliquer la tâche des européens même s’il lui arrive de critiquer la réactivité lente et l’absence de leadership établi et incontesté en Europe. Il n’y aura pas semble-t-il de guerre larvé du dollar et de l’euro du fait du président, ce qui n’était pas acquis au départ. Ce qui vaut pour le président ne vaut pas nécessairement pour les marchés. Mais cette bienveillance est précieuse : les Etats-Unis sont sincèrement inquiets sur la situation économique de l’Europe et lui donne beaucoup d’importance, conscients qu’ils sont que l’Europe contribue à la production de 30% de la richesse mondiale, qu’elle est le premier marché pour les Etats-Unis, qu’elle draine la moitié des investissements américains à l’étranger. Tout cela mérite un effort supplémentaire de compréhension, de respect et aussi de solidarité ce qui est la moindre des choses entre alliés ce qu’ils restent au bout du compte.
(1)Justin Vaïsse directeur de recherche à la Brookings Institution de Washington ; il vient (octobre 2012) de publier : «Barack Obama et sa politique étrangère (2008-2012) » Odile Jacob éditeur.