Le 6 novembre, la commission des Libertés civiles, de la Justice et des Affaires intérieures du Parlement européen (LIBE) a lancé une audition afin de savoir si la liberté des médias, menacée depuis plusieurs années, peut être protégée au niveau européen ou si, au contraire, il faut laisser la question aux Etats membres. Renate Weber, la rapporteure de la « Charte de l’UE: ensemble de normes pour la liberté des médias à travers l’UE », a voulu connaitre l’avis des autres institutions européennes ainsi que des représentants des associations de journalistes, des ONG, et des experts afin de faire de la contribution du Parlement européen un instrument de protection des médias, menacées sous les pressions des Etats membres. Un premier tour de table a permis à la présidence Chypriote, à la Commission européenne et au représentant de l’Union européenne de radiotélévision d’exprimer leur point de vue sur le sujet.
D’après Madame Gabrielidys, représentante de la présidence Chypriote, les efforts qui on étés faits afin d’éviter la concentration des médias ne sont pas suffisants. Elle rappelle notamment le classement de la liberté de la presse effectué par l’ONG Reporters sans frontières qui montre du doigt « la Grèce (70e) et l’Italie (61e) qui ne résolvent pas leurs problèmes d’atteintes à la liberté de la presse, essentiellement par absence de volonté politique en la matière ». Mais encore, même dans les pays « bien classés » comme la Finlande et la Norvège, ou la presse est financée par l’Etat, des doutes demeurent sur leur indépendance. En conclusion, d’après la présidence, le rapport en cours contribuera a la liberté des médias, néanmoins il faut bien s’assurer de l’existence d’une base juridique donnant des compétences aux institutions européennes afin d’aboutir à un consensus ou à un compromis soutenable.
Le même avis a été partagé par Monsieur Whelan, chef de cabinet de la commissaire européenne Neelie Kroes. D’après la Commission, malgré le degré élevé de pluralisme des médias, plusieurs défis se posent pour l’Union européenne. Par exemple les problèmes rencontrés par certains Etats membres, comme laHongrie, mais aussi les problèmes de méthode et notamment l’échec de l’autorégulation. Les inquiétudes existent mais la Commission a été toujours de l’avis que toute action de l’Union européenne, pour être crédible, doit se fonder sur des bases juridiques solides. Pour cette raison, la commissaire Kroes a institué, en octobre un groupe de haut niveau présidé par l’ancienne présidente lettone, Mme Vaira Vīķe-Freiberga. Les recommandations de l’étude sont attendues pour fin décembre.
Madame Nicola Frank, responsable des affaires européennes, représentant du syndicat européen de radiodiffusion a souligné l’importance de la protection des journalistes, en particulier concernant la protection de leurs sources. En effet, toute menace a l’indépendance des médias, notamment par le biais d’intervention du gouvernement, représente une menace au pluralisme. En particulier, Madame Frank met l’accent sur l’importance des médias publiques tels que la radio et la télévision qui sont des « éléments intégrants les besoins de la société et ils doivent être protégés ». Ce rôle cruciale est évoqué, par ailleurs, dans le Protocole sur le système de radiodiffusion publique dans les États membres, annexé au Traité d’ Amsterdam. Pour préserver et renforcer le pluralisme certains instruments peuvent être déployés, par exemple le droit de la Concurrence, dont l’action pourrait comme finalité la réduction de la concentration des médias. Toutefois, pour le syndicat de radiodiffusion cela ne suffit pas, il faudrait une législation appropriée et un financement durable de ces instances.
Les députés membres de la LIBE ont réagi aux interventions en posant des questions, en particulier concernant l’échec de l’autorégulation, quelle pourrait être dans ce contexte les possibilités d’interventions de l’Union ?
D’après la présidence Chypriote les institutions européennes sont devant un dilemme, il faudrait agir dans le secteur de la Concurrence en déréglementant le secteur des médias. Par ailleurs, la Commission évoque l’inexistence d’une compétence autonome, il faut être attentif aux règles qui existent déjà. Au contraire, Madame Weber rappelle que l’Union ne repose pas seulement sur des intérêts économiques et financiers mais qu’il s’agit d’une Union de droits. D’après la députée, si l’on veut vraiment défendre la liberté des médias il faut agir. En particulier, au lieu d’évoquer l’inexistence des compétences, il faut une vraie volonté politique.
Un deuxième tour de table a permis aux députés d’écouter le point de vue de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), de l’Open Society Foundations (OSF), d’une professeure universitaire ainsi que de l’Association européenne des éditeurs de journaux.
D’abord Madame Dunia Mijatovic représentante de l’OSCE a dénoncé la violence et l’intimidation que subissent les journalistes dans leur travail quotidien, elle ne cache sa préoccupation pour les pressions politiques exercées sur les médias, en particulier en Hongrie. L’OSCE se félicite que des Etats membres, comme l’Irlande, Chypre et la Roumaine aient dépénalisé la diffamation dans leur législation intérieure. Toutefois, d’autres pays sont réticents à dépénaliser ce délit. De plus, selon Madame Mijatovic, beaucoup d’Etats membres ne protègent pas les sources des journalistes.
Ensuite, Madame Peggy Valcke, professeure à l’Université catholique de Louvain, essaye de répondre à la question si l’Union a besoin d’une directive européenne. Elle constate l’existence de deux directives : celle qui traite de la protection des donnés à caractère personnel, qui est devenue un règlement, et la directive sur les services audio-visuels. Cette dernière ne couvre que certains aspects de la liberté des médias, le champ d’application est donc très limité. Au niveau national, Madame Valcke constate davantage de législation pour harmoniser les services médias audio-visuels par rapport à la presse par exemple, qui traditionnellement fait l’objet d’autoréglementation. Toutefois l’harmonisation n’est pas allée jusqu’au point de régler la question de la transparence de la propriété des médias et de la concentration. D’après elle, la sauvegarde des médias ne peut pas être suffisamment réalisée par les Etats membres. S’il est vrai que, le législateur européen doit respecter le principe de subsidiarité tel qu’il existe à l’article 5 du traité de l’Union, il faut toutefois respecter la liberté et le pluralisme du média visé à l’article 11 de la Charte des droits fondamentaux. De plus, la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme a créé des normes assez détaillées en faveur du pluralisme des médias. La professeure constate donc que l’Union pouerait mettre en œuvre cette jurisprudence.
Marius Dragomir, responsable du projet « Cartographie du support numérique », et Magda Walter, responsable régionale et experte en promotion, de l’Open Society Foundation, ont exposé les résultats du projet de recherche media program. Les problèmes constatés concernent les règles de propriété et la transparence. Par rapport aux journaux, les licenciements de journalistes ont une répercussion sur le journalisme d’investigation. Dans des pays, comme l’Hongrie l’influence politique et cette influence ne passe pas par des aides d’Etat directes mais plutôt par des compagnies, qui sont aux mains de l’Etat et qui financent la publicité. Les recommandations issues de ces rapports passent pour l’adoption de mécanismes permettant d’éviter toute influence politique sur la propriété des médias, ou encore il faudrait inciter le journalisme d’investigation avec des financements.
Enfin, Monsieur Rusdal, président de l’Association européenne des éditeurs de journaux est d’avis que la liberté des médias est une compétence des Etats membres. En particulier, l’autorégulation par le biais des codes de conduite est fondamentale car chaque pays, d’après l’orateur connait sa propre réalité interne. Le président des éditeurs pense donc que de fait « tous les instruments européen seraient une contrainte au pluralisme, il limiterait l’indépendance éditoriale ».
Dans le troisième et dernier tour de table le président de la Fédération européenne des journalistes, les représentants de Reporters sans frontières et de l’Association internationale des journalistes européens ont exposé leur point de vue.
Monsieur König est de l’avis que la liberté et le pluralisme des médias soient à défendre au sein de l’Union. En particulier les délits contre les journalistes doivent être adéquatement punis. De plus, selon l’orateur, la précarité de la profession de journaliste ne garantit pas son indépendance. Les conditions de travail des journalistes doivent être davantage défendues.
Le représentant de l’ONG Reporters sans frontières, Olivier Basille estime que la plus grande menace dérive des législations nationales. Ainsi dans des pays comme la Hongrie, l’Italie, la Slovaquie des textes particulièrement liberticides sont passés, ils ont donner lieux à une augmentation des procédures et des procès contre les journalistes. Par ailleurs il recommande de parler de « liberté d’information plutôt que de la presse (…) car une liberté ne doit pas être l’apanage d’une profession ». Enfin, il encourage le Parlement européen d’augmenter les efforts au niveau économique, notamment dans le domaine des marchés publicitaires.
Le dernier intervenant, Monsieur William Horsley, représentant de l’Association internationale des journalistes européens critique les défaillances systémiques en thème de protection des sources, de plus les journalistes viennent parfois menacés et intimidés par la police. Pour savoir si l’Union peut concrètement intervenir dans ce domaine, il attendra les résultats du groupe de haut niveau institué par la commissaire Kroes.
L’audition qui a eu lieu au sein de LIBE a été jugée utile pour le dépôt des amendements au texte rédigé par Renate Weber. Ce dernier pourrait être adopté en plénière du Parlement en mars 2013.
Pour en savoir plus
-. Projet de rapport sur la Charte de l’UE : ensemble de normes pour la liberté des médias à travers l’UE
Roberta Gualtieri