Au lendemain de ce sommet du Conseil européen des 12 et 14 décembre, nous aurions souhaité titrer l’éditorial par un retentissant « la fédération de la zone euro voit le jour », cela devenait de plus en plus prévisible et cela n’a pas été le cas. Certes comme a pu le dire José Manuel Barroso aucune porte n’est fermée, mais aucune n’est franchement ouverte. Il faut attendre : demain ! Faut-il rappeler Saint Augustin qui disait : « Convertissez-vous donc. Vous répondez : je me convertirai demain. Pourquoi pas aujourd’hui ? » . Pas demain, aujourd’hui !
C’est un sommet de l’inabouti, seuls les premiers mois de la route sont balisés, le reste à peine esquissé, est plus ou moins balisé et d’ailleurs beaucoup plus nettement pour le court terme que pour le moyen ou long terme : tout est remis à après 2014. Magiquement on compte sur l’élection du Parlement européen : Barroso a solennellement promis devant le Parlement européen de faire tout son possible pour que le débat fédéral soit bien au centre de la campagne électorale de 2014. Prenons en acte.
On ne pourra faire longtemps l’économie des choix difficiles vers l’intégration solidaire, une union sans cesse plus étroite comme l’annonçait déjà le Traité de Rome. L’accalmie, même provisoire des marchés, la percée sur la supervision (et plus) des banques ont rendu acceptable la frustration du moment. Les propositions visionnaires de la Commission européenne, peut-être, mais plus tard ! José Manuel Barroso n’a pas été entendu lorsqu’il avait lancé un cri d’alarme devant le Parlement européen mais destiné en fait au Conseil européen : « Ne perdons pas le sens de l’urgence. La situation reste fragile. Le laxisme n’est pas une option ».
C’est bien un saut fédéral qu’a proposé la Commission dans sa communication de 56 pages , même si elle s’est bien gardée de prononcer le mot. Un document ambitieux, n’hésitant pas à entrer dans les détails même s’ils peuvent fâcher et listant les étapes, un Trésor européen, une dette fédérale, une mutualisation des dettes à court terme, avec un budget central etc (cf. autre article dans le présent numéro). Une feuille de route à court, moyen et long terme, avec un aboutissement, au plus tôt dans cinq ans. Mais la zone euro n’est pas encore suffisamment intégrée avertissait-elle pour autoriser tous les développements souhaitables.
La feuille de route promise de longue date n’a donc pas été au rendez-vous de la réunion du Conseil européen et une nouvelle fois c’est Herman van Rompuy qui est chargé de rapprocher les points de vue d’ici juin 2013 et cela dans quatre domaines :
-. coordination entre Etats des réformes économiques ;
-. la dimension sociale de la zone euro ;
-. la faisabilité et les modalités d’accords contractuels entre les Etats et les institutions européennes pour la compétitivité et la croissance ;
-. des mécanismes de solidarité associés à ces contrats.
Par ailleurs le Conseil européen reprend à son compte les cinq priorités fixées dans l’Examen annuel 2013 de la croissance identifiées par la Commission : poursuivre une consolidation budgétaire différenciée, restaurer les flux de financement de l’économie ; promouvoir la croissance et la compétitivité, affronter le chômage et les conséquences sociales de la crise, moderniser l’administration publique.
En matière d’emploi des jeunes, le Conseil européen demande que la recommandation relative à la garantie pour l’emploi des jeunes soit adoptée début 2013. Quatre mois au plus tard après la fin de leur cursus éducatif, les jeunes devraient être en mesure de retrouver une formation ou trouver un emploi. Les plus touchés, Grèce,Portugal et Espagne ont obtenu que l’examen annuel de la croissance aborde spécifiquement le fléau du chômage des jeunes.
Certes ce qui est entériné est un échéancier plus modeste que celui de la Commission dont le président, José Manuel Barroso , constatait après le sommet et avec philosophie que « les Etats membres ont décidé de se concentrer sur ce qui pouvait être fait immédiatement ».
Un bilan provisoire
Ces contrats, ces pactes sont des pas vers une articulation opérationnelle avec des actions pour la compétitivité et avec des mécanismes de solidarité pour stimuler vraiment les Etats à faire des efforts de compétitivité et de croissance, a commenté Mario Monti.
Sommet inabouti, aucune porte n’est fermée, disions nous, tout reste possible, faut-il donc s’étonner que les conclusions que l’on en tire soit aussi contradictoires parmi les observateurs les plus avisés. Un exemple particulièrement frappant les conclusions de Sylvie Goulard, d’une part, parlementaire européenne talentueuse et Michel Barnier, d’autre part, commissaire du Marché intérieur, actuellement en veine de réussite. Sylvie Goulard avec son franc-parler habituel et sa clarté a tenu, la veille du sommet européen, à faire connaître sa perception des choses dans le bulletin du groupe Spinelli auquel elle appartient : « La méthode est erronée. Pourquoi donner la priorité à des questions techniques, comme la supervision des banques, quand pour la première fois le Conseil européen se penche sur la légitimité démocratique ? Pourquoi tant de jargon et si peu d’ambition ? (…) M. Van Rompuy prend les 27 chefs d’Etat ou de gouvernement pour des ministres des Finances ou pour des techniciens. Dans un texte de 15 pages (le rapport Van Rompuy), il faut attendre la 13ème page pour voir enfin traitées les questions de démocratie ; et encore le contenu est décevant. Même les idées novatrices, comme un budget pour la zone euro finissent pas perdre tout relief. L’euro appelle des politiques communes en matière économique et sociale ; il oblige enfin à considérer la zone euro comme un tout. Sans démocratie à l’échelle de ce tout, l’intrusion des partenaires européens dans les politiques nationales, qui est déjà ferment de discorde, deviendra insupportable… » . Il est vrai qu’il faut être un lecteur attentif pour repérer dans les conclusions du sommet que toute nouvelle étape dans le renforcement de la gouvernance de l’UE « devra s’accompagner de nouveaux pas vers une légitimité et une responsabilité plus fortes ». Que Sylvie Goulard se rassure, c’est parce que toute nouvelle « intrusion » dans la conscience citoyenne des européens sera insupportable qu’inévitablement sera instillée la dose supplémentaire de démocratie nécessaire. Le doigt est mis dans l’engrenage vers plus de démocratie et aussi vers plus de social (l’a-t-on assez souligné ? il faut craindre que non), les semences ont été jetées, ayons la patience d’attendre la germination. Le débat est plus qu’amorcé sur différents aspects, même si le Conseil ne s’est pas prononcé sur le volet politique, institutionnel et économique.
L’analyse de Sylvie Goulard pêche par trop d’idéologie fédéraliste et c’est une ruse permanente de l’histoire que les grandes mutations, les grandes réalisations historiques n’arrivent pas par où on les attendait. Faut-il attendre l’arrivée d’institutions fédérales irréprochables pour que l’on dédaigne enfin se pencher sur le concret et la réalité. De quel sarcasme aurait accablé Sylvie Goulard l’annonce du plan charbon acier de la CECA, si elle avait été la contemporaine de l’évènement : « ce n’est pas comme cela qu’il faut s’y prendre » aurait-elle dit et d’ailleurs que dit-elle d’entrée de jeu ? « la méthode est erronée ! » Relisons le célèbre discours de Robert Schuman … » c’est par des réalisations et des solidarités concrètes que … » Les idéologies et théories fédéralistes trop souvent conduisent à des impasses, des impuissances, des efforts stériles. Il y a plus de cinquante ans, l’idéologie dominante invitait à se détourner du militantisme de la décolonisation et d’oeuvrer en priorité à mettre à bas le système capitaliste, un préalable incontournable à tout le reste, la décolonisation était condamnée à rester une utopie sans la chute du système capitaliste qui seule la rendrait possible. Les faits en ont décidé autrement. Méfions nous des projets qui décident à l’avance de tout : les principes, les mécanismes et les règles.
Pragmatisme et réalisme obligent, donnons la parole à ceux qui estiment que ce sommet est un succès, tel Michel Barnier. Il estime, parlant de la supervision bancaire, qu’un grand pas a été accompli car il signifie surveiller ensemble, superviser ensemble ; prendre des mesures à l’échelle de l’Europe pour des milliers de banques dont beaucoup sont transfrontalières et peuvent provoquer des conséquences négatives de l’autre côté de la frontière (…) Il y aura une totale information de la BCE sur l’ensemble du système bancaire, une homogénéité des pratiques, un manuel de supervision qui sera le même pour les 6000 banques (…). C’est ainsi que va se construire pièce par pièce, brique par brique, l’union bancaire, à partir de cette étape fondamentale de la supervision, outil de stabilité et de confiance (…). La stabilité de la zone euro est importante pour toute l’UE, pour le progrès et la stabilité de tout le marché unique ». On croirait entendre le lyrisme enthousiasme de Sicco Mansholt au moment du lancement il y a cinquante ans de la politique agricole commune : pendant plusieurs décennies l’Europe n’a pas eu d’autre ossature, d’autre chaire que la PAC, la politique agricole commune avant qu’elle ne soit relayée par le Grand Marché Intérieur, encore que ce dernier soit encore loin d’être achevé vingt ans après la proclamation de son achèvement comme vient de le rappeler le dernier sommet du 13 et 14 décembre.
Le char de l’Europe est désembourbé, il se remet en marche et va de l’avant. Se libèrent peu à peu les forces de la contagion logique qui de proche en proche gagne l’ensemble des composants de ce qui fait l’Europe. Ce n’est qu’un pas de plus, mais un pas indispensable. Remarquons au passage qu’il a suffit de quelques mois pour mettre en place les premiers éléments de la supervision bancaire et de l’union bancaire future là où la PAC a eu besoin, il y a plus de cinquante ans, d’une bonne décennie pour la mise en place de ses premiers éléments.
Devant le Parlement européen, Herman van Rompuy s’est interrogé : la pression des institutions remplacera-t-elle la pression des marchés ? C’est bien possible et ce serait heureux. Comptons sur le Parlement européen. Faut-il lui rappeler comme certains l’ont déjà fait : les dispositions du Traité de Lisbonne attribuent au Parlement européen la faculté d’ouvrit l’année prochaine une procédure de révision des traités en demandant l’ouverture d’une Convention. Il suffira ensuite qu’une majorité simple d’Etats soit d’accord pour que cette Convention soit convoquée et que s’amorce le processus de révision des traités. Une longue marche, et entre temps, beaucoup de choses auront été menées à bien. Une longue marche sans doute nécessaire. N’oublions pas, non plus, la Commission européenne qui a confirmé son intention d’utiliser son droit d’initiative pour présenter des propositions nouvelles et c’est dans ce cadre institutionnel qu’elle a tenu à placer, à la veille du sommet, son « blue print » pour « une union économique et monétaire véritable et approfondie ». « Faut-il souligner que la « Commission est toujours libre de mettre sur la table des propositions sans qu’elle en soit formellement chargée » a fait remarquer Herman van Rompuy. C’est toute la supériorité du président de la Commission sur le président du Conseil européen. Concernant ce dernier on peut s’interroger sur la valeur ajoutée qu’il a apporté dans cet exercice : une pâle copie du document de la Commission sans pouvoir en contrepartie forger le compromis susceptible de recueillir l’accord des 27 chefs d’Etat et de gouvernement. Premier rendez-vous dans six mois en juin 2013.
Il n’est pas simple pour les opinions publiques de s’en rendre compte, elles qui perçoivent d’abord les efforts et les sacrifices alors que les répercussions positives sont pour demain avec parfois des délais prolongés. Mais on doit s’interroger pour savoir si et quand l’Europe a traversé des périodes aussi riches de résultats, dans des délais aussi courts.
Pour en savoir plus :
-. Conclusions du Conseil européen des 13 et 14 décembre (FR) http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/fr/ec/134364.pdf
(EN) http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_Data/docs/pressdata/en/ec/134353.pdf#page=2
-. Remarks by President Van Rompuy following the first session of the European Council (EN) http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/en/ec/134354.pdf
-. Speech by President of the European Council Herman van Rompuy at the European Parliament http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/en/ec/134406.pdf
-. Speech by President Barroso to the EP Conference od Presidents on the outcome of the European Council meeting of 13-14 December 2012 http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-12-960_en.htm
-. Statement by President Barroso following the second day of the European Council 13-14ember 2012 http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-12-959_en.htm
-. Statement by President Barroso following the first evening of the European Council, 13-14 December 2012 http://europa.eu/rapid/press-release_SPEECH-12-958_en.htm?locale=fr