Le cadre financier pluri-annuel, on le sait rencontre des difficultés telles qu’il reste pour l’instant à l’état de débat malgré l’accord conclu le 8 février dernier. Pourtant, ce cadre financier est déterminant quant à la satisfaction des objectifs fixés par Europe 2020. Parmi ces objectifs, trois touchent directement les roms : l’emploi, la cohésion sociale et l’éducation. On comprend donc pourquoi ce budget sera déterminant quant à un changement pertinent de la situation des roms. On le sait, la question des roms est laissée aux soins des Etats membres, mais l’Union européenne se donne pour but de les aider dans cette tâche en fournissant un cadre commun, un ensemble d’instruments juridiques et financiers. Les stratégies nationales d’intégration des roms couvrent la période 2011-2020, quel état des lieux peut-on dresser sur la situation des roms en ce début d’année 2013 ? D’abord, revenons sur les progrès accomplis ces deux dernières années de manière à mieux appréhender le chantier sur lequel semble bâtie l’année 2013.
Le 5 avril 2011, une communication de la Commission européenne (COM(2011) 173 final) fixe « an european framework for national roma integration strategies up to 2020 ». Pourquoi cette stratégie ? Rappelons que l’enjeu soulevé par la question des roms fait référence à la fois aux idées de non-discrimination, libre circulation, cohésion sociale, solidarité et à celles mentionnées dans la Charte des droits fondamentaux. Il apparaît qu’il n’est pas seulement nécessaire de lutter contre les discriminations et renforcer la cohésion sociale de manière globale mais que des mesures qui soient à la fois spécifiques et claires doivent être prises. Dans cette optique, des mécanismes doivent être instaurés de façon à assurer un suivi de la traduction concrète des dispositions prévues par le Cadre de l’UE par les Etats membres.
Quatre éléments sont distingués au sein du cadre de l’UE : éducation, emploi, santé et logement. Un regard rapidement jeté sur certaines mesures nous apprend que dans chacun des domaines, notamment dans celui de l’éducation, un plan d’action a été mis en place de manière à former notamment des médiateurs capables à la fois d’interagir avec la famille et de gérer au mieux la transition entre les différentes étapes du parcours scolaire de l’enfant. La stratégie 2020 prévoit, en effet de combattre illettrisme. Toujours dans l’optique d’Europe 2020 et dans le deuxième domaine soulevé, à savoir l’emploi, il est prévu d’ici là que 75% de la population entre 20-64 ans ait un emploi. Relié à la question qui nous intéresse, les Etats membres doivent de ce fait assurer un accès non-discriminatoire au marché du travail aux populations Roms. En ce qui concerne la santé, l’accent est mis notamment sur l’espérance de vie des Roms, estimée plus faible de dix ans par rapport à celle de l’ensemble de l’Union européenne. Enfin, le dernier enjeu visé par cette communication quant à l’intégration des populations roms est celui de l’accès au logement et aux services essentiels (eau, électricité, gaz).
La question financière est également abordée par la communication. Il est demandé aux Etats membres, sur la période 2007-2013 d’orienter prioritairement les ressources vers les stratégies d’intégration des roms telles qu’encouragées par le Cadre européen. Durant cette pé riode, 172 millions ont été effectivement alloués en vue de cette intégration.
Mais il est clairement mis en évidence que 2013 constitue une année phare dans la conclusion du « multi-annual financial framework ». Si le budget est encore à l’heure actuelle au stade du débat, celui-ci est crucial quant à la réalisation des objectifs prévus par Europe 2020 notamment la lutte contre la pauvreté, l’exclusion sociale, l’accroissement des taux d’emploi et la réduction du décrochage scolaire. Du point de vue de l’implantation de ce Cadre, tous les réseaux et nivaux d’intervention sont appelées à se rejoindre au projet de manière à poursuivre une politique d’autant plus efficace.
Le 21 mai 2012, la Commission, dans une seconde communication (COM(2012) 226 final) perpétue la dynamique lancée par la création du Cadre de l’UE. Le but est ici d’évaluer la manière dont les Etats membres en ont intégré les dispositions par l’intermédiaire « d’une évaluation » via les quatre domaines clés qui avaient été retenus. Ainsi, des tableaux récapitulatifs permettent de saisir rapidement pour chaque série de mesures, quel Etat membre y prend part ou pas. Sur la base de cette évaluation, des recommandations ont été adressées à chaque Etat membre. De même, certains types de mesures qui ont été prises par les Etats membres sont mises en valeurs, de manière à développer un esprit de « best practises ».
D’abord, en ce qui concerne l’enseignement, la plupart des Etats ont décidé d’aller au-delà même du cadre de l’UE qui prévoyait l’achèvement du cycle d’enseignement primaire. Les Etats membres ont donc généralisé cette mesure à un spectre plus large de formations. Le décrochage scolaire est l’élément majeur contre lequel les Etats membres doivent lutter. Cependant, si un grand nombre d’Etats ont pris en compte ce défi, seuls sept Etats membres (CZ, EL, ES, HU, PL, RO, SK) ont pris des mesures quant à la ségrégation, élément pourtant majeur, nous l’aborderons plus tard. En ce qui concerne l’emploi, la question majeure soulevée dans le cadre de l’UE était celle de l’accès non discriminatoire à l’emploi pour la population rom. Une approche intégrée est ici préconisée (suivie pour l’instant par huit états membres seulement) qui soit fondée sur des objectifs quantifiables dont les progrès pourront dans cette perspective être évalués. Il y est fait référence également, tout comme c’était le cas dans le cadre de l’UE, au fait que intégrer les roms sur le marché du travail, en plus d’être une exigence en termes de droits de l’Homme permettrait aussi d’en retirer des avantages économiques importants. En ce qui concerne la santé, chaque Etat membre s’est engagé à réaliser des progrès dans cette matière mais peu ont mis en place une stratégie globale dans ce but. Enfin, en ce qui concerne le logement, il était également question d’un accès non-discriminatoire à celui-ci. Le même problème est le même que pour les autres domaines : si l’ensemble des Etats membres adhèrent à l’objectif global, seuls cinq états membres ont mis en place des réponses quant aux besoins de la population non sédentaire (BE, IE, FR, AT, UK), et sept ont mis en place une approche intégrée dans cette perspective (CZ, ES, FR, HU, PT, RO, FI).
Le cadre européen préconisait, on s’en souvient, une implication des autorités régionales et locales et dans la continuité, une implication de la société civile, pourtant très peu semblent être en réalité mobilisées ou si c’est le cas, peu pris en compte. De même, des mécanismes de suivi étaient abordés par le cadre de l’UE, or seuls quatre pays (IE, LV, PT, SK) ont élaboré un système de suivi solide. Cependant, chaque Etat membre a un point de contact national qui coordonne l’élaboration et la mise en oeuvre de la stratégie.
Du point de vue du financement, très peu d’Etats selon la Commission ont alloué des ressources budgétaires suffisantes et celle-ci insiste sur le fait que ces mêmes Etats ne doivent pas se reposer entièrement sur les fonds mis à disposition par l’Union européenne. Aucun financement n’est mentionné pour huit Etats membres (IT, FR, CY, LU, NL, AT, FI, UK).
Enfin, il est prévu une analyse annuelle de la mise en oeuvre des stratégies nationales d’intégration des Roms. Si les communications de la Commission permettent de percevoir l’éventail des mesures adoptées ou à adopter à partir de 2013, il est nécessaire de s’appesantir sur l’Euro baromètre sur la discrimination en 2012, de manière à percevoir d’autant mieux les attentes et appréhensions de la population européenne face à ces enjeux à l’aube de l’année 2013.
D’abord, il est intéressant de voir qu’une rubrique entière est consacrée aux roms dans cet Euro baromètre, ce qui retranscrit clairement l’enjeu que ceux-ci constituent, tant par la nécessité de politiques à leur égard que par l’évaluation des perceptions de l’ensemble de la population européenne. Seulement 2% de la population européenne estime que les efforts nationaux pour intégrer les Roms ont été « très efficaces » pour plus de 70% estimant qu’ils ont été « pas du tout ou modérément efficaces ». Paradoxalement, si trois européens sur quatre sont d’accord pour dire que les Roms sont soumis à un risque de discrimination, plus de 60% ne s’estimeraient « pas à l’aise » ou « pas très à l’aise » s’il y avait des roms dans la classe de leur enfant. Cependant, l’Euro baromètre traduit une certaine note positive puisque plus de la moitié des européens se posent en faveur d’une meilleure intégration des Roms.
Dans un troisième temps, il est également intéressant de s’interroger sur la réaction des pays européens face au cadre mis en place de manière à entrevoir les enjeux en 2013 pour le Cadre européen mis en place. Dans cette perspective, cinq pays (Bulgarie, Tchécoslovaquie, Hongrie, Roumanie et Slovaquie) ont réalisé une approche critique de ce cadre. Ces mêmes pays ont développé des plans nationaux d’actions pour mettre fin aux discriminations envers les Roms et sont membres de « la décennie pour l’intégration des Roms 2005-2015 ». On suppose donc un total accord avec les communications évoquées de la Commission. Cependant, ils insistent, dans la perspective d’Europe 2020, sur la nécessité d’aller plus loin, d’accélérer le processus si l’on veut atteindre les objectifs fixés et soulèvent un certain nombre d’éléments qui doivent être éclaircis ou approfondis. Voilà un ensemble de points abordés de manière relativement exhaustive. D’une part, le cadre européen aurait échoué à montrer en quoi les fonds européens seraient mieux utilisés pour l’inclusion des roms : il n’est pas expliqué non plus comment les fonds européens seront rendus plus disponibles pour les projets qui encouragent de manière spécifique l’intégration des roms. Peut-être, selon eux les fonds européens devraient-ils être conditionnés à une stratégie nationale envers les roms. De même, la discrimination envers les femmes n’est pas évoquée. Le plan d’action devrait également prévoir des mesures spécifiques, des deadlines, pas juste préconiser des approches intégrées. L’absence de deadlines peut pousser les Etats à piocher dans les mesures les moins contraignantes pour eux et à se détourner d’une certaine continuité. Ainsi, certaines mesures requièrent un caractère d’urgence plus important, en l’occurrence surtout dans le domaine de la santé avec la vaccination, l’espérance de vie, la mortalité infantile. Dans le secteur de l’éducation, le cadre européen est vu comme trop peu ambitieux, il y est question de l’enseignement primaire mais pour ces cinq pays, l’intégration doit se faire bien avant. Il y a également un manque d’analyse des « best practises », ce type d’analyse ayant pourtant fait ses preuves lorsqu’il était question de lancer un ensemble de dynamiques. Si l’on part du postulat que les roms sont exclus, aucun facteur d’explication n’est avancé, la détermination de ceux-ci permettraient pourtant un meilleur ciblage des politiques.
Un des majeurs problèmes majeurs soulevés s également est celui du manque d’indicateurs et de données : si la Commission s’engage à rédiger un rapport tous les ans pour évaluer les progrès accomplis, il est nécessaire de baser cette évaluations sur des indicateurs concrets. On avait soulevé plus haut le fait que peu d’Etats membres s’attardaient sur la notion de ségrégation, celle-ci apparaît pourtant comme fondamentale pour ces cinq pays. De même, l’échelle de responsabilité apparaît floue : quel est le véritable rôle des échelons locaux et régionaux ? On ne parle pas également du problème des habitations illégales aux yeux des autorités nationales. Si des points de contacts sont créés de manière à assurer une forme de coordination, ce terme est large, quelles sont réellement leurs fonctions ? La contribution du système politique et législatif européen n’est pas évoquée non plus. En conclusion, à chaque nouvelle année, ses bonne résolutions : 2013 est une année décisive puisque c’est cette année qui déterminera les fonds alloués notamment aux politiques de cohésion pour la période 2014-2020. Mais 2013 est une année décisive comme le seront toutes les années à venir jusque 2020. Ainsi, depuis 2011 le processus est lancé, en 2012, la route à suivre s’est quelque peu éclairée. A voir si la Commission sera plus précise et mettra en place des mécanismes de suivi plus contraignants, ou du moins plus rigoureux à l’aide d’indicateurs effectifs et si les Etats membres joueront la carte de l’intégration ou des discours teintés d’une approche plus sécuritaire.
Louise Ringuet (Institut d’Etudes européennes de l’Université Libre de Bruxelles)
Pour en savoir plus :
-.Communication du 5 avril 2011 de la Commission européenne. http://ec.europa.eu/justice/policies/discrimination/docs/com_2011_173_en.pdf
-.Europe 2020http://ec.europa.eu/europe2020/index_fr.htm
-. Conclusions du Conseil du 7/8 février 2013 sur le budget 2014-20120.http://www.consilium.europa.eu/uedocs/cms_data/docs/pressdata/en/ec/135344.pdf
-. Points de contacts européens.http://ec.europa.eu/justice/discrimination/files/roma_nationalcontactpoints_en.pdf
-. Communication de la Commission du 21 mai 2012.http://ec.europa.eu/justice/discrimination/files/com2012_226_fr.pdf
-. Eurobaromètre sur la discrimination en 2012.http://ec.europa.eu/public_opinion/archives/ebs/ebs_393_en.pdf
-. Critique du cadre européen :http://www.opensocietyfoundations.org/sites/default/files/roma-integration-strategies-20120221.pdf
Merci Louise pour cet excellent article.
J’en profite pour conseiller aux lecteurs intéressés par le sujet de la situation des Roms dans l’Union le récent article d’EU Observer, qui ne laisse pas indifférent: http://euobserver.com/justice/119120