C’est l’une des annonces de sa conférence de presse du 16 mai dernier. Il a évoqué le droit de vote des étrangers: « Sur le droit de vote des étrangers, je n’ai pas soumis ce texte car je sais que l’opposition n’en veut pas, et je ne veux pas donner l’impression que nous chercherions avant les élections municipales à imposer les enjeux », a expliqué le chef de l’Etat, avant d’ajouter : « Après les élections municipales, comme cela il n’y aura plus d’enjeu, il sera soumis au Parlement et le Parlement en fera l’adoption s’il le souhaite. »
Le droit de vote des étrangers aux élections municipales, vieille revendication endossée par le PS depuis 1981 mais jamais mise en œuvre, figurait au programme de François Hollande, dont c’était la proposition numéro 50. Mais dès l’élection passée, c’est l’un des premiers engagements sur lesquels il a marqué un recul clair. En septembre 2012, alors que 77 députés viennent de signer un appel en faveur de cette loi, Manuel Valls, ministre de l’intérieur et donc appelé à diriger une telle réforme, expliquait qu’elle ne correspondait pas à « une revendication forte » dans la société. L’Elysée l’a alors fortement contredit en affirmant dans un communiqué que « la réforme sera tenue ».
Pour adopter ce texte, qui modifie la Constitution, il faut non pas la majorité simple à l’Assemblée, mais la majorité des trois cinquièmes des députés et sénateurs réunis en Congrès. Une majorité que la gauche ne peut obtenir seule. Il est donc nécessaire de trouver des alliances. C’est ce que le gouvernement expliquait, à l’automne. « Nous travaillons chaque jour pour essayer, au-delà de la gauche, de trouver des républicains qui viendraient soutenir cette démarche », assure Alain Vidalies.
Il est également possible de faire adopter cette mesure par référendum. Mais la gauche craint que la campagne qui en découlerait provoque des dérapages, et surtout que le référendum ne passe pas en raison de l’impopularité du gouvernement et aussi les réserves fortes de l’opinion publique. En novembre, lors de sa conférence de presse, François Hollande expliquait : « J’ai dit au gouvernement, aux responsables de groupes [parlementaires] de travailler pour constituer cette majorité. Quand cette majorité sera envisagée, je prendrai mes responsabilités. Mais pas avant. […] Présenter un texte avec le risque de diviser les Français pour au bout du compte ne pas le faire passer : je m’y refuse. » En clair, c’était dire qu’il ne présenterait pas de texte tant qu’il n’aura pas de majorité pour le faire adopter. Quant à la possibilité d’un référendum, M. Hollande explique : « Si nous n’aboutissons pas par la voie parlementaire, je verrai dans quel état est la société pour éventuellement aller dans cette direction (…) Mais aujourd’hui, ce n’est pas mon intention. »
Le recul est assez explicite. La perspective des municipales de 2014, qui s’annoncent difficiles pour la gauche, l’explique en grande partie. Le droit de vote s’appliquant aux élections locales, il fournirait un bon argument de campagne contre la gauche, expliquent des socialistes et donnerait des arguments à l’extrême droite de Marine Le Pen. Pourtant fin janvier, Jean-Marc Ayrault évoque à nouveau cette réforme, qu’il souhaite faire passer en même temps qu’une réforme constitutionnelle plus vaste. Mais la nouvelle est accueillie froidement au sein du groupe PS à l’Assemblée, où certains jugent le projet « délirant » dans un contexte d’impopularité forte.
En l’évoquant à nouveau lors de sa conférence du 16 mai, François Hollande vient donc de le remettre à l’ordre du jour. Rappelons qu’il avait promis fin avril aux parlementaires de sa majorité : « Je n’ouvrirai pas de deuxième front sur les sujets sociétaux avec le droit de vote des étrangers. » Sans doute il est excessif d’en tirer comme conclusion qu’il semble, depuis, admettre qu’un « deuxième front » était possible, après les municipales. Mais en l’état actuel des choses, il faut bien admettre que l’opinion publique française est très largement en défaveur d’un tel vote. Elle ne l’a pas toujours été : il n’y a pas si longtemps plus de 60% était en faveur et Nicolas Sarkozy l’envisageait avec faveur, preuve supplémentaire comme quoi tout cela est une question de pédagogie, de présentation par les médias. Ce n’est pas une mesure décisive, mais reste un passage obligé pour une meilleure et plus complète intégration des immigrés ; l’intégration est un objectif auquel personne n’a renoncé explicitement. Constatons, une fois de plus que le pacte européen pour l’immigration adoptée en 2008 sous présidence française a été largement perdu de vue par tout le monde au moins pour tout ce qui relève de l’intégration. Notons enfin que là où existe une possibilité de vote pour les étrangers, cela n’a pas créé les drames qu’avancent les opposants au droit de vote des étrangers.
Rappel : qu’en est-il du droit de vote des étrangers dans l’Union Européenne ? Depuis 1994, les citoyens de l’Union européenne qui résident dans un État membre dont ils n’ont pas la nationalité peuvent voter et sont éligibles aux élections municipales dans cet État, dans les mêmes conditions que les nationaux. Les étrangers hors UE ne jouissent pas quant à eux du droit de vote. Cependant, 15 pays européens ont décidé d’accorder un droit de vote, parfois d’éligibilité, aux étrangers non ressortissants de l’UE pour les élections municipales, voire générales ou régionales. 12 refusent encore d’accorder ce droit, parmi lesquels la France.
Depuis 1992, l’Irlande autorise tous les résidents étrangers à voter et à se présenter aux élections municipales, sans durée minimale de résidence, dans les mêmes conditions que les nationaux.
L’UE oblige les Etats membres à accorder un statut de résident de longue durée aux ressortissants de pays extérieurs ayant résidé pendant 5 ans sur leur territoire. Ce statut accorde une égalité de traitement avec les ressortissants nationaux dans des domaines tels que les conditions de travail et d’emploi, l’éducation et la formation professionnelle, la protection sociale, ou encore la liberté d’association et d’engagement dans une organisation de travailleurs ou d’employeurs. Les droits de vote et d’éligibilité ne sont pas concernés par cette directive.
La Suède, le Danemark, les Pays-Bas, le Luxembourg, la Belgique, l’Estonie, la Slovénie, la Lituanie, la Hongrie et la Slovaquie ont octroyé le droit de vote à tous les étrangers qui résident sur leur territoire depuis plusieurs années, entre deux et cinq ans selon les pays. Les Islandais et Norvégiens peuvent même voter sans condition de durée de résidence au Danemark et en Suède, ou après 51 jours dans la même commune en Finlande. Le Danemark accorde le droit de vote et d’éligibilité aux régionales et la Suède à l’équivalent des conseils généraux, ainsi qu’aux référendums nationaux.
L’Espagne et le Portugal accordent le droit de vote aux ressortissants de certains pays, en particulier leurs anciennes colonies, sous réserve de réciprocité et de durée de résidence . Le Royaume-Uni permet aux citoyens du Commonwealth (54 États membres) et aux Irlandais de participer (vote et éligibilité) à tous ses scrutins, locaux et nationaux.
Les étrangers disposant du droit de vote sont éligibles aux conseils municipaux du Danemark, d’Espagne, du Luxembourg, des Pays-Bas, du Portugal, de Suède et du Royaume-Uni sous certaines conditions (voir tableau).
Enfin, 12 pays parmi lesquels l’Allemagne, l’Autriche, l’Italie, la France, la Bulgarie, la Lettonie, la Pologne, la Roumanie et Chypre s’opposent au droit de vote des étrangers hors Union européenne. La République tchèque et Malte se sont octroyé la possibilité de conclure des accords bilatéraux pour y autoriser certains ressortissants, ce qui n’a pas encore eu lieu. En Grèce, une loi votée en mars 2010 a permis aux étrangers de voter pour la première fois lors des municipales de novembre, mais le Conseil constitutionnel a jugé la loi inconstitutionnelle, laissant à la Cour suprême le soin de trancher.
La question du vote des étrangers aux élections locales est revenue dans le débat politique français avec la reprise au Sénat d’un texte de proposition de loi constitutionnelle qui avait été adopté par l’Assemblée nationale en 2000. Ce texte, adopté par le Sénat, avec modification le 8 décembre 2011, concerne les étrangers ressortissants de pays non membres de l’Union européenne (UE). En effet, en application d’une directive datant de 1994 , les citoyens d’un Etat de l’UE résidant dans un autre Etat membre peuvent voter et sont éligibles aux élections municipales dans cet État.
Le rapport fait au nom de la Commission des lois du Sénat à l’occasion de cette discussion comprend en annexe une étude de législation comparée analysant les règles en vigueur dans 12 pays de l’UE (Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni et Suède), ainsi qu’en Suisse. (Cf. infra « pour en savoir plus »).La diversité de ces choix montre l’absence de modèle de référence. Pour la France, en tout état de cause, le débat a-t-il une réelle chance d’être tranché dans un délai rapproché ?
Pour en savoir plus :
-. Etude de législation comparée sur le droit de vote des étrangers du Sénat français http://www.senat.fr/lc/lc218/lc218_mono.html
-.Synthèse : statut des ressortissants des pays tiers à l’UE, résidents de longue durée (FR) http://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/free_movement_of_persons_asylum_immigration/l23034_fr.htm
-. Droit de vote des étrangers aux élections locales ; rapport d’information de la sénatrice Esther Benbassa http://www.senat.fr/lc/lc218/lc218.pdf
-. Synthèse : pacte européen sur l’immigration et l’asile (FR) http://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/free_movement_of_persons_asylum_immigration/jl0038_fr.htm (EN) http://europa.eu/legislation_summaries/justice_freedom_security/free_movement_of_persons_asylum_immigration/jl0038_en.htm
-. Pacte européen sur l’immigration et l’asile (FR) http://register.consilium.europa.eu/pdf/fr/08/st13/st13440.fr08.pdf (EN) http://register.consilium.europa.eu/pdf/en/08/st13/st13440.en08.pdf