A la veille de l’examen du Semestre européen, un rappel utile : le tableau de bord de la justice dans l’UE. Un outil pour promouvoir une justice effective et la croissance

Le 27 mars, la Commission européenne a présenté un nouvel outil permettant de mesurer et comparer l’efficacité des systèmes judiciaires propres à chacun des Etats membres. Nea say a déjà consacré un bref article : « pas de bonne justice sans bonne économie » :

      -. http://europe-liberte-securite-justice.org/2013/04/01/pas-de-bonne-economie-sans-une-bonne-justice/ 

       -.http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=2760&nea=132&lang=fra&lst=0

 

.Il est utile d’en rappeler certains détails à la veille de la présentation par la Commission des premières données du Semestre européen, car la Commission a établi un lien entre les deux exercices et l’on va pouvoir vérifier la qualité du suivi (cf. infra « suivi des conclusions du Tableau de bord). Ce tableau de bord de la justice est élaboré à partir de données recueillies par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice, organe du Conseil de l’Europe créé en 2002. Parmi eux, la durée moyenne de résolution des affaires non criminelles constitue un indicateur intéressant pour étudier la valeur et la « productivité » des cours de justice nationales.

 Les chiffres donnés par la Commission européenne pour l’efficacité de la justice (CEPEJ) sont riches d’enseignement. Six pays du Sud de l’Europe trustent le peloton… des retardataires. C’est une fracture Nord-Sud claire et inquiétante. En tête, le Portugal : avec 1096 jours, soit près de 3 ans, les lusitaniens doivent se munir de patience pour obtenir des réparations ou être condamnés dans des affaires non criminelles. Et encore, cette moyenne n’est calculée qu’à partir des jugements en première instance. Au Portugal, il faut en moyenne quatre fois plus de temps que dans le reste de l’UE27 pour voir une affaire de ce type résolue. Cette lenteur s’est de plus accrue de 160 jours entre 2008 et 2010.

Suivent ensuite les îles de Malte (866 jours), Chypre (545), la Grèce (510), l’Espagne (473) et l’Italie (395), qui complètent le tableau des pays où les procédures judiciaires non criminelles en première instance durent en général plus d’un an.  Les pays méditerranéens sont encore loin de leurs voisins du Nord.

 Le tableau de bord de la justice, lancé en mars 2013 par la Commission européenne, a pour objectif de fournir des chiffres et des données concrètes sur la situation et l’efficacité des systèmes judiciaires nationaux des vingt-sept Etats membres, afin ensuite de motiver certains d’entre eux à combler leur retard. Il permet notamment de comparer la part du budget de chaque Etat alloué à la justice, le nombre de juges et d’avocats pour 100 000 habitants, ou encore la perception que se font les européens de l’indépendance de leur propre système judiciaire.

Pas besoin de nous vanter pour autant. En 2010, en France, la durée moyenne est de 256 jours, loin devant la Suède (185) et la Slovénie (180). Du côté des plus vertueux, on trouve le Danemark (27 jours), la Lituanie (43) et la Pologne (49).

 Parmi ceux dont l’efficacité du système judiciaire a montré des lacunes en 2010, en comparaison avec 2008, on trouve notamment Chypre, qui enregistre une augmentation de 122 jours des délais de jugement en première instance, ainsi que la Roumanie, qui passe de 99 à 156 jours. A moindre échelle, on observe un rallongement des procédures judiciaires non criminelles en Finlande (+40 jours), en Grèce (+33), en Roumanie (+57) ou encore en Suède (+45).

A l’inverse, des améliorations sont visibles sur la même période du côté des tribunaux bulgares (-81 jours), maltais (-62), slovènes (-64) et tchèques (-53).

 En revanche, une majorité des Etats membres réussit à ne pas accumuler d’affaires en suspens. En 2010, les tribunaux (hors pénaux) de douze pays ont résolu autant, voire plus d’affaires qu’ils n’en ont reçu. Le Luxembourg peut même se targuer d’un taux de résolution de 165%, ce qui le place loin devant l’Estonie (111%) et l’Italie (109%). En revanche, la situation est très inquiétante en Grèce, qui affiche un piètre taux de 79%, ce qui alourdit d’autant plus le travail des institutions judiciaires hellènes.

 Au-delà de toute considération concernant la Justice, la Commission a tenu à rappeler les contraintes  de la crise économique. La crise économique et financière que traverse actuellement l’UE a joué comme un catalyseur de profonds changements, comme en atteste la restructuration des économies nationales, engagée en vue de préparer le terrain à un retour de la croissance et de la compétitivité. Les systèmes judiciaires nationaux jouent un rôle essentiel dans ce processus de réforme, dans la mesure où ils contribuent à restaurer la confiance et à favoriser le retour à la croissance. Un système judiciaire efficace et indépendant est, en effet, un facteur de confiance et de stabilité. Des décisions de justice prévisibles, arrêtées en temps utile et exécutoires sont des composantes structurelles importantes d’un environnement attrayant pour les entreprises: elles  préservent la confiance nécessaire au lancement d’une entreprise, à l’exécution d’un contrat,au règlement de dettes privées ou à la protection des droits de propriété et d’autres droits.

 Dans les États membres faisant l’objet de programmes d’ajustement économique1,l’expérience montre que les dysfonctionnements de la justice renforcent la spirale de croissance négative et minent la confiance des citoyens et des entreprises dans l’appareil judiciaire. C’est la raison pour laquelle, en 2011, la réforme du système judiciaire national est devenue partie intégrante des composantes structurelles de ces programmes. L’amélioration de la qualité, de l’indépendance et de l’efficience des systèmes judiciaires est également une priorité du semestre européen, le nouveau cycle annuel de coordination des politiques économiques de l’UE2. L’exercice 2012 a révélé que six États membres3 devaient remédier à un certain nombre de problèmes, notamment liés à l’organisation de la justice et à la longueur des procédures judiciaires.

 L’effectivité des systèmes de justice nationaux est d’une importance cruciale pour l’UE. L’accès à un système de justice effectif est un droit essentiel, qui est à la base des démocraties européennes et qui est consacré par les traditions constitutionnelles communes aux États membres. Son importance est cruciale pour l’effectivité de l’ensemble du droit de l’UE et, en particulier, de sa législation économique, qui doit favoriser la croissance. Les juridictions nationales jouent un rôle essentiel, par exemple en faisant appliquer le droit de la concurrence4 et d’autres réglementations de l’UE d’une importance fondamentale pour le marché unique5, notamment dans les domaines des communications électroniques6, de la  propriété intellectuelle7, des marchés publics8, de l’environnement9 et de la protection des consommateurs . Chaque fois qu’une juridiction nationale applique le droit de l’UE, elle agit en qualité de «juridiction de l’Union» et doit offrir une protection juridictionnelle effective à tout citoyen ou toute entreprise dont les droits garantis par le droit de l’UE ont été violés. L’importance de ce droit à un recours effectif est consacrée par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (article 47).

Des systèmes de justice effectifs sont également indispensables au renforcement de la confiance mutuelle nécessaire à la conception et à la mise en oeuvre d’instruments de l’UE fondés sur la reconnaissance mutuelle et la coopération. Conformément à l’article 67, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, l’Union constitue un espace de justice dans le respect des différents systèmes et traditions juridiques des États membres. Les citoyens, les entreprises, les juges et les pouvoirs publics sont censés se fier aux décisions de justice arrêtées dans un autre État membre, les respecter, les reconnaître et les exécuter.

Par conséquent, non seulement les défaillances des systèmes judiciaires nationaux constituent un problème pour les États membres concernés, mais elles peuvent aussi nuire au fonctionnement du marché unique et, plus généralement, à l’ensemble de l’UE. Dans son examen annuel de la croissance pour 2013, la Commission européenne a souligné l’importance d’améliorer la qualité, l’indépendance et l’efficience des systèmes judiciaires nationaux. Avant de formuler des recommandations par pays dans ce domaine, il y a lieu de procéder à une évaluation systématique du fonctionnement du système judiciaire de tous les États membres, en tenant pleinement compte des différentes traditions juridiques nationales.

Pour soutenir les réformes de la justice engagées en vue d’une croissance renouvelée, il est nécessaire de disposer de données objectives, fiables et comparables. en l’absence de suivi et d’évaluation fiables, il est plus difficile d’améliorer le fonctionnement d’un système de justice. Or, des décisions de justice de qualité médiocre accroissent les risques auxquels les grandes entreprises et les PME sont confrontées dans leur activité, de même qu’elles ont un impact sur les choix des consommateurs. Les décisions peuvent être trop hâtives ou moins prévisibles et les procédures incompréhensibles, ou l’accès à la justice n’être plus garanti. Pour une gestion efficace des affaires en termes de temps, il est nécessaire que le pouvoir judiciaire, les juridictions et tous les utilisateurs finaux de la justice  puissent être informés du fonctionnement des cours et tribunaux via un système de suivi régulier. La définition de politiques de qualité et l’évaluation de l’activité des juridictions sont des outils permettant d’accroître la qualité de la justice, de manière à garantir un meilleur accès à la justice ainsi que des décisions de justice fiables, prévisibles et rendues en temps utile.

 

Suivi des conclusions du Tableau de bord dans le contexte des réformes judiciaires menées dans les États membres  

      -1. Le Semestre européen.

 Les principales conclusions du tableau de bord 2013 mettent en évidence les domaines appelant un traitement prioritaire. La Commission traduira comme suit ces priorités en action:

– les problèmes révélés par le tableau de bord seront pris en considération dans la préparation des analyses par pays qui seront prochainement conduites dans le cadre du semestre européen 2013. Ils guideront aussi les travaux menés dans le cadre des programmes d’ajustement économique;

– la Commission a en outre proposé, au titre du prochain cadre financier pluriannuel, une contribution du Fonds européen de développement régional et du Fonds social européen aux réformes des systèmes judiciaires nationaux.

      -2. Combler les lacunes de la collecte de données

L’expérience faite lors de l’établissement du tableau de bord 2013 a montré toute la difficulté de collecter des données fiables et comparables. Assurer la comparabilité des données est, de fait, problématique, parce que les systèmes de justice nationaux et leurs procédures sont très variables et parce que certains États membres n’utilisent pas de définitions standard pour le suivi des données.

Même s’il existe des systèmes de suivi dans une bonne moyenne de l’UE, certains États membres ne collectent pas leurs données d’une manière qui permette une évaluation et une comparaison objectives avec les autres États membres. Outre la difficulté d’obtenir des données comparables, certaines données, relatives, par exemple, au coût des procédures, aux mesures provisoires, aux affaires de médiation et aux procédures d’exécution, sont manquantes pour pratiquement tous les États membres.

Eu égard à l’importance d’avoir des systèmes de justice nationaux qui fonctionnent bien pour la réalisation des objectifs de l’Union, tous les États membres devraient veiller, en priorité, à la collecte de données impartiales, fiables, objectives et comparables et à la leur mise à disposition au soutien du présent exercice. Les États membres – et les pouvoirs judiciaires nationaux – ont mutuellement intérêt à développer la collecte de telles données aux fins d’une meilleure définition des politiques de justice.

La CEPEJ joue un rôle particulièrement essentiel de ce point de vue, et la Commission insiste sur l’importance que tous les États membres coopèrent pleinement avec la CEPEJ, en lui fournissant les données demandées. La Commission étudiera aussi les moyens d’améliorer la collecte des données. En particulier, elle a l’intention:

– de recourir à des études de terrain ciblées sur la manière dont les systèmes de justice fonctionnent dans la pratique dans le contexte de l’application de certaines législations de l’UE visant à favoriser la croissance, ainsi qu’à des enquêtes Eurobaromètre qualitatives permettant de recueillir le point de vue de praticiens du droit et de différents utilisateurs finaux;

– d’examiner avec les réseaux d’autorités judiciaires et de juges comment améliorer, au niveau national, la qualité et la disponibilité de données comparables ainsi que leur collecte, notamment en ce qui concerne l’indépendance structurelle de la justice;

– d’étudier avec Eurostat comment améliorer la collecte de données comparables pour les indicateurs les plus significatifs.

       -.3 Prochaines étapes

La qualité, l’indépendance et l’efficience des systèmes judiciaires sont des composantes structurelles importantes d’une croissance durable et de la stabilité sociale dans tous les États membres et elles sont essentielles à une mise en oeuvre effective du droit de l’UE. Sur la base du présent tableau de bord, la Commission invite les États membres, le Parlement européen et toutes les autres parties prenantes à engager un dialogue franc et une collaboration constructive, en vue d’une amélioration continue des systèmes de justice nationaux de l’UE, dans le cadre du semestre européen, de la stratégie de l’Europe pour la croissance «Europe 2020», du renforcement du marché unique et du projet de l’UE pour les citoyens.

À moyen terme, la Commission entend lancer un vaste débat sur le rôle de la justice dans l’UE. Les 21 et 22 novembre 2013, elle organisera ainsi les Assises de la justice, une conférence de haut niveau qui réunira des décideurs politiques européens et nationaux de haut rang, des juges des cours suprêmes et d’autres juridictions, ainsi que des représentants des autorités judiciaires, des professions juridiques et de toutes les autres parties prenantes. Une telle réflexion collective est indispensable à la création d’un véritable espace européen de la justice, qui réponde aux attentes des citoyens et contribue à une croissance durable, sur la base de l’État de droit et des autres valeurs sur lesquelles l’Union est fondée.

Soulignos combien les commissions parlementaires du Parlement européen ont un rôle décisift notamment sa commission des affaires juridiques (JURI), sa commission des libertés civiles, de la justice et des affaires intérieures (LIBE) et sa commission des affaires économiques et monétaires (ECON). L’audition de la Commission de Libertés civiles, de la Justice et des Affaires intérieures (LIBE) ne nous a pas entièrement convaincu que le Parlement européen prenait la chose à coeur !

 

 

      -.Tableau de bord de la justice – Commission européenne/(EN) http://ec.europa.eu/justice/effective-justice/files/justice_scoreboard_communication_en.pdf

       -. The functioning of judicial systems and the situation of the economy in the European Union Member States – Commission européenne pour l’efficacité de la justice CEPEJ (EN) http://ec.europa.eu/justice/effective-justice/files/cepej_study_justice_scoreboard_en.pdf

       -. Tableau de bord (FR)http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/com/com_com(2013)0160_/com_com(2013)0160_fr.pdf (EN) http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/com/com_com(2013)0160_/com_com(2013)0160_en.pdf (EN) http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/com/com_com(2013)0160_/com_com(2013)0160_en.pdf

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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