Ce sont avant tout des annonces (usage des drones restreint et encadré, avancées sur Guantánamo…) une trahison pour les Républicains, des annonces timorées pour les défenseurs des droits de l’homme comme Human Rights Watch… Obama continue à rejeter la faute sur le Congrès alors qu’il a le pouvoir et l’autorité nécessaires pour faire transférer les détenus et les faire juger ont rappelé, une fois de plus les militants. Obama rejette la guerre perpétuelle, mais bien des questions restent posées concernant les meurtres ciblées.
Les assassinats avec des drones sont «efficaces» et «légaux», mais il faut tout de même les limiter. Barack Obama a tenté de réconcilier sa politique antiterroriste avec les principes de l’Etat de droit dans son discours, jeudi 23 mai, que la Maison Blanche présentait comme crucial, à l’université militaire de Fort McNair, à Washington (Cf .infra « Pour en savoir plus ») «Cette guerre [contre le terrorisme], comme toutes les guerres, doit s’achever», a proclamé le président américain, appelant à tourner enfin la page ouverte par George W. Bush après le 11 Septembre. Essayant de marier habilement ce qui s’oppose – exécutions extrajudiciaires et respect du droit, secret des opérations et promesse de transparence, impératifs de sécurité et défense des libertés -, le discours a pourtant vite montré ses limites aussi longtemps que ces belles paroles n’ont pas reçu un début de mise en exécution. Les républicains, sans la moindre surprise, ont dénoncé une «victoire pour les terroristes». Les défenseurs des droits de l’homme, déjà insatisfaits par son premier mandat, réclament «des actes» «plutôt que des mots».
Comme il l’avait promis juste avant sa réélection Obama a annoncé des règles plus strictes encadrant les frappes de drones . Celles-ci ne doivent viser que des «terroristes qui font peser une menace continue et imminente sur les Américains», lorsque leur capture est impossible, et à condition aussi d’avoir la «quasi-certitude qu’il n’y aura pas de civils tués ou blessés». Le Président a expliqué avoir couché ces règles dans une directive signée cette semaine. Celle-ci restera pourtant secrète, a-t-il décidé, au grand regret des défenseurs des droits de l’homme. «C’est une bonne chose que de limiter les assassinats ciblés, a dit le directeur de Human Rights Watch, Kenneth Roth, mais se contenter de promettre que les Etats-Unis travailleront dans le cadre de règles qui restent secrètes ne garantit pas vraiment qu’ils respectent la loi internationale.» La directive confidentielle prévoit que les frappes de drones soient progressivement placées sous l’autorité du Pentagone et non plus de la CIA – qui a conduit la plupart des opérations, notamment au Pakistan, ces dernières années -, ce qui les soumettra à des règles plus strictes, ont indiqué plusieurs conseillers à la Maison Blanche. . Les militaires sont de nouveau aux commandes des frappes ciblées, mais la CIA n’est pas totalement privée de moyens même si elle doit retourner à sa mission principale, celle du renseignement. . Obama a souligné que le Congrès est informé de chacune des frappes. Il a souhaité que le Congrès travaille à une instance de supervision : Cour spéciale ou institution indépendante rattachée à l’exécutif. Obama a demandé au Congrès de revoir , et à termes d’abroger, le texte qui est à l’origine des opérations antiterroristes depuis douze ans : l’autorisation d’utiliser la force militaire (AUMF). Cette loi adoptée trois mois après les attentas du 11 septembre 2001 donne au président le pouvoir « d’attaquer des nations, organisations ou personnes dont il a déterminé qu’elles ont planifié, autorisé, commis ou aidé les attaques terroristes du 11 septembre 2001 ». Est-ce la là le dernier sacrifice d’une vieille relique ? Pour tout cela (et là encore ) Obama n’a pas pris d’engagement formel et n’a même pas mentionné dans son discours le transfert des compétences en matière de frappes ciblées de la CIA aux militaires.
Au sujet de Guantanamo, où sont encore détenus 166 «ennemis de l’Amérique» dans la plus complète infraction au droit international,(cf.; Nea say n° 133) Obama a fait quelques annonces plus concrètes, réitérant sa promesse de fermer le camp, mais sans donner de date (début 2009, il avait promis de le fermer dans l’année de sa première présidence). Le Président a annoncé la levée du moratoire empêchant les rapatriements de détenus vers le Yémen, qu’il avait lui-même décrété après une tentative d’attentat tramée dans ce pays à la Noël 2009. Il a aussi annoncé la nomination de deux préposés à Guantánamo, l’un au ministère des Affaires étrangères, l’autre au Pentagone, pour reprendre le travail de transfèrement des 86 détenus considérés comme «libérables» depuis plusieurs années déjà. Le Président a enfin demandé au Pentagone de trouver un site sur le sol américain où pourraient se dérouler les procès militaires des quelques détenus qui doivent encore être jugés. Là encore, le discours a laissé sur leur faim les défenseurs des détenus. Toujours Kenneth Roth a signalé que plus que la simple fermeture de Guantanamo c’est l’idée même de Guantanamo qui doit disparaître à tout jamais.
L’avocat constitutionnaliste qu’est Obama a été sommé au cours de sa conférence de respecter la loi, rien de moins. La page est-elle définitivement tournée ? Aucune certitude mais il est clair qu’un tournant a été pris et on peut espérer qu’il étendra sur l’Europe ses effets : trop souvent l’Europe s’est cachée derrière la politique américaine pour s’abandonner au « tout sécuritaire ». Bien des débats au Parlement européen, par exemple, ont été marqués à l’occasion du processus législatif par ces tentation et ces tentatives du « tout sécuritaire ».
Des raisons d’espérer. Nous retrouvons dans ce discours les accents qui marquèrent son discours du Prix Nobel. Lui qui avait légitimé en 2009 la détention préventive pour les détenus qu’il est impossible de poursuivre et de juger, estime maintenant qu’une telle infraction au droit est trop coûteuse : « imaginez dans dix ans, dans vingt ans, si les Etats-Unis continuent de détenir des personnes qui n’ont été poursuivies pour aucun crime dans un lieu qui ne fait pas partie de notre pays(…) Nous nourrissons de force ces détenus qui font la grève de la faim. Est-ce que c’est cela que nos Fondateurs avaient prévus ? Est-ce l’Amérique que nous voulons laisser à nos enfants ? »
En douze ans la menace terroriste a évolué, peut-être moins mais massive, mais certainement plus diffuse, mais elle continue à faire partie de notre quotidien, comme l’actualité nous le rappelle régulièrement. Comme l’a rappelé Obama, il s’agit « de trouver le bon équilibre entre les besoins de notre sécurité et la sauvegarde des libertés qui nous définissent ». La rhétorique « bushienne » est bel et bien abandonnée, même s’il y a encore beaucoup d’incantations et encore trop peu de solutions concrètes.
Henri-Pierre Legros
Pour en savoir plus
-. Texte intégral du discours de Barack Obama : Remarks by the President at the National Defense University http://www.whitehouse.gov/the-press-office/2013/05/23/remarks-president-national-defense-university
-. John Sifton (HRW) : Obama rejects Perpetual War But Questions remain About Targeted Killings http://www.hrw.org/news/2013/05/23/obama-rejects-perpetual-war-questions-remain-about-targeted-killings
-. Human Rights Watch: US Pledges to End War, Close Guantanamo http://www.hrw.org/news/2013/05/24/us-pledges-end-war-close-guantanamo
-. Dossier Guantanamo de Nea say http://www.eu-logos.org/eu-logos-nea-recherche.php?q=guantanamo&Submit=%3E