Dans son arrêt rendu jeudi 6 juin, la CEDH estime que la France ne peut renvoyer en Égypte un copte menacé chez lui du fait de ses croyances religieuses. Mais pour la CEDH la liberté religieuse n’est pas sans limites, semble-t-il. D’où la nécessité de lire attentivement l’intégralité de l’arrêt. Après des années de procédure, Bishoy vient finalement d’avoir gain de cause. Pour la CEDH, la France violerait l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme si elle persistait à vouloir renvoyer cet Egyptien copte dans son pays. Il s’agit toutefois d’une décision d’espèce: le simple fait d’appartenir à la communauté copte n’ouvre pas en soi un droit à l’asile. L’arrêt insiste bien sur le profil très particulier du requérant : son rôle et son activité intense au sein de la communauté copte l’ont manifestement plus exposé que les autres.
Rappel des faits. À partir de mai 2007, Bishoy devient la cible d’attaques en raison de ses croyances religieuses. Après avoir été violemment agressé dans sa petite ville d’Assiout, il tente en vain de déposer plainte au commissariat de police. Quelques semaines plus tard, il doit être hospitalisé pour une commotion cérébrale après une nouvelle agression. Ses assaillants lui reprochent d’avoir converti des musulmans.
À partir d’août 2007, la justice le poursuit pour « activités de prosélytisme offensantes pour l’islam ». Il décide le mois suivant de rejoindre la France afin d’échapper à son procès. Bishoy a, depuis, été condamné (par contumace) par la justice égyptienne à trois ans de prison pour prosélytisme.
Pour les autorités françaises, l’intéressé n’apporte pas d’éléments probants attestant des risques encourus à retourner dans son pays. D’où le refus de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) de lui octroyer l’asile. On peut être surpris en constatant cette cascade de refus avant que la CEDH ne rende son arrêt.
La CEDH fait, elle, une lecture différente : « L’absence de réactions des autorités face aux plaintes déposées par les chrétiens coptes, dénoncée par les rapports internationaux, permet de sérieusement douter de la possibilité pour le requérant de recevoir une protection adéquate de la part des autorités égyptiennes », précisent les juges. Et d’ajouter: « Tout porte à croire qu’il pourrait être une cible privilégiée de persécutions. » Sans le dire explicitement, la CEDH reprend à son compte l’idée du « principe de précaution ». En d’autres termes, il a été imprudent et a oublié le principe de précaution tout en bénéficiant du doute légitime qui a conduit la CEDH à condamner la France.
Ayant tardé à déposer une demande d’asile en France, sa demande a été classée en procédure prioritaire alors qu’il était en centre de rétention. La Cour souligne que, lorsqu’il a fait l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, le requérant a pu former un recours suspensif devant le tribunal administratif et une demande d’asile également suspensive devant l’OFPRA et a bénéficié d’une procédure prioritaire. La culpabilité de la France n’est donc pas totale.
Dans son communiqué de Presse, la Cour rappelle les principaux faits. Le requérant est un ressortissant égyptien, né en 1973 et résidant actuellement à Metz Queuleu (France). Chrétien copte, il fut baptisé dès son plus jeune âge et élevé au sein de la communauté chrétienne copte d’Assiout, en Egypte. Fidèle et très pratiquant, il devint rapidement un membre actif de la communauté chrétienne. A partir de mai 2007, alors qu’ils résidaient en Egypte, sa famille et lui-même devinrent la cible d’attaques en raison de leurs croyances religieuses. Le propriétaire de leur domicile les expulsa, il tenta de porter plainte mais la police refusa d’enregistrer sa plainte. En mai et juin 2007, il fut l’objet d’attaques verbales et physiques, suivi dans la rue tandis qu’il se rendait à l’église, insulté puis violemment battu. La première fois il déposa une plainte auprès du commissariat de police, sans qu’aucune suite ne soit donnée. La seconde fois il fut hospitalisé, en état de commotion cérébrale. Ses agresseurs lui reprochaient d’avoir converti deux jeunes musulmans. Une plainte fut déposée, également sans suite. Il reçut alors des menaces de mort. Ses agresseurs, membres de la famille de deux jeunes hommes convertis au christianisme déposèrent une plainte contre lui pour prosélytisme. En août 2007, il reçut une convocation de justice qui l’accusait d’activités de prosélytisme offensantes pour l’Islam et les musulmans. Le 20 août 2007, il fut convoqué au commissariat d’Assiout et placé en garde à vue. Il réussit à être libéré sous caution grâce à l’intervention d’un avocat copte. Un procès fut ouvert à son encontre, mais il ne se présenta pas au tribunal et quitta l’Egypte par avion. La procédure pénale engagée contre lui s’acheva par une condamnation par contumace à trois années de prison pour prosélytisme.
Arrivé en France en septembre 2007, il n’entreprit aucune démarche auprès des autorités françaises car il dit ignorer qu’il existait une procédure d’asile. Interpellé en août 2010 par la police allemande alors qu’il rendait visite à un ami, il fut remis aux autorités françaises. Il fit l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière et placé en centre de rétention à Metz où une association l’informa des démarches à suivre pour demander asile en France. Il déposa une demande d’asile qui fut traitée en procédure prioritaire et contesta l’arrêté préfectoral d’expulsion du territoire devant le tribunal administratif de Strasbourg , lequel rejeta son recours. Le compte rendu de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) précise qu’il peut être tenu pour établi que le requérant appartient à la communauté copte mais que ses déclarations manquent de précision et que les documents joints à sa demande ne sont pas traduits. L’OFPRA rejeta sa demande.
Le 31 août 2010, il saisit la Cour d’une demande de mesure provisoire de non-expulsion qui lui fut accordée pour la durée de la procédure devant la Cour. En mars 2011, la cour d’appel de Nancy rejeta la demande du requérant tendant à l’annulation de l’arrêté préfectoral au motif qu’il n’apportait pas d’éléments probants établissant les risques qu’il encourait à retourner dans son pays et que sa demande d’asile avait été refusée par l’OFPRA. Il saisit la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) qui confirma également la décision de l’OFPRA. Il ne forma pas de pourvoi en cassation contre ces deux décisions de justice, estimant que le recours serait dénué d’effectivité.
Nature des griefs portés devant la Cour Invoquant l’article 3 (interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants), le requérant se plaignait de ce qu’il serait soumis à des traitements contraires à l’article 3 s’il était renvoyé en Egypte. Invoquant l’article 13 (droit à un recours effectif) combiné avec l’article 3 de la Convention, il se plaignait également de ne pas avoir disposé d’un recours effectif en raison de l’examen de sa demande d’asile selon la procédure prioritaire.
Décision de la Cour La Cour considère que l’existence d’un risque de mauvais traitement doit être examinée à la lumière de la situation générale dans le pays de renvoi ainsi que des circonstances propres au cas de l’intéressé. Elle observe que les rapports consultés en ce qui concerne la situation générale des coptes en Egypte au cours des années 2010 et 2011, dénoncent de nombreuses violences et persécutions subies par les chrétiens coptes, et la réticence des autorités égyptiennes à poursuivre les agresseurs. Aucun élément ne permet de penser que la situation des coptes s’est améliorée depuis lors. Le requérant rappelle les persécutions qu’il a subies en Egypte et fait valoir qu’il risquerait d’en subir à nouveau en raison de sa condamnation par contumace pour des faits de prosélytisme. À cet effet, il produit deux convocations dont l’authenticité n’est pas contestée par le Gouvernement, l’une devant le tribunal, l’autre émanant de la police d’Assiout, qui démontrent qu’il est aujourd’hui toujours activement recherché. Tout porte à croire que le requérant pourrait être une cible privilégiée de persécutions et de violences en tant que prosélyte reconnu et condamné, qu’il soit libre ou incarcéré.
L’absence de réactions des autorités de police face aux plaintes déposées par les chrétiens coptes, dénoncée par les rapports internationaux, permet de sérieusement douter de la possibilité pour le requérant de recevoir une protection adéquate de la part des autorités égyptiennes. La Cour estime, au vu du profil de M.E. et de la situation des chrétiens coptes en Egypte, que la décision de renvoyer le requérant vers son pays d’origine, à savoir l’Egypte, emporterait violation de l’article 3 de la Convention si elle était mise à exécution.
La Cour rappelle qu’elle a déjà examiné la compatibilité de la procédure d’asile dite prioritaire avec le recours devant un tribunal administratif contre un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière . La Cour observe que le requérant est un primo demandeur d’asile et que du fait du classement en procédure prioritaire, il a disposé de délais de recours réduits et donc très contraignants pour préparer, en détention, une demande d’asile complète et documentée en langue française, soumise à des exigences identiques à celles prévues pour les demandes déposées hors détention selon la procédure normale. Cependant, le requérant a particulièrement tardé à formuler sa demande, ce qui a d’ailleurs justifié le classement de sa demande en procédure prioritaire. Arrivé sur le territoire français en septembre 2007, il n’a sollicité l’asile qu’en août 2010. Le requérant disposait de trois années pour présenter une demande, laquelle aurait alors bénéficié d’un examen complet dans le cadre de la procédure normale. La Cour n’est pas convaincue que ce retard relève de ce que le requérant ignorait l’existence d’une procédure de demande de droit d’asile sur le sol français. Lorsque le requérant a fait l’objet d’un arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, il a pu former un recours suspensif devant le tribunal administratif et une demande d’asile – également suspensive – devant l’OFPRA. Ces recours sont enfermés dans des délais courts (48 heures et 5 jours respectivement), mais eu égard au caractère particulièrement tardif de sa demande d’asile, le requérant ne peut valablement soutenir que l’accessibilité des recours disponibles a été affectée par la brièveté de ces délais. La Cour conclut à l’absence de violation de l’article 3 combiné avec l’article 13.
Henri-Pierre Legros
Pour en savoir plus
L’arrêt n’existe qu’en français .
-. Texte de l’arrêt http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/Pages/search.aspx#{« itemid »:[« 001-120072 »]}
-. Texte du communiqué de presse http://www.google.be/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&frm=1&source=web&cd=1&ved=0CDAQFjAA&url=http%3A%2F%2Fhudoc.echr.coe.int%2Fwebservices%2Fcontent%2Fpdf%2F003-4388533-5268898&ei=clOzUdr8BMyr0gWV4YDoDQ&usg=AFQjCNHvbKTtWoX-fk-jnMp36wYiYjHb5A&sig2=jb_q9nx8-hAzKODdbpJ99w
-. Fiche détaillée http://hudoc.echr.coe.int/sites/fra/Pages/search.aspx#{« documentcollectionid2 »:[« GRANDCHAMBER », »CHAMBER »], »itemid »:[« 001-121219 »]}
-. Documents connexes en anglais