Le cadre européen comme solution à la consommation des drogues ? Un nouveau rapport de l’Observatoire des Drogues et Toxicomanies a été présenté en LIBE le 30 Mai.

Wolfgang Götz, directeur de l’observatoire européen des drogues et des toxicomanies (ODT), a présenté lors de la dernière séance de la Commission LIBE le 30 Mai le rapport 2013 de son agence. Ces remarques, destinés essentiellement à délivrer des données nécessaires pour le travail des parlementaires, s’est focalisé sur trois types de drogues et sur l’évolution de leur nature et de leur consommation. Il en tire un bilan mitigé, entre baisse de la consommation, des mortalités et multiplications des nouvelles molécules consommés qui rendent le suivi très difficile.

 Wolfgang Götz s’est tout d’abord félicité, dans le domaine des drogues opiacées (drogues dont la souche est l’opium), d’une légère chute de la consommation de l’héroïne. L’héroïne est le principal problème de l’Europe en toxicomanie : sa consommation n’est pas la plus forte, mais elle est la principale cause de mortalité, un taux qui a baissé cette année. Elle est principalement due à une avancée scientifique dans le domaine de la lutte contre l’addiction et l’overdose. 730 000 drogues de substitutions permettent aujourd’hui à 50% des utilisateurs d’héroïne de suivre des thérapies efficaces, qui empêchent de replonger dans l’usage des opiacés. Leur marché de facto se réduit, et avec lui la criminalité qui entoure sa vente. L’Europe a également fait en général de gros progrès depuis 2011 dans la lutte contre les infections au virus VIH et Hépatite C transmises par l’usage des seringues, un danger réel pour les utilisateurs qui ont entre 18 et 80% probabilités de transmettre ses maladies selon les pays. Seule la situation en Roumanie et la Grèce demeure très préoccupante, avec une recrudescence de la transmission des hépatites dans les communautés utilisant des opiacées.

 Le cannabis est pour l’Observatoire une des drogues qu’il faut suivre le plus attentivement, car son utilisation est la plus controversée. Les états en effet ne réagissent pas de la même manière devant cette « drogue douce », certains ayant une attitude d’interdiction totale tandis que d’autres tentent de légiférer sur sa consommation. Le cannabis est consommé de deux manières : la plus fréquente jusqu’à récemment était sa consommation en tant que résine (haschich). Difficilement produite en Europe, elle donne lieu à de grands trafics au départ du Maghreb et d’Amérique Latine. Depuis le début de 2013, la consommation de cannabis en résine s’est réduite au profit de la consommation du cannabis sous forme d’herbes (marijuana), avec une production cette fois locale. « Cette nouvelle production prend plusieurs formes, estime le directeur de l’ODT, elle peut être simplement une culture individuelle sur son balcon, ou peut être une production locale de masse. ». Si cette nouveauté développe des circuits de trafic plus courts, elle débouche sur une violence et des trafics plus visibles localement. Selon Wolfgang Götz, 77 millions de personnes ont déjà consommé une fois du cannabis, et de nombreux jeunes entre 15 et 45 ans en consomment régulièrement, dont 3 millions tous les jours. Avec des conséquences moins graves que les autres drogues, qui demandent rarement des traitements, le trouble à l’ordre public reste tout de même la raison d’intervention principale contre le cannabis et son utilisation.

La principale préoccupation de l’Observatoire est le nouvel élan dans la multiplication des stimulants et des drogues de synthèses. Ces drogues, d’une nature très variée, ont en commun d’être des drogues produites à partir de molécules médicamenteuses. La cocaïne et les amphétamines dont le « speed » sont les plus connus du grand public. Leur consommation grimpe dangereusement et s’étend très vite géographiquement à mesure que les molécules de production se diversifient. On estime le nombre de consommateurs de Cocaïne à 2.5 millions l’année dernière, principalement dans le sud et l’ouest de l’Union Européenne (Espagne notamment). Ce nombre est la moitié de la consommation de 2006. Au contraire, l’utilisation de drogues de synthèses de type stimulant augmente rapidement. Cette année, rien que dans le groupe des 15-45 ans, 1.8 millions de personnes ont consommé de l’ecstasy régulièrement, et 1.7 millions des amphétamines. Leur consommation restent un phénomène « nordique » et d’Europe de l’Est, avec pour plaque tournante la République Tchèque et la Slovaquie. Ces deux pays sont d’ailleurs les lieux de l’ « invention » ou de la redécouverte d’anciennes drogues de synthèse qui causent des ravages inquiétant dans la santé des consommateurs. Ces nouvelles générations sont appelés méthamphétamine (drogues sous forme cristalline) et se développent très rapidement en Europe Centrale et en ex-RDA. Parmi les plus déconcertantes, la pervitin, une ancienne drogue de combat utilisée par les nazis, est une méthamphétamine qui a eu une longue tradition de consommation en République Tchèque, avant de disparaitre et de réapparaître aujourd’hui en se développant dans le reste de la région. A ce problème s’ajoute la création de cannabis de synthèse (cannabinoïdes) à partir de molécules de pharmacie.

 Le principal problème dans la lutte contre tous ces produits « non –naturels » est qu’ils se créent via de nombreuses molécules parfaitement légales, comme le 5IT qui crée une euphorie passagère et provoque une dépendance, mais qui est avant tout un médicament antidouleur et un traitement de substitution à d’autres drogues. Quand bien même une molécule devient illégale, la « recette » s’adapte simplement et les fabricants en choisissent une autre, rendant le marché difficile à suivre pour les experts, et impossible à contraindre pour les forces de police. « C’est le jeu du chat et de la souris sur ces produits, pour résumer », réagit le Directeur de l’Observatoire. Cette multiplication des molécules et des drogues de synthèse rend également la prédiction de leurs effets peu précise, certaines des plus récentes ont même des effets complètement inconnus.

 Trois solutions, que les états-membres creusent en ce moment, peuvent apporter des solutions conséquentes dans la lutte contre l’effet des drogues selon Wolfgang Götz : l’extension des lois existantes dans le domaine des luttes contre les trafics et des troubles à l’ordre public pour les rendre plus efficaces, en crée de nouvelles ou utiliser plutôt la législation sur la médecine et les droits du consommateur. Le rapport de l’Observatoire des Drogues et des Toxicomanies recommandent d’exploiter également une quatrième approche concernant la rapidité d’action, qui permettrait de limiter la diffusion de produits dangereux. Un cadre anti-drogue européen général serait une grande aide dans ce souci, une option que la Commission a prise très au sérieux. Il permettrait un échange d’informations accru qui aiderait un état-membre à s’inspirer des bonnes actions des autres dans leur lutte contre la drogue. « Tachons de rester optimiste : l’UE a des mécanismes permettant d’élaborer une stratégie commune et de surveiller le noyau dur des consommateurs de drogue. Restons réalistes aussi : il y a encore de nombreux problèmes qui se posent, dont le nombre est en hausse avec la crise que nous traversons », conclue Wolfgang Götz avant les questions des eurodéputés.

 Plusieurs questions d’ordre techniques ont été posées. Carmen Romero Lopez (S&D- ES) a demandé la raison de la diminution de la consommation des drogues et des morts par overdose. Concernant la rapidité dans la lutte contre la drogue, l’eurodéputée socialiste a critiqué le temps « inutilement long » qu’il faut pour rendre une nouvelle drogue illégal, alors qu’une molécule est identifiée en deux jours et que les groupes de fabricants modifient la composition de leur drogue très rapidement. Wolfgang Götz a répondu sur ces deux questions que les nouvelles avancées techniques en matière de lutte contre les overdoses et l’accoutumance sont à l’origine de la baisse de la consommation. La maloxone, produit prévenant les overdoses et les abus de drogue distribués aux individus ou à leur famille dans les centres hospitaliers à une place toute particulière dans ces améliorations. Le fait que les politiques nationales de lutte contre la drogue ne soit plus uniquement policière mais également psychologiques et médicales est une seconde explication. Comprenant que l’attente d’un an est « longue » dans la mise en place d’une molécule sur la liste des molécules illégales, le Directeur de l’ODT a refusé de qualifier ce temps « d’inutile ». Une molécule utilisable pour faire des drogues est en effet avant tout une molécule pharmaceutique, et il est normal que les commissions d’experts nationaux prennent du temps avant de décider de la légalité ou non d’un produit. Seule une communication plus efficace des états-membres entre eux pourrait rendre ce temps plus court selon lui, une raison supplémentaire de développer une politique européenne commune contre la drogue.

  Birgit Sippel (S&D-DE) a pour sa part questionné l’ODT sur les différences en effet sur entre les drogues naturelles et les drogues de synthèses et si l’essor de cette dernière catégorie va créer un second marché ou supplanter les drogues opiacées et cannabis. L’Observatoire a signalé qu’il y avait trop de type de drogues de synthèses pour pouvoir exprimer une « règle commune » sur leurs effets, mais leur nombre, bien qu’en augmentation, est encore trop petit pour supplanter celui des drogues naturelles ou pour fonder un « second marché des drogues ».

 Krisztina Morvai (NI-HU) a rappelé, dans un court débat avec Sophie In’t Velt (ALDE-NL), que le cannabis demeure une drogue problématique car les états-membres ont des réactions parfois différentes quant à son utilisation. Si une partie de l’opinion publique européenne est plutôt libéral dans son utilisation (et voit le cannabis comme un symbole de liberté), et aimerait que les états légalisent son utilisation, ce que l’eurodéputée du Jobik a condamné, l’Observatoire des drogues préfèrent ne pas faire de différence entre « drogues douces » et « drogues dures », les deux groupes étant des drogues pouvant avoir des effets néfastes et pouvant entraîner une dépendance, bien que Wolfgang Götz ait admis que le cannabis ne représentait qu’un danger mineur face aux autres types de drogues, et que la dépendance au cannabis était mental et jamais physique. Considérer le cannabis comme une drogue comme les autres serait une erreur selon Sophie In’t Velt, qui a rappelé que les Pays-Bas, en légalisant le cannabis sous des conditions très strictes dans le système des « coffee-shop », avaient réussi à en réduire et à en encadrer la consommation tout en diminuant le crime organisé autour de sa vente.

 Au travers des questions, les députés de la Commission LIBE ont pu se rendre compte du manque de pouvoir de l’Observatoire des Drogues et des Toxicomanies. L’observatoire est une agence de l’Union Européenne composés d’experts dont environ 80% travaillent sur le domaine de la santé et 20% sur le trafic de la drogue en lui-même. Au grand damne de deux des intervenants, Sophie In’t Velt et Carmen Romero Lopez, l’Observatoire ne peut pas faire d’études comparées des politiques nationales de lutte contre les toxicomanies, études comparées qui ne sont pas prévus dans ses compétences. Sans laboratoire à sa disposition, l’Observatoire rend donc des rapports sans pouvoir concevoir une liste de drogues, de molécules et d’effets des drogues européennes qui pourrait aider les états-membres à se concerter et donc sans être capable d’être un réel mécanisme de coopération. Son mandat lui permet cependant, bien qu’étant un petit acteur, d’épauler techniquement le travail d’autres organisations qui elles ont le pouvoir d’influer sur la coordination entre états, comme EUROPOL, CEPOL, les Nations-Unis, l’OMD, les Etats-Unis, la Russie et les deux pays ou la production et la consommation d’amphétamine a le plus explosé depuis les années 2000 : l’Inde et la Chine. Les prochaines élections européennes de 2014 devraient être l’occasion de revoir les statuts de l’ODT, vers plus de compétences et de moyes espère son directeur.

  

Yoann Fontaine

 

 Pour en savoir plus :

 – Enregistrement de la réunion

http://www.europarl.europa.eu/ep-live/fr/committees/video?event=20130530-1500-COMMITTEE-LIBE

 – Rapport de l’observatoire européen des drogues et des toxicomanies 2013 (EN).

http://www.emcdda.europa.eu/attachements.cfm/att_212374_EN_TDAT13001ENN.pdf

 – Rapport de l’observatoire européen des drogues et des toxicomanies 2013 (FR).

http://www.emcdda.europa.eu/attachements.cfm/att_212374_FR_TDAT13001FRN.pdf

 – Récapitulatif des situations de chaque états-membres.

http://www.emcdda.europa.eu/publications/country-overviews

 – Récapitulatif de la situation française.

http://www.emcdda.europa.eu/countries/france

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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