L’Union européenne a elle aussi son lot « d’affaires non classées » : ainsi, déjà en 2008 la Commission européenne avait proposé une directive au Conseil relative à « la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de religion ou de convictions, de handicap, d’âge ou d’orientation sexuelle », celle-ci étant restée au point mort depuis. En effet, ce texte nécessite l’unanimité du Conseil avant de requérir l’avis conforme du Parlement européen. On comprend pourquoi les débats à ce sujet lors de la commission LIBE du 27 juin 2013 ont été aussi vifs.
Qui mieux que le Conseil, source des blocages de ce texte, pouvait ouvrir le débat quant à la progression ou non du dossier ? C’est donc la présidence irlandaise, qui, la première a été invitée à s’exprimer sur cette thématique. Après avoir reconnu la lenteur des avancées réalisées et s’être refusée à parler de la position des Etats membres, la présidence a préféré mettre en avant son expérience nationale. Ainsi, l’Irlande a depuis les années 2000 mis en place une législation portant sur l’égalité : en 1998 l’égalité dans l’emploi (Employment Equality Act), en 2000 l’égalité de statut (Equal Status Act) qui comme mentionnés par la commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) « interdisent toute discrimination dans le cadre de l’emploi, de la formation professionnelle, de la publicité et des conventions collectives ainsi qu’en ce qui concerne la fourniture de biens, de services et d’autres facilités telles que le logement et l’éducation (…) pour neuf motifs distincts : sexe, état civil, situation familiale, âge, handicap, race, orientation sexuelle, croyance religieuse, appartenance à la communauté des gens du voyage ». On voit donc comment l’exemple irlandais prend tout son sens via une législation interne déjà très riche même si cela peut être en partie nuancé par le dernier rapport de l’ECRI sur l’Irlande.
Pour en revenir au niveau européen, la présidence irlandaise affirme s’être concentrée sur un certain nombre de sujets : le champ d’application, l’accès à l’éducation et à la protection sociale (notamment via la définition du terme « accès »), les personnes handicapées (priorité de la présidence), l’impact sur les PME (l’évaluation faite au niveau national par les irlandais montrant un impact tout à fait raisonnable), l’accessibilité et les assurances et services financiers, ces dernières dispositions devant faire l’objet de révisions à la lumière pour l’un de ce qui est prévu par la Commission dans la publication à venir d’une disposition particulière, pour l’autre de la jurisprudence récente. L’espoir est mis sur la continuité avec la présidence lituanienne de ce dossier : en effet, même après 5 ans, les perspectives d’une décision politique sont minces tant le travail à faire reste important. D’autant plus que l’unanimité ralentit voir bloque tout brin d’espérance qui aurait pu encore perdurer après ces cinq années.
La Commission prend ensuite le flambeau et s’exprime sur sa proposition, qu’elle affirme toujours soutenir. Elle remercie la présidence irlandaise, notamment pour les quatre journées de réunion consacrées à cette thématique qui ont permis de voir les propositions fuser et le dossier reprendre quelque consistance. Ce qui semble crucial pour celle-ci est la définition du terme « accès » en opposition à toute tentative de réglementation portant sur l’éligibilité ou l’organisation des services sociaux, qui sont, on le sait, de la compétence exclusive des Etats membres : il s’agit donc uniquement d’interdire les discriminations dans l’accès aux services sociaux. Cependant, la Commission insiste sur la nature des progrès qui sont essentiellement à portée technique et non politique, l’unanimité n’étant pas le meilleur propulseur pour la question. Il est donc important d’être à la fois « pragmatique » et « persistant » de manière à avancer, autant que possible, sur les aspects techniques en restant aux aguets d’une possible ouverture politique.
Après ces deux interventions, le rapporteur, Raoul Romeva I Rueda (Verts/ALE) va disposer du temps nécessaire à l’expression de toute la frustration qui l’anime. En effet, il y a une forme de lassitude après cinq années de discussions qui tournent plus en rond qu’elles n’avancent. La frustration est d’autant plus grande si l’on envisage la situation dans la perspective des futures élections européennes dont le mot-clé doit selon lui être la transparence. Fini de « jeter l’opprobre » sur l’Union européenne, les Etats membres doivent être mis face à leurs propres contradictions. Cela, grâce à la sensibilisation de l’opinion publique, absolument ignorante des débats qui agitent à ce moment même les institutions européennes autour d’un sujet pourtant aussi inéluctable que l’égalité de traitement. A partir de là, le rapporteur fait part à l’assemblée de ses différentes inquiétudes. D’abord, il est difficile d’avoir un débat constructif sans savoir et pouvoir clairement pointer du doigt ceux qui y sont fermés. Ensuite, il lui apparaît comme assez étonnant que des aspects de nature technique apparaissent comme si insurmontables alors que des dispositions internes concernant l’égalité de traitement existent généralement déjà au niveau national. Se ranger derrière l’argument des avancées techniques qui potentiellement pourraient mener vers un accord politique n’est donc pas valable : un minimum de volonté suffirait à réduire l’ensemble des blocages de cette nature, si mêmes blocages effectifs il y avait. Les espoirs placés dans les futures présidences sont donc grands quant à une possible . Egalement, le rapporteur regrette le manque de volonté du Conseil en vue d’associer le Parlement européen aux discussions, pourtant dans l’intérêt de tous. Enfin, le rapporteur rejette fermement toute éventualité d’une division de la directive au travers de distinguos entre les diverses catégories couvertes. En ce sens, le rapport Buitenweg de 2009 était déjà clair : il est impensable de faire des différences s’agissant du domaine de la non-discrimination. Toute la directive doit donc être maintenue dans un soucis de cohérence : Ainsi, comment expliquer que jusqu’ici la notion d’égalité ne vaut que dans le domaine du travail et non dans d’autre sphères ? Comment expliquer cela aux personnes concernées ? Le rapporteur conclut son intervention sur une pointe d’ironie sur « la démocratie » régnant en évoquant la demande à douze reprises par le Parlement européen au Conseil d’un déblocage de ce dossier. De même, plus qu’à l’ironie, c’est à l’espérance que le rapporteur souhaite se laisser aller en évoquant les futures élections allemandes qui pourraient apporter un contexte politique plus favorable. Espérons que le déblocage du dossier constituera une forme de prophétie réalisatrice du rapporteur, dans le sens où la campagne de 2014 peinera dans le cas contraire à convaincre les citoyens de l’apport européen dans leur quotidien.
S’en suit l’intervention de Michael Cashman (S&D), dont le lyrisme et l’éloquence en ont réjouit plus d’un, le président de la commission LIBE, Juan Fernando Lopez Aguilar, le premier. Après avoir rappelé son intérêt particulier pour la question du droit des minorités depuis 1999, il se prononce sur la position du Conseil qu’il juge « honteuse et répréhensible ». Néanmoins, il félicite la présidence irlandaise et en profite dans un même élan pour mettre en avant leur expérience nationale quant à l’égalité de traitement, gratifiée à titre d’exemple dans un contexte économique pourtant défavorable. L’Allemagne est épinglée pour le frein qu’elle exerce sur cette proposition, se cachant derrière les questions techniques pour ne pas avancer sur l’aspect politique. Néanmoins, les autres Etats se rangeant derrière elle ne sont pas non plus à son goût de meilleurs exemples. Il préconise une délibération en public du Conseil de façon à ce que celui-ci endosse une forme de responsabilité devant les citoyens et nationaux pour qui cette proposition ne peut qu’avoir une résonance importante par l’aspect essentiel de son contenu. Ainsi, on en conviendra, l’Union européenne n’est pas (encore?) un modèle économique, elle est avant tout le réceptacle de valeurs fondamentales. Or, ici les avancées se font « à la vitesse du maillon le plus faible », les uns se cachant derrière les arguments des autres, l’inertie d’un Etat encourageant le marasme de l’ensemble de ceux-ci. C’est pourtant à l’aune de ses valeurs que l’Union européenne sera jugée et autour desquelles elle devra se fédérer pour les prochaines élections européennes. Comment se rapprocher des citoyens si la garantie de protection la plus mineure contre toute forme de discrimination n’est pas assurée ? D’autant plus que dans un contexte de récession économique, les réflexes de repli identitaire sont à portée de main : l’implosion sociale mène à la recherche de boucs-émissaires, à des interrogations quant au rôle de l’Europe.
Finalement, C.Ernst (GUE-NGL) clôt la succession d’interventions en évoquant un « triste constat » qui sera utilisé pendant la campagne européenne. Elle pointe du doigt à son tour l’Allemagne dont les derniers arrêts de la Cour constitutionnelle montrent les discriminations flagrantes qui persistent encore. Soulignons par exemple en juin dernier la possibilité accordée aux couples pacsés de déclarer conjointement leurs revenus appuyée par la Cour constitutionnelle. Jusque là ceux-ci subissaient une politique fiscale largement discriminatoire. De même, le rôle prédominant de l’Allemagne dans l’Union européenne est appréhendé par C.Ernst comme un « scandale ». Elle insiste sur l’aspect de la proposition portant sur l’orientation sexuelle en évoquant les événements récents en France suite à l’adoption du mariage homosexuel, ou encore en Pologne où l’affichage de ses orientations sexuelles provoque toujours des passages à tabac non réprimés. On comprend alors d’autant plus le caractère fondamental de l’ensemble des discussions.
Un dernier mot est laissé à la présidence irlandaise qui reste pessimiste sur une avancée rapide du dossier et qui insiste sur le double-frein que constituent les blocages techniques et politiques à ce sujet. Il rassure néanmoins le Parlement européen en affichant une même ambition de ne pas diviser la directive, seulement la nécessité de ne pas outrepasser les compétences de l’Union notamment dans des domaines aussi sensibles que l’éducation ou la sécurité sociale.
On l’aura compris, le chemin reste long avant de parvenir à l’unanimité tant espérée du Conseil. Espérons que d’ici là le texte ne sera pas vidé de son sens et surtout que les porteurs de cette directive ne seront pas vidés de tout espoir.
Louise Ringuet
En savoir plus :
Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI) sur l’Irlande :
Rapport de l’ECRI sur l’Irlande – Publié le 19 février 2013 :
http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/ecri/Country-by-country/Ireland/IRL-CbC-IV-2013-001-FRE.pdf
Proposition de Directive du Conseil relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de religion ou de convictions, de handicap, d’âge ou d’orientation sexuelle – COM(2008)426 final :
Rapport Buitenweg sur l’égalité de traitement :
(EN) :http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/libe/dv/p6_ta(2009)0211_/p6_ta(2009)0211_en.pdf
(FR) :http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/libe/dv/p6_ta(2009)0211_/p6_ta(2009)0211_fr.pdf
Progress Report de la proposition COM(2008)426 final :
http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/libe/dv/st10039/st10039en.pdf
Article sur la Cour constitutionnelle allemande et la même fiscalité accordée independemment de l’orientation sexuelle, 6 juin 2013 :
http://fr.myeurop.info/2013/06/06/allemagne-maries-ou-pacses-une-meme-fiscalite-9711