Ce mardi 9 juillet 2013, le Parlement européen a reçu en son sein la ministre italienne de l’intégration qui a développé sa vision de l’immigration, les chemins à suivre pour la mettre en œuvre et le changement de perspectives nécessaire à l’Europe face à des députés sur le qui-vive et réactifs.
Cécile Kyenge a ouvert son intervention en saluant le signe que constitue sa nomination : ainsi, c’est un véritable choix culturel que de mandater en tant que ministre une personne née dans un autre pays ayant choisi un pays européen comme pays d’accueil. Cela illustre pour elle ce qui mérite d’être davantage développé : une appréhension du phénomène migratoire non plus comme une menace mais comme un phénomène structuré, positif et tenant compte de la personne. L’Europe doit intégrer le fait que plus qu’une terre d’immigration, elle est une terre d’accueil. De même, l’intégration doit être perçue dans sa dimension transnationale : il est ainsi nécessaire de renforcer les liens entre le pays d’origine et le pays de destination dans le sens de la recherche d’ une solution positive, c’est à dire favorable à l’ensemble des acteurs, y compris aux migrants. En effet, les migrants doivent se voir attribuer une place d’acteur à part entière : acteurs dans l’économie, dans la culture, dans la société et donc finalement moteurs de l’évolution du tissu social. Cette prise de conscience une fois réalisée, deux aspects assureront pour la ministre une gouvernance efficace : d’une part, la cohésion devra être promue en opposition aux tensions sociales souvent favorisées par des bastions idéologiques forts ; d’autre part en assurant le développement de ces populations, cela dans l’objectif de régler les déséquilibres démographiques problématiques notamment pour ce qui concerne les retraites et les emplois occupés. Elle a mis également fortement l’accent sur la communication : transparence, sensibilisation doivent être maniées de façon, (elle reprend ici les mots du président de la république italienne,) à former « de nouveaux citoyens conscients ». Il s’agit donc de s’écarter du stéréotype de la menace pour aller vers la reconnaissance. Reconnaissance d’abord du fait que l’immigré est un acteur de plus en plus actif dans notre économie : moteur de développement pour son pays, l’immigré prend de plus en plus l’apparence de l’entrepreneur. Chiffres à l’appui, par rapport à 2009 il y aurait selon la ministre 25% de comptes courants ouverts au nom d’entreprises dont le propriétaire serait un immigré. Mais s’il fallait retenir une des priorités soulevées par la ministre, il s’agirait d’une nouvelle prise en considération des migrants au titre de « personnes » : c’est en ce sens qu’elle fait une allusion à la visite le 8 juillet du pape à Lampedusa, lieu dont la connotation symbolique est aussi évident qu’importante puisque c’est à Lampedusa que depuis le début de l’année encore 40 personnes ont péri selon le Haut Commissariat des réfugiés (HCR). Le pape a regretté lors de sa visite la perte de « la responsabilité fraternelle », celle qui nous rend « insensible aux cris d’autrui » et aboutit à une « globalisation de l’indifférence ». La ministre a également largement insisté sur le rôle clé de l’école comme pierre angulaire de l’intégration. L’école doit en effet être avant tout une « école des citoyennetés et de l’inter culturalité » si l’on part du postulat que la culture constitue un échange continu de savoirs et de connaissances. L’école pourrait alors devenir le noyau dur de l’intégration : le lieu où se mêleraient langues, traditions et cultures, le tout dans une perspective d’enrichissement mutuel.
La question de l’accueil est, elle aussi, soulevée : la nécessité notamment d’une coordination des aides et d’une coopération entre les autorités locales, régionales, internationales. Elle espère en ce sens que le fonds européen débloqué pour 2014-2020 offrira à ce genre de propositions les instruments souples en vue d’améliorer les conditions d’intégration et d’accueil. Le tout devant s’accompagner au niveau européen de bonnes politiques européennes de gestion, de la lutte contre la traite et le trafic d’êtres humains, d’une collaboration accentuée avec les pays d’origine et enfin du développement d’une réelle « culture européenne d’accueil ». La ministre termine son exposé avec une réflexion sur la citoyenneté qu’elle lie avec la lutte contre le racisme, la xénophobie et toutes sortes de discriminations. Il est nécessaire de développer des instruments législatifs, de jongler avec les NTIC en ce sens. La lutte contre le racisme se fera à partir du domaine culturel en donnant de nouvelles possibilités aux migrants, en créant une nouvelle citoyenneté où tout le monde aurait la possibilité de se reconnaître et en donnant un statut citoyen donnant court à une totalité de droits. Par exemple, en Italie, une disposition directe a été adoptée pour éviter que ceux nés en Italie de parents résidents légaux ne puissent pas obtenir la citoyenneté italienne à 18 ans.
A partir de ce discours qui sera salué unanimement par les députés pour son caractère d’ouverture, une série d’interventions se sont succédées, les unes soulevant de vraies questions, les autres n’étant que le symptôme du populisme, tant craint pour les élections européennes de 2014. Bozkurt (S&D) pose la question : quand l’intégration prend-elle pleinement ses effets ? Ainsi, elle s’exprime sur ce sentiment qu’elle a d’une persistance d’idées préconçues, d’une image « de l’immigré qui arrive avec son baluchon » et se pose donc en ce sens la question de l’effet possible d’une plus ample intégration face à une telle permanence de préjugés sur l’immigration. Iacolino (PPE), lui, s’interroge sur la perception par la ministre du système d’asile Dublin et de ses atteintes au sacro-saint principe de solidarité. Romero Lopez (S&D) reprend la thématique du système Dublin et s’étonne du caractère tardif de la prise de conscience par les pays du sud du caractère défavorable de ce système. Elle s’inquiète également des conditions d’accueil, parfois assez douteuses. Elle encourage également une coopération bilatérale entre l’Italie et la Tunisie et la Libye sur modèle du partenariat fructueux entre l’Espagne et le Maroc. Elle propose finalement une coopération entre les municipalités des pays d’origine afin de mieux identifier les problèmes . Citons également l’intervention de Angelilli (PPE) qui regrette que dans l’intervention de la ministre, aucun appel à la solidarité entre les Etats membres ne se soit dessiné : ainsi, si certains Etats membres, préservés des flux migratoires, disposent de droits et de devoirs, les Etats constituant les frontières extérieures de l’Union semblent et exposés aux flux migratoires semblent, eux, n’avoir que des devoirs. Costa (S&D) ironise, quant à elle, sur le fait que ce discours d’ouverture venant de l’Italie alors que paradoxalement existe dans cet Etat « le délit de clandestinité ». Keller (Verts/ALE) s’oppose au lien établit entre immigration et lutte contre le racisme : ainsi, il est erroné selon elle de croire que le racisme disparaîtra lorsque tous les individus seront intégrés. Le racisme s’en prend en effet aux gens quelque soit leur histoire personnelle. Fontana (Europe, Liberté, Démocratie), lui, se demande comment dans les contextes nationaux actuels promouvoir une intégration quand l’Europe n’a pour l’instant pas grand chose à offrir. Il préconise un repli sur les nationaux plutôt qu’une ouverture des politiques envers les immigrés. Est-il utile de mentionner son allusion plus que douteuse à la charia et à l’excision comme argument valable en faveur du rejet de l’ouverture culturelle prônée par la ministre ? Ronzulli (PPE) insiste sur la nécessité de ne pas perdre de vue la question de la légalité et se demande comment la combiner avec l’inclusion. Elle s’insurge dans la même lignée contre ce qu’elle perçoit comme une récupération idéologique des paroles papales. Borghezio (Non-inscrits) vient lui s’opposer aux points de référence de la ministre : son intervention fait commodément le lien entre immigration et délinquance. Dans la même lignée Claeys (Non-inscrits), appelle plutôt à une diminution de l’immigration, assimilée à l’arrivée sur le territoire européen de la polygamie ou de la charia et de personnes dépendantes du système social du pays d’accueil.
Face à ces interventions , la ministre précise qu’elle se trouve encore renforcée dans l’idée de son rôle à jouer dans la politique. Elle mentionne la nécessité de combattre les ghettos, favorables à un repli communautaire, néfaste à l’intégration. Elle reprend la thématique de l’école, vue comme une réelle structure d’opportunité à l’apprentissage de nouvelles cultures et traditions. Le sport est également mentionné comme vecteur d’intégration. Finalement c’est la communication et le dialogue qui sont prônées. L’intégration ne doit pas selon elle être appliquée de manière ponctuelle mais se doit d’être le ciment de toute politique, cela en fonction des avancées de chaque pays et de chaque secteur. En ce qui concerne les questions portant sur Dublin, elle justifie son appel face à l’absence de solidarité entre Etats membres par la nécessité de se dégager de l’urgence pour construire de nouvelles fondations reposant sur la notion de prévention. Cette prévention trouve alors à s’appliquer à tous les Etats membres, pas seulement aux pays du sud : tant que seule la question de l’urgence sera prioritaire, rien ne sera construit, et tant que rien ne sera construit aucun remède à ces situations d’urgence ne pourra être trouvé. Quant au délit de clandestinité qui prévaut en Italie, elle ne cache pas s’y opposer fermement. Quant à sa référence au pape qui aurait heurtée une députée, elle manifeste un étonnement non feint, son rôle étant d’écouter la société et de traduire en politique ses demandes. Sa référence au pape était juste une façon de saluer le retour de l’immigrant en tant que personne, cela étant dans la pleine continuité de l’article 2 de la Constitution italienne*. La venue de la ministre italienne, bien que largement saluée et son discours, par tous honoré, a suscité quelques remous sur les bancs du Parlement européen. Si certains voulaient apporter au discours de la ministre des précisions, des ajouts, ou faire des propositions additionnelles, d’autres ont préféré mettre en avant des associations douteuses immigration / délinquance, prémisses d’une montée populiste en vue des futures élections européennes. Lorsque l’on voit l’engouement et la diversité des vues sur la question de l’immigration, on comprend que si les routes vers l’Europe sont encore parsemées d’obstacles, les schémas de pensées sont eux aussi encore largement obstrués.
* Article 2 de la Constitution italienne : « La République reconnaît et garantit les droits inviolables de l’Homme, soit en tant qu’individu, soit dans les organisations sociales où s’inscrit sa personnalité, et requiert la réalisation des devoirs incontournables de solidarité politique, économique et sociale »
Louise Ringuet
Pour en savoir plus :
-. Article du Figaro « Lampedusa : le Pape fustige « l’indifférence » face aux migrants », 8 juillet 2013 :
-. Article du Monde « Cécile Kyenge, l’étrangère du gouvernement italien », 2 juillet 2013 :
-. Pour voir l’intervention de la Ministre de l’intégration italienne :
http://www.europarl.europa.eu/ep-live/fr/committees/video?event=20130709-1500-COMMITTEE-LIBE