La France, berceau des droits de l’Homme s’est dite défavorable à accorder l’asile à Edward Snowden au cas où celui-ci en ferait la demande. Rappelons le, sa » renommée » tient à la révélation du système d’espionnage américain. Si la décision de la France semble ne pas heurter beaucoup de monde, l’occasion est bonne pour rappeler pourquoi la France a eu tort de s’opposer à une demande potentielle de Snowden et dénoncer un « trou de mémoire juridique » justifié par des arguments diplomatiques. La politique face au droit, les deux peuvent-ils coexister sans que l’un prenne l’ascendant sur l’autre ?
Difficile en effet d’évoquer l’actualité ces derniers temps sans qu’elle soit rythmée par ce qu’on pourrait appeler « l’affaire Snowden ». Si au départ son nom était connu de tous pour avoir révélé l’existence d’un système de renseignement américain à travers le monde, désormais ce fait majeur semble être occulté par la question cruciale : Mais qui donc va accepter d’accueillir Snowden ?
Attardons nous sur la nation que l’on aime à appeler « la patrie des droits de l’Homme », sous entendu ici la nation française. On le sait, Snowden avait formulé son intention de demander, entre autres, l’asile en France, cela ayant provoqué un tollé médiatique, chacun y allant de sa propre opinion. Au final, le 4 juillet dernier, la France, concrètement ici le ministre de l’Intérieur, Manuel Vals, s’est dit défavorable à accorder l’asile à Snowden si celui-ci en faisait la demande.
Attardons nous sur les différents arguments avancés contre la possibilité d’accorder l’asile à Edward Snowden. Soulignons au passage qu’il est étonnant que la France se soit prononcée sur une demande qui n’a même pas été concrètement introduite.
Premier argument : Les Etats-Unis sont un pays démocratique, on a donc aucune raison d’accueillir un de leurs ressortissants. Ainsi, le ministre de l’Intérieur a affirmé dans le journal « Le Monde » que « Les Etats-Unis sont un pays ami, une démocratie avec une justice indépendante. Il faut laisser les Etats-Unis traiter cette question ». On en déduit donc qu’une demande d’asile selon cet argument ne pourrait être déposée si la personne qui en fait la requête venait d’un pays perçu comme démocratique.
A cela nous répondrons que : Ce n’est pas la nature du régime politique de l’Etat qui détermine l’asile mais la crainte avec raison et l’élément de persécution sur base de différents critères ». Ainsi, heureusement qu’il ne suffit pas à un Etat d’être démocratique pour a priori rejeter toute possibilité qu’il n’apporte pas la protection nécessaire à ses citoyens. Rappelons aux défenseurs de cet argument la Convention de Genève de 1951 qui pose que : « le terme réfugié s’appliquera à toute personne qui craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou du fait de cette crainte ne veut se réclamer de la protection de ce pays ». En aucun cas il y est mentionné que le terme réfugié est inapplicable pour un ressortissant d’un pays démocratique. De même, rappelons que si on conviendra qu’effectivement les Etats-Unis sont un pays démocratique, cependant il s’agit d’un pays où la peine de mort est légale et appliquée. Or, même si la France a un accord d’extradition avec les Etats-Unis, elle s’est déjà opposée plusieurs fois à l’extradition d’individus vers les Etats Unis : cela a été le cas par exemple avec le réalisateur Roman Polanski (accusé de viol sur une fille de 13 ans en 1977) ou avec Michael et Linda Mastro (fraude et blanchiment d’argent). La Cour européenne des droits de l’homme interdit l’extradition vers un pays où la peine de mort est appliqué et pour le cas où l’extradé est menacé de se voir appliqué cette peine.
Deuxième argument avancé : Offrir une protection à Edward Snowden signifie prendre le risque de s’attirer les foudres des Etats-Unis et est donc synonyme de tensions diplomatiques ». La France semble en effet être plus inquiète que jamais quant à ses relations avec les Etats-Unis, alors même qu’il a été révélé que ceux-ci les espionnaient. Cette surveillance américaine d’un ensemble de pays est-elle diplomatiquement correcte ? Le ministre de l’Intérieur, dans la même interview évoquée plus haut le disait : « les Etats-Unis sont un pays ami ». Mais quelle amitié se base sur la surveillance plutôt que sur la confiance ? Mais surtout, depuis quand des relations diplomatiques priment sur la protection d’un individu ? Et les sentiments d’allégeance à l’égard du droit ?
Autre argument : Au sens de la Convention de Genève, il est difficile de prouver que Edward Snowden puisse être qualifié de réfugié au sens de persécutions pour un motif politique ou l’appartenance à un groupe social ». En effet, d’un point de vue juridique, les Etats-Unis poursuivent Snowden au nom de « haute trahison ». Ce dernier n’appartenait pas à un groupe politique particulier, ni ne défendait une quelconque opinion. Pour ce qui est de l’appartenance à un groupe social, on ne peut pas dire que les « hackers » forment un groupe social aujourd’hui. Cela dépend au final de l’interprétation : Internet est-il perçu comme un outil politique ? Snowden est-il un héros au sens où il a permis de dénoncer un système dont nombre de pays étaient victimes et a donc via ce moyen exprimé une opinion sur l’espionnage ? Même si la Convention de Genève, il est vrai, n’est peut être pas le meilleur support pour se poser en faveur d’une protection d’ Edward Snowden, il reste à examiner l’asile constitutionnel français. Mais avant, il est peut être intéressant de rappeler, que ce n’est pas au Ministre de l’Intérieur de s’exprimer sur la validité ou non d’une demande d’asile mais à l’OPFRA (Office français de protection des réfugiés et des apatrides). Encore une fois, on voit que cette affaire fait primer le politique, le diplomatique sur le droit : N’est ce pas inquiétant qu’un contrôle sur le politique ne puisse être exercé ? Que le politique s’accorde des droits qui ne sont guère les siens ? Revenons-en désormais au fond : l’OPFRA est donc l’autorité compétente pour reconnaître la qualité de réfugié à : « toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté » et pour procéder à l’examen du dossier. Les critères particulièrement intéressants pour le cas qui nous intéresse pour définir la persécution sont : le fait d’être démuni de la protection de la part de l’Etat dont le demandeur a la nationalité (Snowden risque pour ses révélations la prison à vie, de plus vu l’ampleur médiatique du dossier, la crainte est d’autant plus vivace), un engagement actif en faveur de l’instauration d’un régime démocratique ou pour défendre les valeurs qui s’y attachent telles que la liberté d’expression et d’opinion (n’est-il pas le nouveau symbole de la liberté ?) et un engagement dicté par des considérations d’intérêt général et non d’ordre personnel (n’a-t-il pas permis de révéler un système d’espionnage dont étaient victimes de nombreux Etats au risque d’être emprisonné?). La demande d’asile de Snowden avait donc des chances d’aboutir au vu de l’ensemble de ces éléments. A tout le moins une telle demande mériterait un examen attentif, contradictoire et placé sous le regard d’un juge.
Finalement, on déplorera cette opposition annoncée de la France, cette patrie des droits de l’Homme ne deviendra jamais la terre d’accueil d’Edward Snowden, symbole moderne du courage politique et de la dénonciation de ses moyens parfois déplacés. On déplorera surtout l’évolution des relations internationales : la politique surplombe le domaine du droit, la diplomatie surplombe les droits. Il apparaissait donc crucial de remettre les choses en place, de dire tout ce que la politique fait mine d’ignorer et de faire la lumière sur cet homme que la diplomatie a permis de laisser de côté. Peut-être le niveau européen offrira une porte de sortie à Edward Snowden ? Ainsi, le 4 juillet 2013, Marc Tarabella , député européen(S&D) est intervenu : « Il est difficile ou impossible de prendre la parole lors de ce débat sans parler de monsieur Snowden. J’en profite pour demander officiellement, ici, devant vous à ce que le Parlement européen invite monsieur Snowden à une audition où nous pourrions nous entretenir avec lui. Je propose également que nous lui octroyions un passeport temporaire afin de lui permettre de pouvoir se présenter devant nous ». Cela supposerait donc un passeport temporaire vers Bruxelles…ou Strasbourg ! Cette invitation a été renouvelée avec plus de force encore par la députée européenne Sophie Int’veld (ALDE) et vice-présidente de la commission Libe lors de la réunion inaugurale de la commission d’enquête du Parlement européen le 11 juillet dernier.
A suivre donc !
Louise Ringuet
Pour en savoir plus :
– Site de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides – L’asile constitutionnel :
http://www.ofpra.gouv.fr/index.html?xml_id=262&dtd_id=14
– Site de « Le Point » – « Pourquoi la France a refusé la demande d’asile de Snowden » – 5 juillet 2013 :
– Le Hunffington Post – « Affaire Snowden : la France aphone » – 15 juillet 2013 : http://www.huffingtonpost.fr/eva-joly/affaire-snowden-la-france-aphone_b_3595768.html
– Le Monde – « Espionnage : Edward Snowden pourrait-il obtenir l’asile politique en France ? – 2 juillet 2013http://www.lemonde.fr/technologies/article/2013/07/02/snowden-pourrait-il-obtenir-l-asile-politique-en-france_3440038_651865.html
– Le Monde – « Si Snowden entrait en France la police serait tenue de l’interpeller » – 4 juillet 2013
– Le Point – « La France rejette la demande d’asile de Snowden »- 4 juillet 2013
– Le Nouvel Observateur – « Edward Snowden demande l’asile politique : pourquoi la France ne l’accueillera pas – 2 juillet 2013
-Slate.fr – « Asile : où peut aller Edward Snowden pour éviter l’extradition?- 2 juillet 2013 :
http://www.slate.fr/monde/73851/prism-eviter-extradition-france
-Europa – « Conditions pour pouvoir prétendre au statut de réfugié et au statut de bénéficiaire d’une protection internationale » :
-Politics.be – « PES : Edward Snowden au Parlement européen » – 4 juillet 2013 :
http://www.politics.be/persmededelingen/36064/
Le nouveau paquet asile adopté par le Parlement européen : Nea say de Eulogos n°134 du 24.06.2013 http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=2849&nea=135&lang=fra&lst=0
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