Un an avant la fin de la septième législature européenne, l’évaluation du programme de Stockholm, qui arrivera aussi à son terme en 2014, se rend désormais nécessaire. Conçu pour la période 2010-2014, le roadmap suédois est le troisième plan de l’Union Européenne en matière de liberté, sécurité et justice, après les cycles de Tampere (2000-2004) et de La Haye (2005-2009). Faute d’un rapport d’évaluation des progrès réalisés à ce sujet de la part de la Commission européenne, les commissions parlementaires LIBE, JURI et AFCO ont entamé un premier examen à mi-parcours. En vertu de l’article 51 du règlement de l’assemblée, le projet de rapport conjoint a été présenté lors de la réunion des trois commissions le 9 juillet dernier.
Cette « esquisse de rapport » sert – selon les mots du Président de LIBE, Juan Fernando Lopez Aguilar (S&D) – à réparer à l’absence du Parlement Européen dans la programmation post-Lisbonne. En effet, bien que le programme quinquennal soit entré en vigueur début 2010, c’est-à-dire après l’adoption du Traité de Lisbonne, certaines de ses dispositions s’approchent toujours du cadre intergouvernemental propre de l’ancien troisième pilier. A titre exemplaire, M. Lopez Aguilar rappelle-t-il, l’arrangement d’une période transitoire de cinq ans pour l’application du régime ordinaire aux mesures de l’ancien pilier « Justice et Affaires Intérieures ». Pire les Conclusions du Conseil européen des 27 et 28 juin témoignent d’une dérive institutionnelle des plus graves. Passée largement inaperçue,cette dérive aurait mérité une protestation solennelle des instances institutionnelles et en premier lieu du Parlement européen, ce fait fut évoqué au cours de la réunion de Libe, mais sans plus. Que disent les conclusions du Conseil européen qui rappelons le n’a aucune compétence législative selon les traités ? »Lors de la réunion de juin 2014, le Conseil européen se penchera sur la définition des orientations stratégiques de la programmation législative et opérationnelle dans l’espace de liberté, de sécurité et de justice (en application de l’article 68 du TFUE).Pour préparer cette réunion, les prochaines présidences sont invitées à engager un processus de réflexion au sein du Conseil. La Commission est, quant à elle, invitée à présenter les contributions voulues à ce processus ».Il est difficile de bafouer plus fortement le modèle communautaire, le Parlement européen, co-législateur, n’est même pas cité !
Le bilan dressé par le Président de LIBE est plutôt tiède. Certes, de remarquables progrès ont été faits quant au droit pénal, à la coopération policière transfrontalière, à la lutte contre le terrorisme ou encore au régime d’asile européen commun (RAEC). Cependant, beaucoup reste à faire. Dans le domaine de la justice pénale, la directive relative au droit à l’information (directive 2012/13/UE) et la directive relative au droit à l’interprétation et à la traduction (directive 2010/64/UE) ont été adoptées, mais pour le droit d’accès à un avocat les travaux sont toujours en cours et pour l’assistance juridique aucun pas n’a été franchi. La stratégie de sécurité intérieure, quant à elle, manque d’une approche globale, quoi qu’un nombre non négligeable de directives ait été approuvé pour ce qui est de la protection des victimes de la criminalité (directive 2012/29/UE), la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie (directive 2011/92/UE), la lutte contre la traite des êtres humains (directive 2011/36/UE). Les paquets immigration et gestion des frontières (intérieures et extérieures) demeurent à un stade d’élaboration encore inachevé, l’espace Schengen étant toujours bloqué pour la Roumanie et la Bulgarie.
Au-delà des retards dans la feuille de route suédoise, ce qui tracasse le plus la commission LIBE c’est ce qu’on appelle le « dilemme de Copenhague ». L’expression fait référence aux critères de respect des droits de l’homme et de l’Etat de droit fixés lors du Conseil de Copenhague en 1993 : tout en exigeant la satisfaction de ces critères des pays candidats, l’UE n’a pas les moyens pour contrôler la véritable application de ces principes une fois l’adhésion achevée. Le cas de l’Hongrie de Viktor Orban est évidemment bien à l’esprit des membres de LIBE.
Dans une perspective plus juridique, Luigi Berlinguer (S&D), Président de JURI, a dénoncé la prédominance toujours visible des activités nationales, ce qui empêche la réalisation des buts déclarés par le programme de Stockholm : en premier, la maximisation de la mobilité des citoyens européens demeurerait trop souvent un droit abstrait, sans réalisation concrète. La fragmentation du marché de la justice dans l’UE, d’ailleurs, met en danger la croissance économique elle-même. M. Berlinguer, ainsi, a plaidé pour des normes qui rapprochent les 28 systèmes nationaux, plutôt que de les harmoniser à contrecoeur. Le travail de formation européenne des praticiens, en outre, devrait investir toutes les professions juridiques –et pas seulement les magistrats – afin que tout juge et tout avocat se sente d’abord un juge ou un avocat européen. Plus généralement, relève le juriste, il faut songer dés maintenant à la phase de l’application concrète des normes, lors de leurs élaboration parlementaire, afin de produire des lois plus effectives et ainsi essayer à récupérer une confiance largement perdue en l’Europe.
Carlo Casini (PPE), Président de AFCO, a pointé du doigt les trois failles principales du programme suédois d’un point de vue constitutionnel. Premièrement, le rôle des parlements nationaux : les assemblées des Etats Membres sont chargées de veiller au respect du principe de proportionnalité, mais leur place au sein de la structure européenne manque toujours de clarté. Deuxièmement, l’absence de lois électorale uniforme pour les scrutins européens : faute d’une solution viable dans l’immédiat, la question devra être réglée par la prochaine législature. Troisièmement, l’Initiative Citoyenne Européenne (ICE) : introduite fin 2009 avec le Traité de Lisbonne, l’ICE n’a pas pris son envol espéré, à l’exception de quelques problèmes techniques qu’il reste à dénouer : aux yeux de M. Casini, les citoyens européens sont loin d’avoir pris conscience de son importance – voire de son existence – pour la société civile européenne.
La réponse parlementaire se rallie à peu près aux analyses des trois présidents. M. Enrique Guerrero Salom (S&D) dénonce les retards dans l’accès à la CEDH, ainsi que les pas en arrière par rapport à la Convention de Schengen à cause de la résistance de certains Etats Membres. Au demeurant, le député socialiste considère qu’il faut être plus critiques dans les termes du rapport conjoint. L’aspiration integrationniste n’est pourtant pas unanime. « Je ne pense pas qu’il convienne de s’occuper de domaines qui ne relèvent pas de notre compétence » a coupé court M. Tadeusz Zwiefka (PPE), en freinant ainsi les ambitions de ceux qui veulent « tout recouvrir au niveau européen, en oubliant que les autorités nationales font souvent un bon travail ».
Les opposants d’une européanisation plus poussée du secteur ELSJ demeurent quand même minoritaires au sein du Parlement, les eurodéputés plaidant pour la plupart pour une participation accrue de l’assemblée. L’évaluation du programme de Stockholm s’accompagne d’ailleurs de premières réflexions sur son avenir. L’échéance de 2014 s’approchant, aucun débat n’a toujours été entamé, du moins pas avec la participation du Parlement Européen. D’après M. Lopez Aguilar, il est grand temps de « lisbonniser » un programme qui relève depuis trois ans de la procédure de co-décision, en plaçant les individus au centre des réflexions préliminaires. La commission LIBE entend ainsi encourager le débat public à ce sujet par l’implication des parlements nationaux et des associations de la société civile, en rappelant les articles 1er et 11 du Traité sur l’UE. Le propos a été recueilli entre autre par M. Wim Van de Camp (PPE), qui a appelé pour un nouveau plan européen, où le Parlement jouerait un rôle majeur.
N’avoir pas su attirer les parlements nationaux dans le débat est certainement un grand regret de la commission LIBE tant les réunions conjointes avec les députés nationaux sont restés peu suivies et très décevantes. Mais le Parlement européen doit, lui aussi, donner le bon exemple ce qui est loin d’être toujours les cas : ainsi cette réunion conjointe qui a rassemblé trois commissions importantes et nombreuse du Parlement européen n’a pu réunir outre les trois rapporteurs, les trois intervenants cités plus haut…Certes, on pourra objecter qu’il s’agit d’une première réunion, un coup d’envoi…
Sans doute conviendrait-il de revenir aux sources du Programme de Stockholm : » une Europe ouverte et sûre qui sert et protège les citoyens ».La volonté du rapporteur est claire : placer les personnes au centre de la réflexion. »Entant que commission responsable de la protection des droits fondamentaux, il est primordial pour la commission LIBE d’évaluer le programme du point de vue des citoyens, de leurs droits et de leurs obligations dans l’ELSJ. Il s’agit également du critère de référence de la charte, à présent contraignante sur le plans juridique « qui place la personne au cœur de l’action de l’Union en instituant la citoyenneté de l’Union et en créant un espace de liberté, de sécurité et de justice » (Préambule de la charte).
Les pratiques du Conseil du débat à huis clos offre au Parlement européen une opportunité singulière qu’il n’a pas toujours su saisir avec détermination. Fort heureusement le rapporteur, Juan Fernando Lopez Aguilar, demande que soit encouragé un vaste débat public. » Ce débat est également nécessaire puisque l’article premier du traité prévoit que « les décisions sont prises dans le plus grand respect possible du principe d’ouverture et le plus près possible du citoyen » (article 1et du traite de l’UE).C’est la raison pour laquelle il faut que toutes les institutions de l’Union, y compris le Conseil européen, « donnent aux citoyens et aux associations représentatives la possibilité de faire connaître et d’échanger publiquement leurs opinions et » entretiennent un dialogue ouvert, transparent et régulier avec les associations représentatives de la société civile »(article 11 du traité UE).
Une association plus directe des parlements nationaux est également requise, non seulement en raison de leur mission impliquant qu’ils « contribuent au bon fonctionnement de l’Union » (article 12 du traité de l’UE) mais aussi de leur plus grand rôle d’évaluation dans l’ELSJ et de leur participation à la mise en œuvre.
Enfin le temps est venu de redéfinir de façon plus cohérente les politiques publiques européennes et nationales dans l’ELSJ.
Gianluca Cesaro
Pour en savoir plus :
– Enregistrement de la réunion conjointe LIBE, JURI et AFCO – 09/07/2013 – http://www.europarl.europa.eu/ep-live/fr/committees/video?event=20130709-1200-COMMITTEE-JURI-AFCO-LIBE
– Document de travail sur l’examen à mi-parcours du programme de Stockholm dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile de la commission JURI – 25/04/2013 – (FR) – http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/cj08/dt/931/931910/931910fr.pdf – (EN) – http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/cj08/dt/931/931910/931910en.pdf
– Document de travail sur l’examen à mi-parcours du programme de Stockholm de la commission LIBE – 13/05/2013 – (FR) – http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/cj08/dt/935/935978/935978fr.pdf
– – (EN) – http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/cj08/dt/935/935978/935978en.pdf
Ping : Programme « Post Stockholm » : un futur encore rempli de doutes.Le mois de juin 2014 sera crucial dans la détermination de la politique en matière de justice et affaires intérieures. En attendant les orientations stratégiques du Conseil européen, l