Prism : la réponse européenne s’ébauche, le Parlement en sera-t-il le moteur ? La commission LIBE s’organise. Début des travaux de la commission transatlantique (22-23 juillet)

Le 10 Juillet, la commission Liberté Civiles du Parlement Européen a décidé d’ouvrir une enquête sérieuse sur l’affaire PRISM afin d’en connaître la nature exacte et d’esquisser une réponse claire à la menace d’espionnage en masse, face à un gouvernement américain particulièrement silencieux sur la question.

            L’ouverture d’auditions voulues par la Commission LIBE succède à une résolution du 4 Juin partageant son indignation par rapport aux activités de surveillance des Etats-Unis. Cette résolution, condamnant sévèrement les agissements de la NSA, proposaient l’audition de plusieurs acteurs permettant d’éclairer les tenants et les aboutissants du scandale comme des représentants des Etats-Unis, de la Commission, du Conseil de l’Union Européenne, des représentants des états-membres, des parlementaires nationaux, des groupes d’experts transnationaux, des experts en technologies d’espionnage ou encore des représentants des entreprises du web compromise dans le partage et l’accumulation de données de citoyens européens. Tout l’enjeu de cette séance a été de valider ce projet, et d’y fixer les aspects les plus techniques tel que le déroulement des auditions, la liste des personnalités invitées, ou encore d’éclaircir les objectifs recherchés par les diverses familles politiques.

             La proposition du président de la LIBE, Juan Fernando Lopez Aguilar (S&D-ES), promu par le Parlement comme président d’une commission d’enquête informelle, était de faire la lumière sur le caractère technique de PRISM, en connaître le comment et le pourquoi, tout en recueillant des statistiques sur son efficacité et sa portée. Ces révélations devraient permettre de faire « une cartographie des risques », de voir comment les européens pourraient former des recours, et de voir s’il est possible d’invoquer la Charte Européenne des Droits Fondamentaux pour condamner le programme. Plus qu’une simple considération sur les activités de la NSA, la commission LIBE selon lui devrait prendre en considération également les programmes similaires de contrôle des « métadonnées » aux mains des Etats-membres, le scandale PRISM ayant révélé l’existence de « PRISM à l’européenne » en France, en Suède et en Allemagne.

             La commission LIBE semble espérer secrètement prouver par cette enquête que le programme de surveillance américain est non seulement un danger pour la démocratie, mais aussi un programme aux résultats peu probants, renvoyant aux oubliettes l’espionnage en masse au nom de la lutte contre le terrorisme tout en justifiant une législation européenne forte sur la protection des données, sur les conditions d’envoi de ses données dans un pays-tiers et sur le cadre à fournir au « cloud computing » (l’informatique en nuage, ou les services s’échangent entre consommateurs, entreprise spécialisées sur les questions de données sur le web et entreprise hébergeant des « server farms » dédiés à les sous-traiter).

            Dans leur ensemble, et peu importe leur familles politiques, les membres de la commission LIBE se sont montrés très réceptifs à l’idée de leur président, apportant cependant des nuances, parfois de taille, à la méthode proposée. Deux objectifs différents se sont fait entendre lors de cette réunion : un souci technique a affronté un souci politique durant toute la réunion. Le PPE demande avant tout que l’on fasse la lumière sur les techniques utilisés par PRISM, pour en connaître le comment « technique et juridique et répondre dans ces deux domaines » pour reprendre les mots d’Axel Voss (PPE-DE). Carlos Coelho a également rappelé que lumière doit être faite sur les objectifs de PRISM en lui-même, pour savoir si les rumeurs concernant un éventuel espionnage économique sont fondées ou non. Au contraire, les libéraux, les sociaux-démocrates et les verts insistent plutôt sur l’impact politique qu’il faut donner à ses auditions. Claude Moraes (S&D-UK) et Sarah Ludford (ALDE-UK) ont rappelé en effet que lors des enquêtes sur le programme Echelon, un programme d’écoute téléphonique de plusieurs pays anglophones, des auditions similaires avaient été menés sans grande conséquence sur la vie publique. Il s’agirait donc cette fois de médiatiser au plus possible ces auditions et les rendre très transparentes afin que les résultats, aussi minces puissent-ils être, soient correctement transmis à la société civile et témoignent que le Parlement Européen prend un point d’honneur à protéger les citoyens qu’ils représentent (à moins d’un an d’élections européennes ou ces mêmes députés auront à prouver le bien-fondé de leur bilan face à des eurosceptiques ayant pour eux l’air du temps). Comme le résumait Birgit Sippel, parlant au nom du groupe S&D, connaître les techniques utilisées derrière PRISM importent peu, ce que veulent les citoyens, c’est plutôt une réponse politique claire capable de tenir tête aux Etats-Unis. Un discours réaliste, car le parlement n’a que des compétences d’investigation limitées, et il sera peu évident ne serait-ce que d’arriver à des conclusions techniques précises voire d’avoir accès aux documents de travail pour la commission d’enquêtes.

             La liste des personnalités à auditionner a aussi donné lieu à un débat, notamment entre les Verts, qui selon Jan Albrecht (Green-DE) devrait être la plus importante possible en ajoutant un grand nombre de chercheurs et d’experts mais également en invitant Edward Snowden et d’autres lanceurs d’alerte sur les programmes d’espionnages américains et européens, et les Conservateurs Européens absolument hostiles à l’idée même de faire des auditions avant que les états eux-mêmes n’aient procédé à des enquêtes. Quant à inviter Snowden, la question ne saurait être posée pour le représentant du CRE Timothy Kirkhope, pour qui Snowden est un criminel recherché que le Parlement ne peut donc pas inviter.

             On l’aura compris, le Parlement Européen veut, au nom des citoyens, tirer au clair l’affaire PRISM, en partie pour survivre à 2014, tandis que la Commission LIBE s’occupe également de prévenir le mauvais usage des données personnelles via son paquet « protection des données », dernière pierre en date dans la modernisation de la clé de voûte du droit européen en matière de numérique : la directive 95.

 En face de lui, la « chambre haute » de l’Europe, le Conseil, reste fort silencieux. On notera tout de même qu’Angela Merkel a rompu le silence des dirigeants européens en demandant clairement lors de son discours de Munich en début Juillet que la nouvelle protection des données personnelles pousse les droits numériques des européens vers le haut, et que les géants du web compromis dans l’affaire PRISM rendent des comptes. Le 19 Juillet, lors d’une réunion informelle à Vilnus, son ministre de l’intérieur, Hans-Peter Friedrich, a même souhaité l’introduction d’une « charte européenne des droits numériques », manifestant un soudain intérêt pour la question assez étrange. Viviane Reding reprochait en effet il y a quelques jours aux ministres de l’intérieur européens de peiner à avancer sur cette question. Selon la représentation allemande aux institutions européennes, ce silence était dû à un long processus d’études de l’impact du nouveau « paquet protection des données » sur les législations allemandes déjà existantes afin d’être sûr que l’initiative européenne ne constitue pas une régression dans la protection offerte aux citoyens allemands. D’aucuns diront que la question de la protection des données retrouvent surtout grâce aux yeux du gouvernement allemand car le SPD compte bien faire de l’affaire PRISM un argument de campagne face à la chancelière qui serait selon le quotidien allemand Bild au courant de l’existence du programme de la NSA depuis 2011.

             Toujours est-il  que la réaction allemande a été particulièrement applaudie par Viviane Reding lors de sa visite en Allemagne. L’enquête du Parlement, qui prend de plus en plus les allures d’une réponse courageuse de l’Union Européenne contre son « allié » américain, va évoluer dans une atmosphère particulièrement électrique pour le moment ponctuée par les appels de certains députés (comme Cornelia Ersnt de la GUE, mais aussi comme Sophie In’t Veld de l’ALDE ou Rui Tavarez des Greens) à couper court à tout échange de données avec les américains par les programme SWIFT et PNR. Les tensions s’en ressentent jusque dans la société civile, dont deux membres imminents, la Ligue des Droits de l’Homme et la Fédération Internationale des Droits de l’Homme, ont porté plainte contre X à Paris au sujet de PRISM, en espérant que leur recours permettra de clarifier le degré de compromission des entreprises comme Google ou Facebook dans les espionnages de la NSA. Comme la filière Google en Espagne, la plainte pourrait permettre de poursuivre les entreprises Google France et Facebook FR, deux sous-traitant publicitaires des entreprises bien connues des internautes.

             Gageons que si le Parlement réussit son coup médiatique, ces deux acteurs risquent bien de ne pas être les seuls à se lancer dans la bataille contre l’accumulation des données, l’espionnage en masse et l’émergence de la société intrusive de « 1984 » redoutée par Orwell. Sil’on en croit le communiqué de presse de la présidence lituanienne après la réunion informelle du Conseil à Vilnius, la protection des données personnelle reste une source de préoccupation pour tous. La présidence lituanienne a enfin eu la satisfaction d’annoncer dans un communiqué de presse la composition du groupe d’experts américano européen chargé d’examiner le dossier Prism et d’en démêler les fils, un exercice où l’on perçoit déjà les difficultés à maintenir un peu d’unité au sein de l’UE. Les travaux ont commence les 22 et 23 juillet.

  Le décors est désormais planté, les acteurs entrent en scène.

 

 

Yoann Fontaine

 

 

Pour en savoir plus :

 

      -. enregistrement de la séance.

http://www.europarl.europa.eu/ep-live/fr/committees/video?event=20130710-0900-COMMITTEE-LIBE

       -. résolution du Parlement du 4 juillet contre l’affaire PRISM.

http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?type=TA&reference=P7-TA-2013-0322&language=EN

       -. Données personnelles : un règlement, une directive, des amendements et du lobbying. Etats des lieux expliqués aux journalistes par le Parlement européen.

http://eulogos.blogactiv.eu/2013/06/05/donnees-personnelles-un-reglement-une-directive-des-amendements-et-du-lobbying-etats-des-lieux-expliques-aux-journalistes-par-le-parlement-europeen/

       -. Affaire PRISM : une Vague d’indignation se soulève au Parlement Européen.

http://eulogos.blogactiv.eu/2013/06/14/affaire-prism-une-vague-d%E2%80%99indignation-se-souleve-au-parlement-europeen/

       -. Protection des données personnelles et lobbys : nos droits en danger ?

http://eulogos.blogactiv.eu/2013/03/22/protection-des-donnees-personnelles-et-lobbys-nos-droits-en-danger/

       -.. Gibt es wirklich zwei PRISM-Programme? (En allemand)

       -. Communiqué de presse de la présidence lituanienne après le Conseil iformel de Vilnius http://www.eu2013.lt/fr/news/communiques-de-presse/le-sommet-du-partenariat-oriental-a-vilnius-doit-apporter-des-resultats-et-offrir-une-vision-pour-lavenir-dit-le-ministre-lituanien-des-affaires-etrangeres-

 

 

Adeline Silva Pereira

Après avoir effectué la deuxième année du master Sécurité Globale analyste politique trilingue à l'Université de Bordeaux, j'effectue un stage au sein d'EU Logos afin de pouvoir mettre en pratique mes compétences d'analyste concernant l'actualité européenne sur la défense, la sécurité et plus largement la coopération judiciaire et policière.

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