Pas de vacances pour la problématique des Roms en France. En effet, cette période estivale correspond au pèlerinage de nombreux gens du voyage en mission évangélique. Cependant, fautes d’aires mises à leur disposition ils sont obligés de s’établir dans des campements illégaux. Si les températures grimpent, la colère de certains députés, semble elle aussi, croître : alors que Estrosi, maire de Nice veut « mater ces intrus ». passons sous silence d’autres expressions similaires pour essayer d’aborder le fond du problème. Ainsi, nous aborderons ici la proposition de loi du député socialiste Raimbourg et plus particulièrement le rapport de Hubert Derache dont elle est inspirée. Face aux amalgames touchant cette communauté, interrogeons-nous sur quels sont réellement les droits et les devoirs que la France est prête à offrir à une population qu’on aime à montrer du doigt ? La « parenthèse Nicolas Sarkozy » vis-à-vis des Roms pourra-t-elle un jour se refermer ?
Souvenons-nous de la loi Besson du 5 juillet 2000 : les communes de plus de 5000 habitants devaient créer des aires d’accueil pour les gens du voyage. Pourtant, près de dix ans après, moins de 50% des aires prévues ont été créées : à peine 52% des aires d’accueil et 29,4% des aires de grand passage ont été mises à disposition de ces populations selon le rapport de la Cour des Comptes d’octobre 2012. Il n’est pas étonnant que des campements sauvages soient à déplorer : si les communes ne font pas un effort pour leur offrir un espace, alors ils sont contraints de se l’accorder eux-mêmes. Face à cela, certains députés socialistes sous la houlette de Raimbourg (député de Loire Atlantique) ont préparé une proposition de loi qui donnerait aux préfets le pouvoir de saisir le budget des communes ne respectant pas les obligations d’accueil. Cette proposition a reçu un accueil mitigé, même de la part de certains socialistes, et ce, pour une double raison : d’abord, le coût de la mise en place de ces aires est très important imposant un sacrifice jugé exorbitant pour le budget de certaines communes, ensuite, la période est particulièrement inopportune pour de tels sanctions financières au vu de la crise économique qui balaye l’Europe. D’ailleurs, même l’évacuation de ces campements illicites est soumise aux manques de moyens financiers. C’est en ce sens que parallèlement à la vision plus ouverte de Raimbourg vis-a-vis des gens du voyage, Estrosi a proposé la sécurisation des sites susceptibles d’être occupés illégalement, un relevé des plaques d’immatriculation, l’installation de caméras nomades. Pour les surveiller.
Face à ce problème récurrent, en février dernier, Jean-Marc Ayrault avait demandé au préfet Hubert Derache de faire un rapport. En effet, dans la lettre qui lui est adressé il y est fait allusion au manque d’application, aux problèmes subsistants après la loi Besson et à la nécessité d’une nouvelle stratégie interministérielle concernant la situation des gens du voyage. Abordons donc les grands aspects contenus dans le rapport rendu public en juillet dernier.
D’abord, il est prévu une suppression du carnet de circulation au profit d’un livret spécial de circulation et d’une généralisation de la délivrance de pièces d’identité. En effet, le 5 octobre 2012, le Conseil constitutionnel s’est opposé au carnet de circulation devant être validé tous les 3 mois sous peine de prison : « le Conseil a considéré que cette contrainte portait une atteinte disproportionnée à l’exercice de la liberté d’ailler et de venir ». Cependant, deux livrets de circulation persistent jusqu’à aujourd’hui : le livret spécial de circulation d’une validité de 5 ans qui concerne les personnes ayant une activité ambulante comme les forains et le livret de circulation devant être renouvelé tous les ans pour les personnes logeant « de façon permanente dans une caravane ou tout abri mobile ». Hubert Derache propose de ne garder que le « livret spécial de circulation » de manière à ce que les gens du voyage disposent du même statut que d’autres catégories de populations comme les forains et ne soient pas stigmatisés.
Ensuite, depuis 1969, les gens du voyage devaient se rattacher à une commune. Cependant, depuis 2007, il leur est devenu possible « d’élire leur domicile soit auprès d’un centre communal d’action social ou auprès d’un organisme agréé ». Hubert Derache propose de supprimer la commune de rattachement pour ne garder que le deuxième mode. Dans un troisième temps, la question de l’accueil est posée : ainsi, depuis les années 2000 les besoins de logements des gens du voyage ont évolué. Un large phénomène de sédentarisation est en marche principalement au vu de trois éléments : les conditions économiques (coûts de déplacement), la scolarisation croissante des enfants voyageurs et la recherche d’activités rémunératrices. Du coup, il apparaît crucial d’adapter les politiques à l’évolution contextuelle. Treize propositions sont avancées dont nous ne citerons que quelques exemples ici :
« Prévenir plutôt que guérir » en prévoyant dans les documents d’urbanisme des espaces réservés aux gens du voyage
La mise en place d’une charte d’accueil au vu d’une responsabilisation des uns et des autres : il serait fait un état des lieux à l’arrivée et au départ des populations
La professionnalisation des gestionnaires d’aires d’accueil : une formation doit être mise en place afin de les préparer au mieux à la situation spécifique des gens du voyage
Le rapport s’attarde ensuite sur les domaines clés de la santé, des droits sociaux, de l’emploi, de la culture et de l’identité. Là encore, nous ne citerons qu’une des nombreuses propositions avancées pour chacun des domaines :
-Droits sociaux : Revoir la délivrance des titres d’identité et de façon plus générale des titres administratifs
-Accès à la santé : Développer les possibilités de séjour des voyageurs autour des grands centres hospitaliers
-Accès à l’école : Généraliser l’utilisation du livret de suivi pédagogique
-Accès à la formation : Améliorer la reconnaissance du rôle et la participation effective des groupes de voyageurs au développement économique
-Accès à la culture : Promouvoir d’ici 2013 une charte « Culture-gens du voyage » pour faire connaître la culture tsigane et faire accéder la population des voyageurs à la culture sous toutes ses formes.
-Enfin, le rapport développe des aspects plus pratiques quant à la gouvernance des politiques publiques en évoquant le rôle de chaque échelon dans l’avancée de ces politiques.
Dans la lignée de ce rapport, le 11 et 12 juillet dernier, le premier Ministre Ayrault s’est rendu en Roumanie. Après avoir salué les avancées quant à l’immigration, Jean-Marc Ayrault n’en est pas moins resté prudent : ainsi, sur le dossier Schengen, il a évoqué une ouverture en deux temps, le premier temps restant cantonné à une seule ouverture des frontières aériennes. De même, il a été question de l’accord signé en 2011 avec Bucarest portant sur une coopération policière : des policiers sont envoyés à Paris pour aider au démantèlement des réseaux roms. De même les questions économiques et culturelles ont été évoquées. Finalement si cette visite aura respecté les codes diplomatiques, chacun semble fermer les yeux sur le problème des Roms, pourtant flagrant notamment au vu de son exposition médiatique.
Finalement, la question des gens du voyage patine. Mais rassurons la France, elle n’est pas la seule : l’Union européenne, même emplie de bonne volonté stagne elle-aussi : il y a quelques semaines Viviane Reding appelait les Etats à sortir de l’inertie et à appliquer leurs stratégies nationales d’intégration des Roms. La différence est peut-être dans le fait qu’au moins l’Union européenne a mis au premier plan l’intégration des Roms et que faute d’application, les discours et préoccupations envers ces populations sont là et exprimées haut et fort. En France, pas un jour ne semble passer sans qu’une nouvelle déclaration montre du doigt cette communauté. Le rapport d’Hubert Derache avance de réelles solutions, réfléchies et fruits d’un bel équilibre entre droits et devoirs. Mais faute d’évolution des mentalités, cela changera-t-il quelque chose ? Chateaubriand le disait : « C’est le devoir qui crée le droit et non le droit qui fait le devoir ». Développons le sens du devoir envers ces populations et le reste viendra de lui-même.
Louise Ringuet
Pour en savoir plus :
-. Rapport au Premier ministre – juillet 2013 – « Appui à la définition d’une stratégie interministérielle renouvelée concernant la situation des gens du voyage » – Hubert Derache :
http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/fichiers_joints/rapport-gens-du-voyage.pdf
-. Le Monde.fr – « Le PS se divise sur la politique d’accueil des gens du voyage » – 17 juillet 2013 :
-. Le Figaro.fr – « Roms : Jean Marc Ayrault joue la prudence à Bucarest » – 12 juillet 2013: http://www.lefigaro.fr/international/2013/07/12/01003-20130712ARTFIG00573-roms-jean-marc-ayrault-joue-la-prudence-a-bucarest.php
-. L’Express – « La question rom au menu de la visite d’Ayrault en Roumanie » – 12 juillet 2013: http://www.lexpress.fr/actualites/1/societe/la-question-rom-au-menu-de-la-visite-d-ayrault-en-roumanie_1266092.html
-. Le Figaro – « Roms, gens du voyage, un casse-tête pour les maires »-11 juillet 2012 http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2013/07/10/01016-20130710ARTFIG00575-roms-gens-du-voyage8230-un-casse-tete-pour-les-maires.php
-. Dossier Rom de Nea say http://www.eu-logos.org/eu-logos-nea-recherche.php?q=rom&Submit=%3E