Réunis à Vilnius le 18 juillet dernier sous présidence lituanienne, les ministres européens de la Justice et des Affaires Intérieures ont ouvert la voie au quatrième programme relatif à l’ELSJ. Après La Haye, Tampere et Stockholm, la prochaine feuille de route pourrait voir le jour à Rome, la Présidence italienne débutant en juillet 2014. Dans les coulisses de Bruxelles, les travaux ont déjà commencé. Vilnius est peut-être la première étape de ce processus de réflexion sur l’avenir de l’ELSJ ; du moins elle présente déjà ce à quoi le quatrième cycle pourra ressembler. Si l’une des nouveautés est censé être une certaine « parlementarisation » croissante du nouveau plan, la présence à Vilnius du président de la commission LIBE Lopez Aguilar laisse bien espérer. Malgré tout, l’orgueil des capitales européennes est loin d’avoir disparu.
Jusqu’à présent, les anciens programmes ont été soumis aux caprices des négociations intergouvernementales. Une situation qui n’est plus tenable aujourd’hui, dans une UE post-Lisbonne. Fin 2009, le Traité sur le Fonctionnement de l’Union avait bouleversé la structure institutionnelle européenne : en accroissant son rôle, le Parlement Européen passait ainsi d’une assemblée encore largement consultative à une Chambre du pouvoir législatif au même titre que le Conseil. Ou presque. Quelques petits volets des politiques européennes continuent à être soustraits au contrôle parlementaire et même les domaines de la coopération policière et judiciaire pénale, nouvellement initiés à la procédure de co-décision, devraient attendre cinq ans pour que l’assemblée européenne puisse véritablement faire entendre sa voix.
La septième législature étant sur la voie de sa conclusion, le temps s’écoule vite pour le Parlement Européen. C’est pourquoi la Présidence lithuanienne a souligné la nécessité d’impliquer en ce moment le plus grand nombre possible d’acteurs, des Etats Membres à la Commission, du Parlement Européen aux assemblées nationales, jusqu’à la société civile au sens large. Pas question, donc, de laisser au seul Conseil Européen la définition du nouveau programme. Selon les termes de l’article 68 TFUE, en effet, ce dernier n’est autorisé qu’à dessiner les grandes lignes directrices du plan quinquennal. D’autre part, aucune référence n’est faite aux autres institutions de l’Union, rappelle Mme Therese Blanchet du Service Juridique du Conseil. Contre les limites juridiques, la Présidence a fait valoir que l’apport de tout milieu politique et sociétale est nécessaire pour augmenter la crédibilité de l’Espace de Liberté, Sécurité et Justice.
Dans la droite ligne de cette idée, la Commissaire aux Affaires Intérieures Mme Malmström a souligné la « normalisation » des politiques relevant de l’ELSJ, où le Parlement joue désormais un rôle crucial. De même, elle a évoqué l’exigence d’une collaboration plus étroite entre toutes les agences de l’Union. Quant à la forme du nouveau plan, Mme Malmström a mis en garde les Ministres contre une approche événementielle ; au contraire, elle a appelé pour une stratégie globale et clairvoyante du cycle 2015-2020, capable de répondre aux défis contemporains. Pour sa part, la Commission présentera une communication à ce sujet en mars 2014.
M. Lopez Aguilar, invité à la réunion par la Présidence lituanienne, a repris les remarques de Mme Malmström quant au rôle du Parlement Européen dans l’élaboration du nouveau programme ELSJ. Le Président de la commission LIBE est déjà impliqué dans un processus d’évaluation de la feuille de route suédoise, mené au sein du Parlement en collaboration étroite avec les commissions AFCO et JURI (cf.autre article). Témoignage de l’activisme de l’assemblée, M. Lopez Aguilar a invité la Commission et le Conseil à une table ronde prévue pour le début de l’année prochaine afin d’établir les orientations générales du plan. Le nouveau climat post-Lisbonne, cependant, ne plait pas à tout le monde.
Certains Etats Membres ont réagi avec précaution au nouveau rôle du Parlement, en soulignant l’activité fondamentale du Conseil. L’Autriche, la Finlande, la Roumanie, le Royaume Uni et la Slovénie ont souhaité un programme plus succinct, dans le socle de celui de Tampere, et presque tous les Ministres ont insisté sur la compatibilité avec les perspectives financières du Cadre Financier Multiannuel (Multiannual Financial Framework, MFF). Si cette posture implique un nouveau plan « low cost », on le saura peut-être lors du prochain Conseil Européen de décembre ; quoi qu’il en soit, les contraintes budgétaires restent un nœud difficile à défaire pour toute politique de l’Union et encore plus pour l’ELSJ.
Sans surprise, le contenu du nouveau cycle programmatique a fait l’objet de différentes demandes de la part des Etats Membres. Les domaines jouissant du libellé de « priorités politiques » sont l’asile, l’immigration (notamment celle irrégulière), la cybersécurité, la lutte contre le crime organisé et le terrorisme international, la gestion des frontières extérieures et les accords de réadmission. Somme toute, l’accent a été mis sur des priorités dont l’élaboration demeure largement nationale. A titre exemplaire, le ministre britannique a évoqué la nécessité de faire face au problème de « l’abus de la liberté de mouvement », en se faisant l’écho aux propos du Premier Ministre David Cameron sur le danger économique posé par les travailleurs bulgares et roumains au Royaume Uni. Des propos qui ont été quand même corrigés par Mme Blanchet, qui a rappelé que la liberté de mouvement ne relève pas du titre V consacré à l’ELSJ.
Si les Etats Membres persistent à se buter, le parcours du nouveau programme vers l’objectif « Lisbonne » demeure semé d’embûches. Peut-être une alliance entre la Commission et le Parlement Européen pourrait-elle surmonter l’obstructionnisme des capitales européennes et ainsi arriver à la « lisbonnisation » de l’ELSJ souhaitée par M. Lopez Aguilar.
Gianluca Cesaro
Pour en savoir plus :
– Programme de Stockholm – 2009 – (FR) – http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2010:115:0001:0038:fr:PDF – (EN) – http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2010:115:0001:0038:en:PDF
– Document de travail sur l’examen à mi-parcours du programme de Stockholm de la commission LIBE – 13/05/2013 – (FR) – http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/cj08/dt/935/935978/935978fr.pdf
– (EN) – http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/cj08/dt/935/935978/935978en.pdf