Si chaque rentrée apporte son lot de nouveautés, pour l’Allemagne il est question au mois de septembre de désigner les partis qui pourront déposer leur mallette au Bundestag. Face à la perspective de ces élections, une seule certitude : Angela Merkel, la « Madame No » européenne, fait presque l’unanimité avec près de trois quarts des personnes approuvant son action. Si l’on pouvait ici tenter de faire de la prospective sur la future coalition au pouvoir, nous allons plutôt voir le changement de perspectives : l’asile et l’immigration semblent être des matières ajoutées au programme des élections législatives de septembre 2013. En plus de nous interroger sur la prépondérance de ces thématiques, nous verrons l’interprétation que chaque parti en fait et tenterons, en bons élèves d’en tirer les enseignements nécessaires à la bonne compréhension des enjeux des élections allemandes à venir.
On le sait, qui dit approche des élections, dit tentative de capter un maximum d’électeurs. Jusque-là, rien de surprenant. Ce qui l’est plus, c’est l’ouverture de la CDU d’Angela Merkel vers les immigrés. Ainsi, jusque là, le SPD s’attirait les faveurs des immigrés, ceux-ci ayant des liens assez forts avec les syndicats. Cela est d’ailleurs visible dans la composition même du parti : les instances dirigeantes du CDU ont en leur sein quatre membres d’origine immigrés face à trois membres au sein du SPD. De même, ce changement est également perceptible dans le discours d’Angela Merkel. Ainsi, le 28 mai dernier lors de l’ouverture du 6ème sommet de l’intégration à Berlin, celle-ci a mentionné que : « le terme intégration est aujourd’hui dépassé car il faut respecter et faire participer les immigrés à la vie civique ».
La toute nouvelle popularité de l’immigration dans l’école d’Angela Merkel, la CDU, n’est pas bâtie sans raison : le spectre de la crise de la natalité en Allemagne menace. Selon l’OCDE, l’Allemagne devra recruter 5,4 millions de travailleurs qualifiés d’ici à 2025. Parallèlement, en 2011, le nombre de naissances est tombé à son plus bas niveau depuis la Seconde Guerre Mondiale. On le comprend, si la main d’oeuvre ne vient pas de l’intérieur, alors elle doit venir de l’extérieur : c’est ainsi que en 2012, Berlin a accueilli pas moins d’un million d’étrangers. Cependant, si l’on dit oui à l’immigration, c’est avant tout à l’immigration choisie (cf. dans Nea say l’article sur l’immigration choisie). D’ailleurs, les années 2011 et 2012 ont marqué la facilitation de la reconnaissance des diplômes étrangers ainsi que de l’obtention des titres de séjours pour les personnes hautement qualifiées. Résultat, en 2011, la population allemande a augmenté depuis la première fois en 10 ans, mais pour Frank-Jürgen Weise, chef de l’Agence allemande pour l’emploi : « Cela laisse encore de la marge. Dans nos recherches nous nous concentrons surtout sur les ingénieurs, les médecins et les professionnels de la santé. Nous devons devenir encore plus attractifs pour les étrangers ».
Le tout n’est pas d’accueillir de nouveaux individus, leur intégration ne doit elle aussi pas être perdue de vue. Die Welt rappelait ainsi que 52% des chômeurs en Allemagne n’ayant pas de diplôme sont d’origine étrangère. D’ailleurs, de nombreux immigrés turcs, sans formation professionnelle préfèrent retourner dans leur pays d’origine faute d’opportunités . On espère que les mots d’Angela Merkel appelant l’Allemagne à devenir « un pays d’intégration » ne soient pas que de jolis mots prononcés lors d’un sommet sur ce même thème. Car ceux de Kenan Kolat, représentant de la communauté turque d’Allemagne, sont déjà moins optimistes : il existe un « racisme structurel et institutionnel que personne ne veut voir ». Prenons un simple exemple : lors des élections législatives de 2009, une brochure avait été publiée en turc « Secim senin » (« Tu as le choix ») de manière à sensibiliser la population immigrée au vote. Pourtant, pour les élections de septembre, l’ensemble des informations seront désormais diffusées uniquement en allemand. Si Angela Merkel veut intégrer les immigrés à la vie civique, peut être faut-il préserver les incitations en ce sens. C’est, forte de cette idée, que la députée verte Viola von Cramon a attaqué la CDU affirmant que « même si les immigrés avaient une connaissance parfaite de la langue allemande, il serait extrêmement raisonnable d’informer sur le déroulement complexe du système électoral allemand ». Rythmons notre argumentation, d’autre part, d’un peu de littérature : cette année est paru le livre « L’Allemagne disparaît » de Thilo Sarrazin, vendu à plus de deux millions d’exemplaires dans lequel l’auteur dresse le constat que : « A l’heure où la population d’origine connaît un taux de natalité réellement bas et où les coûts sociaux explosent, la population immigrée croît de façon exponentielle en Allemagne et son taux de formation et d’intégration ne progresse pas ». Le but ici n’étant pas de jeter l’opprobre sur l’Allemagne, soulignons que si immigration accentuée il doit y avoir, l’Allemagne ne doit pas perdre de vue que ces individus ne doivent pas être oubliés et disposer de perspectives d’intégration dépassant la beauté des mots et des intentions.
On le disait, la campagne est rythmée par des enjeux tournant autour des questions de l’asile et l’immigration. Prenons un des thèmes souvent relayé : la question de la double nationalité. Pour les plus opaques au système allemand, les enfants immigrés nés en Allemagne disposent de deux passeports jusque l’âge de 18 ans, ensuite ils disposent de 5 ans pour choisir une des deux nationalités. Par contre, en vertu du droit du sang appliqué en Allemagne, on avait délivré sans sourciller à 3 millions de citoyens d’ex-Union soviétiques et d’origine allemande un passeport allemand à leur arrivée. La devise du « choisir c’est renoncer » n’a jamais été si vraie : choisir la nationalité allemande c’est renoncer à ses racines. Alors le SPD de Steinbrück, le FDP de Brüderle, les Verts et Alternative pour l’Allemagne se sont dits qu’ils faisaient le choix d’y être opposés et prônent la double nationalité. Philip Rösler, libéral affirmait ainsi : « Je suis persuadé qu’il nous faudra plus de main-d’oeuvre qualifiée venant de l’étranger. Et la double nationalité est une incitation supplémentaire pour attirer cette main-d’oeuvre. Cela créerait une véritable culture de l’accueil ». De même, Serkan Tören, député allemand d’origine turque du FDP affirmait sur la même lignée : « Quand on est en situation de concurrence (…) pour attirer les meilleurs cerveaux on doit prendre des mesures incitatives. Ainsi, dans les pays classiques d’immigration, on peut obtenir la citoyenneté après peu de temps tout en gardant même sa nationalité d’origine. Si l’Allemagne n’agit pas pour se rendre attrayante pour les personnels qualifiés, elle en subira les conséquences ».
Si l’enjeu de la double nationalité est important dans la campagne législative, qui dit campagne dit aussi souvent malheureusement scandale. Et là aussi, l’immigration n’est pas épargnée. Ainsi, à Berlin, dans le quartier de Marzahn-Hellersdorf, des locaux avaient été mis à disposition pour 200 réfugiés. Ce à quoi se sont vigoureusement opposés des membres du NPD, parti souvent qualifié de néo-nazi. Cela n’est pas sans rappeler les émeutes vingt ans plus tôt de Rostock où des centaines de délinquants d’extrême droite s’en étaient pris aux demandeurs d’asile, incendiant tout un immeuble, le tout sans que la police n’intervienne. Heureusement, l’incident de Marzahn-Hellersdorf n’en est pas arrivé là, pourtant il est symptomatique de l’immigration comme sujet fortement sensible. Dans un contexte où les réfugiés affluent de Syrie, d’Afghanistan, de Serbie notamment, allant jusqu’à tripler le nombre de demandeurs d’asile en Allemagne en cinq années, certains courants saisissent l’occasion pour tenter d’alarmer la population sur des risques fictifs. C’est ainsi que Günter Burkhardt, président de l’association Pro Asyl déclare que « nous devons absolument éviter un débat émotionnel sur cette question car l’Allemagne est capable de canaliser le nombre actuel de réfugiés ». D’autant plus que selon les statistiques européennes l’Allemagne est loin d’être la première destination des réfugiés, elle se situe loin derrière avec moins d’une demande pour 1000 habitants. Cependant, méfiance, car rhétorique et actions chocs permettent parfois de gonfler un phénomène au départ minime.
Finalement, plusieurs éléments se combinent et se complètent pour faire des futures élections législatives le tremplin des questions d’immigration : l’importance de capter de l’électorat, la crise de la natalité, la double nationalité, les émeutes racistes à Berlin, l’enjeu de l’intégration. Certes, au niveau économique, l’Allemagne fait envier. D’ailleurs lire l’information de l’Institut TNS Infratest selon laquelle près de trois quarts des Allemand estiment que 2012 a été une bonne année et que la quasi-totalité des jeunes qualifient leur situation personnelle de très bonne fait presque sourire. Mais l’Allemagne se doit de développer une culture de l’intégration. Car si jusque là sa situation économique rendait cette thématique optionnelle pour beaucoup, l’Allemagne a désormais plus que jamais besoin de main d’oeuvre. On le disait, à chaque rentrée, son lot de nouveautés : si l’immigration est désormais intégrée comme étant nécessaire, les conditions dans lesquelles elle doit se réaliser doivent être un pré-requis à sa réalisation. Le CDU, d’abord réticent, s’ouvre progressivement face à une gauche qui en profite pour s’imposer dans le débat. Finalement, peu importe le résultat des futures élections, l’immigration sera de toute façon une réalité avec laquelle il faudra composer.
Louise Ringuet
Pour en savoir plus :
Fondation Robert Schuman : « La chancelière sortante Angela Merkel est la grande favorite des élections allemandes du 22 septembre – 26 août 2013 : http://www.robert-schuman.eu/fr/oee/1448-la-chanceliere-sortante-angela-merkel-est-la-grande-favorite-des-elections-allemandes-du-22-septembre
Presseurop – « Merkel : Participation et respect plutôt qu’intégration » – 29 mai 2013 :http://www.presseurop.eu/fr/content/news-brief/3819561-merkel-participation-et-respect-plutot-qu-integration
Deutsche Welle – « La double nationalité en débat » – 15 juillet 2013 : http://www.dw.de/la-double-nationalité-en-débat/a-16951615
Courrier international – « Vingt ans après Rostock, halte au racisme ! » – 24 août 2012 : http://www.courrierinternational.com/article/2012/08/24/vingt-ans-apres-rostock-halte-au-racisme
Courrier international – « Fin des brochures électorales bilingues pour les immigrés » – 28 mai 2013 : http://www.courrierinternational.com/breve/2013/05/28/fin-des-brochures-electorales-bilingues-pour-les-immigres
JOL Press – « Islam, immigration…Thilo Sarrazin, un Allemand qui dérange » – 2 avril 2013 : http://www.jolpress.com/livre-allemagne-disparait-thilo-sarrazin-islam-immigration-criminalite-allemand-article-818539.html
Euronews – « Les demandeurs d’asile : nouveau thème de campagne en Allemagne » – 24 août 2013 : http://fr.euronews.com/2013/08/24/les-demandeurs-d-asile-nouveau-theme-de-campagne-en-allemagne/
Le temps – « Le droit d’asile s’invite dans la campagne »: http://app.letemps.ch/Page/Uuid/1fd90cce-0b5f-11e3-b9d9-cb4614ba7c0c/Le_droit_dasile_sinvite_dans_la_campagne
Le figaro.fr – « L’Allemagne en quête d’une immigration haut de gamme » – 29 mai 2013 :http://www.lefigaro.fr/international/2013/05/28/01003-20130528ARTFIG00630-l-allemagne-en-quete-d-une-immigration-haut-de-gamme.php
TRT français – « Allemagne : la CDU s’ouvre aux immigrés » – 11 juin 2013 : http://www.trtfrancais.com/fr/informations/detail/monde/14/allemagne-la-cdu-souvre-aux-immigrs/8534
Le monde diplomatique : « Le droit du sang prime encore en Allemagne » – juin 2006:http://www.monde-diplomatique.fr/2006/06/KIESER/13525