Aussi isolés que nous l’ayons été pendant l’été, il a été difficile d’échapper à l’actualité syrienne. D’un côté, celle-ci occupe nos journaux depuis deux ans déjà, mais de l’autre, nous n’avons jamais été aussi proches d’une intervention en bonne et dû forme. Rumeurs dans un premier temps, forte présomptions désormais, l’utilisation d’armes chimiques fait frémir l’occident. Cet article a pour but d’analyser la position des principaux acteurs de la « saga syrienne », les enjeux, et surtout nous poserons la question de la légitimité en lien direct avec la légalité.
Avant de se poser même la question des intérêts en jeu dans la possibilité d’une intervention, peut-être est-il nécessaire de rappeler que sans l’accord du Conseil de sécurité, celle-ci n’est même pas envisageable. Modérons néanmoins nos propos, disons que théoriquement ce n’est pas le cas. Mais les Etats-Unis nous l’ont déjà prouvé, leur puissance leur offre le luxe de choisir. Rappelons tout de même la théorie : le chapitre 7 de la Charte des Nations Unies fait du Conseil de sécurité l’organe pouvant théoriquement autoriser le recours à la force : pour cela 9 membres sur 15 doivent donner leur aval, le tout sans que la Chine, les Etats-Unis, la Russie, la France et le Royaume-Uni n’y pointent leur véto. On le sait, et on y reviendra, il est peu probable qu’une résolution du Conseil de sécurité soit décidée, du coup la seule « porte de secours » serait celle de l’usage du R2P, « responsibility to protect » : ainsi, la communauté internationale dispose de la possibilité d’intervenir dans le cas où un Etat ne serait plus dans la possibilité de protéger sa population de crimes contre l’humanité dont l’usage d’armes chimiques. On le voit, d’un point de vue juridique, la situation est loin d’être limpide.
Là où la situation se complique est quand la politique vient se conjuguer au droit. Ainsi, l’éthique exclut toute passivité : ne pas intervenir reviendrait à cautionner que de tels actes soient commis, à prôner des idées démocratiques et à fermer les yeux lorsqu’elles seraient violées aux yeux de tous. Le contre-argument à cela constituerait à se dire qu’une intervention occidentale dans ce but serait sûrement mal perçu : ainsi l’interventionnisme presque compulsif des occidentaux au Moyen-Orient ou en Afrique n’est pas sans déplaire et être perçu comme déplacé. On ironisera sur John Kerry dénonçant « ceux qui ont utilisé l’arme la plus monstrueuse du monde, contre la population la plus vulnérable » : apparemment bombardements nucléaires et les plus de 100 000 décès d’Hiroshima ne sont eux pas à classer dans la pile des monstruosités.
Développons maintenant les intérêt des principaux acteurs de cette saga syrienne. Commençons par les Etats-Unis, qui par leur intervention gagneraient la palme de la violation du droit international à répétition avec quatre violations en seulement 15 ans : Kosovo, Irak, retrait du traité anti-missile américain. Sans oublier le déchaînement médiatique provoqué après l’intervention en Irak à propos d’armes de destruction massive dont la présence tenait plus de l’imaginaire que de la réalité. Il n’est peut être pas très judicieux d’avoir si vite, alors que les observateurs de l’ONU ne reviennent que ce samedi 31 août parlé d’intervention sans preuves tangibles. Ainsi, l’opinion publique est à ménager..un sondage commandé par Reuters et réalisé par Ipsos entre le 19 août et le 23 août montre que 60% des américains étaient hostiles à une intervention de leur pays, avec seulement 9% en faveur d’une intervention. De même, même si l’utilisation d’armes chimiques était avérée, seuls 25% des sondés seraient favorables à une intervention. Obama par une telle décision s’écarterait de « l’Obamania » dont il a souvent été l’objet, et son prix Nobel de la paix s’en trouverait entaché. Plus que l’opinion publique, on le sait, ce qui domine « l’échiquier mondial » sont les intérêts géopolitiques. Ainsi, la question de l’intervention ne tiendrait pas tant qu’à l’utilisation d’armes chimiques mais du prétexte à trouver afin d’avancer leurs pions au Moyen-Orient : Arabie Saoudite, Qatar, Emirats arabe unis, la liste doit s’allonger et les américains doivent s’affirmer dans la zone. Néanmoins le risque est grand : en plus de poser la question de la légitimité et de courtiser une haine exacerbée face à l’unilatéralisme américain, on conviendra que les interventions précédentes ont plus souvent laissé les pays à feu et à sang plutôt que stabilisés. Ainsi, le risque de déflagration mondiale est grand : l’Iran a déjà parlé de « lourdes conséquences », la Russie dénonce le fait que l’Occident agisse « comme un singe avec une grenade dans le monde musulman », certains libanais sont impliqués par le biais du Hezbollah soutenant Bachar, des laboratoires irakiens ont été trouvés fabriquant des armes chimiques ayant peut-être alimentés, Al-Qaïda saisit la brèche pour s’insérer ça et là dans le conflit, la Turquie se dit prête à suivre une coalition occidentale. Bref, rendons nous à l’évidence, une telle intervention ne doit pas être prise à la légère, les enjeux et les acteurs impliqués sont trop nombreux. De plus, la question de la stabilité ne doit pas être écartée : intervenir, à quel prix ? Si toute la région devait en subir les conséquences, alors le ressentiment envers l’Occident s’en trouverait exacerbé. Sommes-nous prêts à prendre un tel risque ?
Parmi, les deux autres partisans de l’intervention, on trouve la France, qui après s’être dite prête à « punir » le régime syrien selon les propres mots de François Hollande commence à nuancer ses propos. Suite du dossier pour les français lors du débat organisé le 4 septembre au Parlement. Enfin, la Grande Bretagne, qui après avoir été aux côtés des Etats-Unis et de la France s’est ravisée puisque le Parlement britannique s’est opposé de par 285 députés contre 272 à une intervention.
Du côté des opposants à toute intervention on retrouve, sans surprise la Russie et la Chine. Là encore, il ne faut pas se leurrer, les intérêts en jeu sont nombreux, et il apparaît crucial d’avoir toutes les cartes en main pour en comprendre les subtilités. Du côté chinois, la stabilité du Moyen-Orient est cruciale pour plusieurs raisons. D’abord, en 2011 presque la moitié du pétrole brut chinois venait du Moyen-Orient. De même, les importations en provenance du Moyen-Orient ont triplé entre 2007 et 2011. Mais par-dessus tout, la Chine joue avec « la doctrine de non ingérence dans les affaires intérieures des Etats tiers ». Les propos de Jin Liangxiang relayés par Le Monde, expert de la politique chinoise au Moyen-Orient à l’Institut d’études stratégiques de Shanghaï nous éclairent parfaitement sur cette dimension : « les Etats-Unis souhaitent non seulement construire le Moyen-Orient selon leur propre modèle politique mais également soutenir leurs intérêts géopolitiques au nom de la promotion de la démocratie ». La Chine aime donc prendre le contre-pied de cette vision américaine afin de s’imposer dans la région.
Du côté de la Russie, là aussi l’hypothèse de l’intervention est à exclure. Force est de constater qu’ils disposent, de plus, de moyens pour faire fléchir les américains : ainsi, des négociations sont en cours sur le désarmement nucléaire (traité New Start), les russes pourraient décider de les geler. De plus, la Russie est une alliée de longue date de la Syrie. Certains, pour justifier l’opposition russe à une intervention mettent en avant les différents contrats d’armement existants pour les missiles sol-air et les hélicoptères, nous nuancerons en affirmant que si conflit il devait y avoir, la Russie devrait fournir l’essentiel des armes, ce qui serait très intéressant pour elle. N’oublions pas que la Russie souhaite elle-aussi se creuser un chemin au Moyen-Orient, bien sûr, sa route ne s’arrêtant pas aux mêmes escales : Syrie, Iran, Irak notamment. De manière générale, on notera que la Russie s’oppose mécaniquement aux violations du droit international. Dans le cas de la Libye, les russes s’étaient abstenus, et au final l’intervention avait dépassé la résolution onusienne en cherchant à renverser Khadafi. Du coup, on comprend bien pourquoi les russes ici ne se contenteront pas de l’abstention, l’affaire libyenne les ayant conforté dans l’idée que les obligations internationales étaient facilement dépassées voir, dans le cas irakien, violées. La Russie est également effrayée de la proximité entre le Caucase et de la Syrie : si Al Qaïda s’impose en Syrie, alors ces forces terroristes pourraient s’allier notamment aux mouvements terroristes tchétchènes. Malgré tout cela, si les russes poseraient probablement leur véto au Conseil de sécurité, si les américains et les français intervenaient tout de même, il est peu probable qu’ils prennent eux aussi les armes : manque de moyens, importance de l’Union européenne d’un point de vue énergétique..Cependant, la Russie pourrait du coup ne pas respecter ses engagements et signer des contrats d’armement, ou vendre à l’Iran des S-300, chose à laquelle l’Occident s’opposait particulièrement.
Finalement, on le voit, la question n’est pas tant : Est-il légal ou non d’intervenir ? On s’en doute, si les Etats-Unis souhaitent, avec certains de leurs alliés, s’engager, ce ne serait pas la première fois qu’ils s’émanciperaient des règles internationales. La question est plutôt : Si intervention il y avait, quelles seraient les retombées diplomatiques, politiques et géopolitiques ? Que l’utilisation d’armes chimiques est humainement atroce, on en conviendra tous, mais que l’intervention soit la meilleure riposte, au vu de l’ensemble de ces éléments, rien n’est moins sûr. Au cours de ces derniers jours on peut noter un infléchissement des tendances qui semblait dominer : d’une part le Congrés semble plus conciliant à l’égard du président Obama, d’autre part, le ton belliciste se fait plus discret et toutes les parties évoquent de plus en plus la nécessité de trouver une solution politique et l’on reparle de façon plus insistant d’une convocation éventuelle d’un « Genève 2 »Donc rien n’est moins sûr,ce qui l’est en revanche, c’est qu’EU-logos suivra suivre l’évolution du dossier sous ses différents aspects: à suivre donc ! Prochainement deux articles seront publiés : l’un consacré à « et l’Union européenne dans tout çà ? » qui fera le bilan après les réunion du G20 et la réunion de type Gymnich de fin de semaine et l’autre consacré aux réfugiés syrien, à l’aide et son financement domaine où l’UE traditionnellement joue un rôle important.
A suivre donc !
Louise Ringuet
Pour en savoir plus :
Le Monde – « Syrie : des opinions publiques peu favorables à une intervention » – 29 août 2013 :
Slate.fr – « Proche-Orient : les dividendes de la paix iront à la Chine » – 17 août 2013 :
http://www.slate.fr/story/76178/proche-orient-dividendes-paix-chine
Le Monde – « Syrie : après le refus britannique, Washington n’écarte plus une action unilatérale », 29 août 2013 :
Telos – « Egypte, Syrie : le désarroi de l’Occident », 28 août 2013 :
IRIS – « Conflit en Syrie : « Il y a un risque d’embrasement régional »» – 28 août 2013 :
http://www.iris-france.org/informez-vous/tribune.php?numero=660
IRIS – « Syrie : « Moscou redoute qu’une intervention prolonge le chaos » »- 27 août 2013 :
http://www.iris-france.org/informez-vous/tribune.php?numero=661
RTBF – « Syrie : intervenir avant la fin de l’enquête de l’ONU ? Une grave erreur » – 27 août 2013 :
IRIS – « Syrie : « Aucun pays ne veut risquer une intervention terrestre » » – 26 août 2013 :
http://www.iris-france.org/informez-vous/tribune.php?numero=663
Affaires stratégiques.info – « Comment interpréter la posture russe sur le conflit syrien ? » – 28 août 2013 :
http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article8530
Affaires stratégiques.info – « Syrie : une intervention armée imminente ? » – 27 août 2013 :
http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article8522
Affaires stratégiques.info – « Quels sont les enjeux d’une éventuelle intervention en Syrie » – 26 août 2013 :
http://www.affaires-strategiques.info/spip.php?article8521
Le Monde – « Syrie : quel serait le cadre légal pour une intervention militaire » – 27 août 2013 :
Monde diplomatique – « Une guerre par an » – 28 août 2013 :
http://blog.mondediplo.net/2013-08-28-Une-guerre-par-an