Le 6 septembre dernier a eu lieu une réunion informelle des ministres des affaires étrangères de l’Union européenne à Vilnius afin d’adopter une position commune sur la crise syrienne. Ainsi, l’Union européenne était attendue au tournant : « sur la scène internationale, il y a des choses que seule l’Europe peut faire. Préférer la voie politique et diplomatique à une solution militaire incertaine en est une » disait Giuliani, président de la Fondation Robert Schuman, de manière presque prophétique. Alors finalement, l’Union européenne est-elle aussi divisée qu’on aime à la décrire ?
Les relations de l’Union européenne avec la Syrie se sont concrétisées dès 1977 via la signature d’un Accord de Coopération portant sur les dimensions économiques, techniques, financières et commerciales. La Syrie est l’un des douze pays de la Méditerranée à être partie de la déclaration de Barcelone visant « à faire de la Méditerranée un espace commun de paix, de stabilité et de prospérité, grâce au renforcement du dialogue politique et de sécurité, de la coopération économique, financière, sociale et culturelle ». L’aurait-on oublié ? Il est à craindre que la réponse soit : oui ! Alors que la concrétisation d’un Accord d’association était en cours, en mars 2011 éclate la guerre civile syrienne.
Si tout article mérite son bref historique, entrons dans le coeur du sujet : dès mai 2011, l’Union européenne a adopté la décision 2011/273/PESC : celle-ci prévoit dans un premier temps un double embargo. Ainsi, en plus d’un embargo sur le pétrole est prévu un embargo sur les armes, interdisant toute vente, fourniture, transfert ou exportation d’armes à la Syrie de même que toute aide technique ou financière en rapport avec les armes. Ensuite, les « personnes responsables des violentes répressions exercées contre la population civile en Syrie » et « les personnes ou entités qui soutiennent ou bénéficient des politiques menées par le régime » font l’objet de restrictions quant à leur admission et leurs ressources économiques. Prendre une telle décision n’était pourtant pas si évident. Ainsi, l’Italie reçoit à cette époque 30% des importations européennes de pétrole syrien. Cependant, cette perte est à double sens : 95% des exportations de pétrole syrien sont achetées jusque 2011 par l’Union européenne (soit 75% des recettes d’exportation syriennes). Le 18 août 2011, Catherine Ashton appelle résolument Bachar el Assad à démissionner : « L’Union européenne note que Bachar el-Assad a perdu toute légitimité aux yeux du peuple syrien et qu’il est nécessaire pour lui de quitter le pouvoir ». C’est ainsi qu’en septembre (2011/522/PESC), l’Union européenne décide de renforcer encore les mesures restrictives contre le régime syrien : la liste d’individus disposants dans le texte de mai 2011 de restrictions est élargie à toute personne ou entité qui finance le régime ou lui apporte un soutien logistique ou enfin « compromet les efforts visant à assurer une transition pacifique vers la démocratie en Syrie ». De même, « l’achat, l’importation ou le transport de pétrole brut et de produits pétroliers en provenance de la Syrie sont interdits ». Les décisions 2011/628/PESC du 23 septembre et 2011/684/PESC du 13 octobre 2011 n’auront de cesse d’agrandir la liste des restrictions opérées vers la Syrie.
Pourtant, le 27 mai 2013, les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne ont décidé de lever l’embargo sur la vente d’armes pour les rebelles, cette décision prenant effet au 1er août. Deux problèmes semblent alors voir le jour : si la livraison d’armes est autorisée, gardons bien en mémoire le fait que les rebelles syriens ne constituent guère un groupe homogène, la question est donc : comment s’opère donc la sélection du groupe(des) qui en bénéficiera ? Comment être sûr que les armes tombent bien entre les « bonnes » mains ? De même, s’il s’avérait que des pays européens décident de livrer des armes à la Syrie, alors, les alliés du régime de Bachar el Assad, comme le souligne Barnes Dacey (ECFR) pourraient eux-aussi accélérer leurs ventes d’armes, et, contrairement aux européens sans restrictions aucune.
Mais, on le sait tous, aujourd’hui le débat n’est plus là. A l’heure actuelle, c’est le mot « Intervention » qui est sur toutes les lèvres, sans qu’aucun n’ose pourtant encore lui donner sa concrétisation. Analysons la position de quatre Etats européens par rapport au conflit syrien. On s’en doute, la France n’y échappera pas. Inutile de revenir dessus, l’on sait que la France de François Hollande et de son ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, est largement à classer dans le groupe des interventionnistes. Mais qu’en est-il du reste de la classe politique ? François Fillon (UMP) ne voit pas beaucoup de sens dans une opération qui viserait simplement à « punir ». Ainsi, pour lui, aucune ingérence n’est envisageable : on le fera dans les règles (mandat des Nations-Unies) ou on ne le fera pas. Il souhaite également que la France se range du côté de ses intérêts au Liban et qu’elle cesse cette position de « pays aligné sur les Etats-Unis », cela n’étant pas dans son intérêt. A un autre François, une opinion similaire : ainsi, François Bayrou (MoDem) dénonce le manque de preuve mais surtout le fait que « La France, sa vocation, sa grandeur, et sa chance historique est d’être non alignée ». Alain Juppé, orfèvre en la matière et respecté, est proche à la fois de Fillon et Bayrou tout en ménageant le président Hollande. On pourrait le qualifier « d’interventionniste modéré et conditionnel. Il reproche à la diplomatie française de ne pas avoir assez travaillé avec toutes les parties pour rechercher un compromis politique avec les protagonistes. Marine le Pen (Front National) est elle aussi opposée à une intervention, mais en jouant sur son propre registre : cela « consisterait à venir apporter une aide évidente à Al-Quaïda, au fondamentalisme islamique, qui est aujourd’hui à l’oeuvre en Syrie ». Jean-Luc Mélenchon, lui, dénonce l’influence des Etats-Unis sur la position française via un François Hollande qu’il qualifie de devenu « un supplétif » des Etats-Unis. Il préfère à l’hypothèse de l’intervention celle de la discussion, et s’oppose au pouvoir quasi-monarchique d’un François Hollande qui se donne le droit d’aller en guerre ou non sans aucun aval que ce soit. Bref, on le voit, si François Hollande est désavoué par l’opinion publique depuis longtemps, c’est l’ensemble de la classe politique française qui lui tourne progressivement le dos.
En Allemagne, le débat est tempéré par les élections législatives de septembre prochain. Ainsi, Angela Merkel est passée du très ferme « Nein », en (presque) toutes circonstances, à une prudence à toute épreuve. Elle ne souhaite pas prendre part à une intervention mais elle ne critiquera pas si celle-ci devait avoir lieu. Mme Merkel a été fortement critiquée pour ne pas avoir pris part directement à la déclaration du G20 qui appelait à une réaction internationale forte. Mais n’est-ce pas tout à son honneur d’avoir attendu une position européenne à Vilnius avant d’y donner son aval ? N’attendait-on pas qu’un jour une position européenne prenne le dessus sur une position nationale et internationale? C’est ce qu’elle a fait valoir pour justifier un « revirement qui à ses yeux n’existait pas : elle attendait une position authentiquement européenne prise dans un cadre authentiquement européen pour se prononcer et apporter le poids de l’Allemagne. Quant au reste de la classe politique, Steinbrück (SPD) trouve que « cent heures de négociations valent mieux qu’une heure de tirs » alors que Die Linke et les Verts condamnent fermement tout ce qui ressemblerait de près ou de loin à une guerre.
En Grande-Bretagne, on le sait, le Parlement a tranché. Cela n’empêche pas le chef de la diplomatie britannique de donner le « soutien diplomatique total du Royaume-Uni » à une intervention. Il faudrait, selon le ministre de la Défense Philip Hammond, un changement de circonstances majeur pour qu’un nouveau vote soit envisagé au Parlement.
Enfin, pour l’Italie, l’intervention est à exclure. La ministre des affaires étrangères Emma Bonino affirme ainsi ne pas vouloir d’une intervention sans l’aval du Conseil de sécurité alors que le Ministre de la défense Mario Mauro se montre plus tranché en affirmant « qu’il n’y a aucune chance que l’Italie prenne une part active à une quelconque nouvelle action militaire. On pourrait se dire que le débat est clôt, mais va-t-on assister à un revirement « à la libyenne » ?
Il est intéressant, il est vrai, de s’attarder sur les positions nationales suivant les contextes, l’historique des interventions passées et l’ensemble de l’opinion de la classe politique. Mais revenons-en à ce qui nous intéresse concrètement ici : « Et l’Union européenne dans tout ça ? ». C’est à Vilnius que les ministres des affaires étrangères se sont réunis le 6 septembre dernier afin d’adopter une position commune quant à la crise syrienne. La question était, pour Laurent Fabius, de « savoir s’il peut y avoir une position européenne ». Finalement, le communiqué final peut tout autant être salué que rendre perplexe. Dans celui-ci on y lit que de « fortes présomptions sur le fait que le régime syrien serait responsable de l’usage d’armes chimiques » existent. A cela, il y est préconisé une réponse « claire et forte ». Ainsi, pour Catherine Ashton, c’est à une « solution politique » qu’il faut s’en remettre, ainsi qu’à une dose de patience car « il faut attendre le rapport des inspecteurs des Nations Unies ». Nous pouvons nous féliciter d’être parvenus, européens, à faire voter à l’unanimité une telle position. Cependant, comme le disaient les propos d’un diplomate relayés par Le Monde, « Cet accord est un compromis typique du fonctionnement de l’UE » : ainsi, le côté vague des termes peut laisser perplexe. On y évoque les « fortes présomptions », qui, comme tout doute, peuvent toujours être contrées. Mais également une réponse « claire et forte » : l’avantage, semble-t-il, est que chacun trouvera dans ce genre de formulation son intérêt. Cette position commune, trouvée de façon laborieuse, n’est ni exaltante, ni flamboyante mais elle permet à l’UE de jouer un rôle de médiateur plus assuré dans la recherche d’un compromis politique que tout le monde appelle désormais de ses vœux, y compris les interventionnistes.
En conclusion, nous avons vu que l’Union européenne n’est ni si absente ni autant divisée qu’on aime à la décrire. Bref, une mauvaise nouvelle pour les europessimistes et eurosceptiques ! Il semble que soit presque à classer au rang des redondances le nombre d’articles se plaisant à insister sur la diversité de l’Union. Alors, c’est vrai, le communiqué final après Vilnius n’est pas retentissant, n’apporte pas la sensation qu’attendent nombre de journaux mais gardons en tête la phrase qui avait permis à un étudiant d’avoir l’opportunité d’être aux côtés de l’Union européenne pour recevoir le Prix Nobel de la Paix : « Européen, si la paix ne fait pas de bruit, n’oublie pas que ce silence, c’est la vie !
Louise Ringuet
Pour en savoir plus :
Europa – Déclaration de Barcelone et partenariat euro-méditerranéen:http://europa.eu/legislation_summaries/external_relations/relations_with_third_countries/mediterranean_partner_countries/r15001_fr.htm
Le Monde.fr – « L’UE décrète un embargo sur les importations de pétrole syrien »-2 septembre 2011 : http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/09/02/l-ue-decrete-un-embargo-sur-les- importations-de-petrole-syrien_1566983_3218.html
Le Monde.fr – « Les Etats-Unis et l’UE appellent Al-Assad à la démission » – 18 août 2011 « http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2011/08/18/bachar-al-assad-affirme-que-les- operations-militaires-ont-cesse_1560672_3218.html
Décision 2011/522/PESC du Conseil du 2 septembre 2011 :(FR) : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do? uri=OJ:L:2011:228:0016:0018:FR:PDF (EN) : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do? uri=OJ:L:2011:228:0016:0018:EN:PDF
Décision 2011/273/PESC du Conseil du 9 mai 2011 :(FR) : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2011:121:0011:0014:FR:PDF
Décision 2011/628/PESC du Conseil du 23 septembre 2011(FR) : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2011:247:0017:0021:FR:PDF
Décision 2011/684/PESC du Conseil du 13 octobre 2011(FR) : http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:L:2011:269:0033:0035:FR:PDF
L’Express – « Syrie : pour Marine le Pen, François Hollande a reculé » – 8 septembre 2013 : http://www.lexpress.fr/actualite/monde/proche-orient/syrie-pour-marine-le-pen-francois- hollande-a-recule_1279632.html
Libération – « Syrie : Mélenchon veut un vote et dénonce l’atlantisme de Hollande » -1er septembre 2013: http://www.liberation.fr/politiques/2013/09/01/syrie-melenchon-veut-un-vote-et-denonce- l-atlantisme-de-hollande_928657
Remarks by EU High Representative Catherine Ashton, following the informal meeting of EU Foreign Ministers, Vilnius, 7 September 2013: http://eeas.europa.eu/statements/docs/2013/130907_01_en.pdf
Le Monde.fr – « Syrie : les Européens prônent une réponse forte mais se divisent toujours sur l’idée de frappes » – 7 septembre 2013: http://www.lemonde.fr/europe/article/2013/09/07/syrie-les-europeens-pronent-une- reponse-forte-mais-se-divisent-toujours-sur-l-idee-de-frappes_3472960_3214.html
Rianovosti – « Syrie/intervention : les pays de l’UE prônent un débat au CS de l’ONU » – 9 septembre 2013 : http://fr.rian.ru/world/20130909/199255400.html
Le Point.fr – « Syrie : l’UE tente de coordonner sa position à Vilnius » – 6 septembre 2013 : http://www.lepoint.fr/monde/syrie-l-ue-tente-de-coordonner-sa-position-a-vilnius-06-09-2013-1721764_24.php
Libération – « L’Union européenne pour une réponse forte en Syrie »- 7 septembre 2013: http://www.liberation.fr/monde/2013/09/07/l-union-europeenne-pour-une-reponse-forte-en-syrie_930128
Les Echos – « Syrie : les Européens « pour une réponse forte » – 7 septembre 2013: http://www.lesechos.fr/economie-politique/monde/actu/0202991739849-syrie-john-kerry-veut-convaincre-les-europeens-602524.php
Rtl.fr – « Syrie : Le rôle de la France c’est d’être non alignée estime François Bayrou » – 8 septembre 2013 : http://www.rtl.fr/actualites/info/politique/article/syrie-une-intervention-de-la-france-pour-punir-bachar-al-assad-est-une-erreur-selon-francois-bayrou-7764388268
Le Monde.fr – « Syrie : pour Fillon, la France paierait cher une intervention militaire » – 8 septembre 2013 : http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/09/08/syrie-pour-fillon-la-france-paierait-cher-une-intervention-militaire_3473044_3218.html
Le Monde.fr – « Les partis allemands hostiles à une intervention militaire en Syrie »- 9 septembre 2013 : http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/09/08/syrie-pour-fillon-la-france-paierait-cher-une-intervention-militaire_3473044_3218.html
Le Figaro.fr – « Syrie/USA : la GB accorde son soutien » – 9 septembre 2013 : http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2013/09/09/97001-20130909FILWWW00599-syrieusa-la-gb-accorde-son-soutien.php
Romandie – « GB/Syrie : pas de nouveau vote sauf changement très significatif de circonstances » – 2 septembre 2013 : http://www.romandie.com/news/n/_GBSyrie__pas_de_nouveau_vote_sauf_changement_tres_significatif_de_circonstances74020920131835.asp
Le Figaro.fr – « Syrie : l’allié italien ne sera pas au rendez-vous » – 29 août 2013 : http://www.lefigaro.fr/international/2013/08/29/01003-20130829ARTFIG00445-syrie-l-allie-italien-ne-sera-pas-au-rendez-vous.php
Union Européenne – Action extérieure – République arabe syrienne : http://www.eeas.europa.eu/syria/index_fr.htm
Le Monde.fr – « Lever l’embargo sur les armes en Syrie, « un message envoyé à Bachar Al-Assad » – 29 mai 2013 : http://www.lemonde.fr/proche-orient/article/2013/05/29/la-levee-de-l-embargo-sur-les-armes-en-syrie-un-faux-debat_3419678_3218.html
Slate.fr – « Syrie : la levée de l’embargo sur les armes, et après? » – 29 mai 2013: http://www.slate.fr/story/73149/armes-syrie
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