A un moment crucial pour l’ « agenda Rom » de l’Union Européenne, les commissions parlementaires LIBE et FEMM se sont réunies le 18 septembre dernier pour dresser un bilan des stratégies nationales d’intégration, tout en se focalisant sur la condition des femmes roms. De façon prévisible, les faiblesses dépassent les points forts. Depuis toujours très réceptif à l’égard des droits de l’homme, le Parlement Européen se confirme comme une instance de contrôle des politiques menées au sein de l’Union. Le suivi des stratégies nationales d’intégration des roms s’insère d’ailleurs dans la droite ligne d’un mouvement dégagé par le traité de Lisbonne et symbolisé aussi par le rapport conjoint des commissions LIBE, JURI et AFCO sur le programme de Stockholm. Faisant preuve d’une ténacité peu commune, l’assemblée européenne s’est chargée aussi du cadre européen pour les stratégies d’intégration des roms, pourtant un domaine largement dans les mains des Etats Membres pour la mise en application concrète.
Les députées rapporteurs des commissions FEMM et LIBE, Lívia Járóka et Kinga Göncz, ont ouvert le débat par une évaluation générale des stratégies nationales. Le bilan est loin d’être en rose. Pour la plupart, les Etats Membres n’ont pas de plans concrets pour faire face aux problèmes des communautés roms. Les fonds, quand ils sont utilisés, sont peu adéquats à l’implémentation des projets. De plus, les ONG et les représentants roms sont presque absents de toute enceinte, dénonce Mme Járóka, qui a annoncé une mission parlementaire en Croatie et en Hongrie pour vérifier personnellement l’état des communautés présentes. Pas de grandes espérances, si l’on s’en tient aux derniers rapports de l’Agence pour les Droits Fondamentaux (FRA) qui ne prouvent aucune amélioration dans la situation des communautés roms en Europe. Faisant l’écho à la proposition de la Commission pour une recommandation du Conseil, les rapporteurs ont plaidé pour un mécanisme de contrôle effectif, qui soit fondé sur des indicateurs solides, ainsi que pour un renforcement des points de contact nationaux.
Les représentants de la société civile invités à la rencontre parlementaire ont confirmé l’analyse des deux rapporteurs, tout en détaillant les failles des politiques d’intégration à l’égard des roms. Márton Rövid (Decade of Roma Inclusion Secretariat Foundation), a présenté les résultats d’un projet de monitoring mené dans 8 pays européens (Albanie, Bulgarie, Espagne, Hongrie, Macédoine, République Tchèque, Roumanie, Slovakie) sous un cadre commun. Le verdict final est plutôt négatif. Certes, des mesures positives ont été prévues dans certains Etats, mais la plupart d’entre elles reste lettre morte, sans aucune concrétisation. La solution proposé par M. Rövid tourne autour de quatre principes : la participation des roms dans les enceintes censées les protéger ; le financement à tout niveau (national, régional et local) ; la lutte contre la discrimination et la promotion de la diversité culturelle; l’implication plus forte du secteur privé dans les politiques d’intégration. Quant au cadre européen, M. Rövid a calqué certaines des recommandations avancées par les rapporteurs, surtout pour ce qui est des constatations techniques : l’introduction d’un mécanisme de suivi plus structuré, l’établissement d’un groupe d’experts qui puisse travailler avec les points de contact nationaux, la révision du système de financement européen et l’élaboration de recommandations spécifiques à chaque Etat Membre. D’un point de vue plus politique, il a souhaité un activisme plus poussé de la part du Parlement Européen, appelé à jouer le rôle de chef de file dans la lutte contre la discrimination.
Iulius Rostas, professeur universitaire et conseiller pour le Roma Education Fund et Open Society Foundations, a reproché à la Commission de ne pas avoir pris en considération la participation des roms aux projets européens, qui devrait être d’après lui une condition préalable pour l’octroi des financements communautaires. De même, très peu a été fait pour contrer la discrimination persistante qui frappe les populations roms. Souvent, dénonce-t-il, la politique d’anti-discrimination est réduite à un ensemble de normes négatives, alors qu’il faudrait aussi adopter des normes positives visant à promouvoir l’égalité. Par ailleurs, les instruments existants au niveau de l’Union ne seraient guère suffisants. M. Rostas a fait notamment allusion à la directive sur l’égalité raciale, qui manque d’interdire formellement toute forme de ségrégation raciale, un phénomène très tangible dans les écoles de certains Etats Membres de l’Est.
En conclusion de son intervention, il a soulevé le problème de la production de connaissance sur les roms. La lecture des statistiques doit s’accompagner d’une connaissance réelle des phénomènes, affirme M. Rostas, quitte de dériver des conclusions précipitées à partir de chiffres stériles. Cela s’applique d’autant plus lorsque l’objet de ces statistiques vise des communautés d’êtres humains, difficiles à appréhender selon des chiffres. Ainsi, le taux de criminalité supérieur chez les communautés roms, tout en étant indéniable, doit être contextualisé à l’aune de la réalité : est-ce que dix petits crimes valent plus qu’une grande fraude financière ? demande M. Rostas, de façon provocatoire. Sans parler du fait que souvent – renchérit-il – la police n’a aucun intérêt à intervenir dans les communautés roms pour faire respecter la loi. Ces données ne font donc que décrire un phénomène, sans en fournir aucune explication.
Un avis qui est partagé par la Commission, représentée à la rencontre par Lina Papamichalopoulou, Chef d’Unité à la DG JUST. Tout en se montrant d’accord avec l’analyse faite par les précédents intervenants, Mme Papamichalopoulou a repoussé les accusations faites par M. Rostas sur la négligence de la Commission, qui se trouve les mains liés face à la résistance des Etats Membres. Et les députés de la droite radicale, M. Claeys (Vlaams Belang) et M. Brons (British Democratic Party), étaient justement là pour rappeler ces résistances. D’après le représentant du Vlaams Belang belge, rejoint par son homologue britannique, il faudrait voir aussi les responsabilités dans le chef des individus roms, qui – à leur avis – ne collaborent pas à leur intégration. Autant d’interventions qui cachent à peine le refus total de penser à une quelconque stratégie d’intégration.
Si le cadre européen des stratégies nationales n’est pas radieux, la condition des femmes roms est même pire. Soumises à la double discrimination raciale et de genre, les femmes roms sont écrasées par les pathologies de la marginalisation sociale. Selon le dernier rapport de FRA concernant la dimension de genre des stratégies nationales d’intégration, les femmes roms sont moins scolarisées, moins employées et moins conscientes de leurs droits que les hommes roms. En plus, elles sont victimes de violences domestique, des mariages arrangés et de la prostitution forcée, des phénomènes qui ne peuvent pas être combattus au sein du cadre européen actuel, faute de l’inclusion de la dimension de genre dans les stratégies nationales d’intégration. C’est pourquoi M. Rostas et Mme Serrano ont plaidé à l’unisson pour une révision du cadre européen qui prenne en considération la condition spécifique des femmes roms. Il faudrait tout d’abord – enchaine Mme Serrano – établir un climat de confiance chez elles, qui seul permettrait de verbaliser les expériences de violence domestique. Ensuite, les programmes de contour : il s’agit là de s’adresser aux hommes roms par des campagnes d’éducation et de sensibilisation pour qu’ils puissent « repenser leur masculinité ».
En faveur d’une incorporation de la dimension de genre, la commission FEMM a produit un projet de rapport pour une résolution du Parlement Européen à l’adresse des autres institutions communautaires. Par cela, elle demande à la Commission d’intégrer des paramètres spécifiques à la condition des femmes lors de l’évaluation des stratégies nationales pour les roms. La plupart des recommandations s’adresse pourtant aux Etats Membres : développer les liens entre les organisations roms et les instances nationales pour l’égalité de genre, dessiner des plans ciblant la condition des filles mères et des femmes quittant l’école prématurément, ou encore adapter les projets nationaux liés à la santé aux exigences particulières des communautés roms.
Bref un manque criant de volonté politique pour reprendre le titre de l’article du dernier numéro de Nea Say !
Si, comme l’a dit Ioannis Dimitrakopoulos (FRA), l’intégration des roms est un test pour l’UE pour prouver qu’elle est en mesure de garantir la cohésion sociale, ce cadre européen s’avère un défi crucial dans la perspective de l’ « Europe 2020 ».
Gianluca Cesaro
Pour en savoir plus :
– Enregistrement de la réunion conjointe LIBE – FEMM – 18/09/2013 – http://www.europarl.europa.eu/ep-live/fr/committees/video?event=20130918-1500-COMMITTEE-FEMM
– Document de travail sur les aspects liés au genre du cadre européen des stratégies nationales d’intégration des roms – 08/05/2013 – (EN) – http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/femm/dt/935/935736/935736en.pdf – (FR) – http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/femm/dt/935/935736/935736fr.pdf
– Projet de rapport sur les aspects liés au genre du cadre européen des stratégies nationales d’intégration des roms – 29/08/2013 – (EN) – http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/femm/pr/1001/1001453/1001453en.pdf – (FR) – http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/femm/pr/1001/1001453/1001453fr.pdf
– Analysis of FRA Roma survey results by gender – Sept. 2013 – (EN) – http://fra.europa.eu/sites/default/files/ep-request-roma-women.pdf
-. Dossier Rom de Nea say http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=2921&nea=136&lang=fra&arch=0&term=0
– Rom : un manque criant de volonté politique Nea say N° 136 http://www.eu-logos.org/eu-logos_nea-say.php?idr=4&idnl=2911&nea=136&lang=fra&lst=0&arch=0
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