Ce jeudi 3 octobre, Louis Michel a présenté son projet de rapport sur les droits fondamentaux. Il a su déployer tout son talent pour présenter les nombreuses facettes du problème, dégager les enjeux pour l’UE sur les plans politiques, institutionnels et constitutionnel (modifier en profondeur l’article 7 et supprimer l’article 51 de la Charte européenne des droits fondamentaux). Reprenons les éléments phares du rapport et examinons les réactions des députés face à ce rapport, la surprise venant à ce sujet du PPE qui a marqué une opposition nette aux articles 3 à 7 du rapport sans donner beaucoup de justifications concrètes.
Si l’année 2012 a été pour l’Union européenne celle du Nobel, elle a également été « le théâtre d’une polarisation sociale croissante, d’une recrudescence ouverte de discours teintés d’extrémisme et d’une nouvelle érosion de la confiance au sein et entre les différentes sociétés européennes » et, cause ou conséquence, la persistance voire le renforcement des atteintes aux droits fondamentaux.
Tous les ingrédients sont rassemblés pour que le rapport de Louis Michel soit un « grand rapport » et pour peu que les députés s’en donnent la peine que nous ayons un grand débat.
Louis Michel a présenté un rapport structuré en deux volets. D’abord, c’est au volet institutionnel qu’il s’attache. Ainsi, il insiste sur la nécessité de la pleine application de l’article 2 du TUE, nous vous renvoyons ici au traité lui-même. Les crises telles que celles traversées en Hongrie ou en Roumanie et en France sous-tendant la question des roms ont mis à mal les valeurs qui y sont reprises. Ainsi, rappelons-le, en Hongrie, la Commission de Venise après que le parti Fidesz ait remporté les élections a jugé que les réformes constitutionnelles engagées étaient contraires aux normes européennes (FRA). Un appel est également lancé vers la clôture de l’adhésion rapide à la Convention européenne des droits de l’Homme. De même, c’est à l’élaboration mais surtout à la pleine transposition du droit européen qu’il est nécessaire de s’atteler : la Commission se doit d’ores et déjà de saisir les instruments à sa disposition sans attendre la réforme des Traités et d’en user pleinement au travers d’une évaluation objective et si nécessaire d’un recours à la Cour de Justice. De véritables programmes d’action doivent être mis en oeuvre, et en ce sens, il invite à une coopération effective avec le Conseil de l’Europe et d’autres institutions jugées appropriées, le cumul des expertises n’étant pas à négliger. Mais l’élément phare de ce volet est certainement la volonté de création d’un mécanisme qui par une décision de la Commission assurerait la mise en place d’indicateurs, d’un suivi, d’évaluations objectives et comparatives, de recommandations et de sanctions. C’est finalement tout un cycle politique européen qui doit se lancer sur cette thématique sur une base annuelle et pluriannuelle et via la création d’un forum annuel trans-institutionnel. Si la FRA (Fundamental Rights Agency) doit voir ses compétences augmenter, la Commission ne doit guère hésiter à recourir aux lettres de mises en demeure qui lui permettent de donner suite à une plainte ou à une infraction constatée. L’article 51 de la Charte des droits fondamentaux restreignant le champ d’application de celle-ci doit être supprimé. Il s’appuie pour une partie de ses propositions sur les propos tenus le 4 septembre dernier par Viviane Reding, lors d’une conférence au CEPS intitulée « The EU and the Rule of Law – What Next ? » qui allaient dans la droite ligne de ce qu’il préconise, notamment sur le renforcement de l’article 2 du TUE ainsi que sur le discours du président de la Commission européenne, Juan Manuel Barroso, sur l’état de l’Union.
Le second volet, lui, concerne les droits de l’Homme en eux-mêmes. Ils sont déclinés en suivant la structure de la Charte des droits fondamentaux. On y retrouve d’abord la notion-phare de dignité qui doit concerner tout un chacun : des minorités aux demandeurs d’asile en passant par les migrants ou même les personnes soupçonnées de liens avec le terrorisme ou privées de liberté. Par exemple, concernant les droits des migrants en situation irrégulière, la FRA stipule que pas moins de 9 Etats membres ont reçu un avis motivé de la Commission pour la non-transposition de la Directive sanctions. De même, seuls sept Etats membres auraient d’ores et déjà instauré des systèmes de contrôle du retour forcé effectifs. La liberté est elle aussi à l’honneur, notamment au vu de l’actualité concernant la protection des données : la directive européenne sur la conservation des données a donné lieu par exemple à maintes actions devant la CJUE et les cours constitutionnelles nationales selon la FRA en 2012, notamment en Allemagne, Autriche, Irlande, Slovaquie ou encore aux Pays-Bas. Il renvoie notamment à la nécessité pour la Commission de s’atteler à la réalisation d’une feuille de route européenne contre l’homophobie, les discriminations basées sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre. L’égalité n’est guère oubliée et le Conseil est en ce sens invité à enfin adopter la directive pour la mise en oeuvre de l’égalité de traitement entre les personnes sans distinction de religion, de conviction, handicap, d’âge ou d’orientation sexuelle. La solidarité est aussi visée en ces temps difficiles de crise. Ainsi, le rapport de 2012 de la Commission européenne sur l’emploi et les évolutions sociales stipule que « la situation s’est encore aggravée pour les groupes qui présentent déjà un risque accru de pauvreté, comme les jeunes adultes, les enfants, et dans une certaine mesure, les migrants » (FRA). Statistiquement, selon Eurostat, en 2012 le taux de chômage dans l’UE a atteint 10,7% contre 10% en 2011. De même, « le nombre de personnes au chômage continu depuis plus d’un an a augmenté de 14,3% par rapport au même trimestre l’année précédente, en 2011 (FRA).
Mais également la citoyenneté avec une invitation expresse à une reprise des travaux concernant le règlement 1049/2001concernant l’accès au document et à l’information. Enfin, c’est à une justice qui se doit d’être juste et indépendante que Louis Michel souhaite rendre honneur. Ainsi, selon la FRA, « l’austérité financière a eu des conséquences néfastes sur l’accès à la justice à cause de la réduction du nombre des tribunaux et de la fusion de mécanismes non judiciaires ». Bien sûr, on peut toujours se dire que certaines catégories ont été oubliées, mais Louis Michel se dit d’ores et déjà ouvert à toute une série d’amendements visant à pallier ces manques. Enfin, il souhaite la création d’une Commission de Copenhague dont la faisabilité reste encore à définir.
Examinons, maintenant, les différentes réactions des députés. Nuno Melo (PPE) est le premier à s’exprimer sur le texte. Pour lui, si un renforcement du système européen se révèle important, l’Union européenne aurait déjà dans cette matière un système suffisamment développé concernant la protection des droits fondamentaux : création de l’Agence des droits fondamentaux, charte de l’Union, traité de Lisbonne, adhésion à la Convention des droits de l’Homme du Conseil de l’Europe constituent à son sens autant et assez d’éléments de protection. La plus grande crainte du PPE exprimée par son intermédiaire est celle d’une « politisation du système » : ainsi, la Cour doit à son sens rester maître dans ce domaine sans
ingérence du Parlement perçue comme « dangereuse ». Philip Claeys (Non-inscrits) perçoit lui ce rapport comme une « occasion ratée » dans un domaine « sans aucun nouveau problème ». A son sens, parler de protection de minorités telles que les roms est à ranger au rang des « jérémiades » puisque c’est à eux seuls de prendre en main leur propre vie. Il souhaite également inverser les dispositions annoncées par Louis Michel pour pallier les effets du racisme vis-à-vis des migrants en insistant plutôt sur le racisme des immigrés vis-à-vis de la population nationale.
Au rang des interventions plus pertinentes, on notera celle de Rui Tavares (Verts/ALE). Pour lui, ce rapport tombe à pic quand on observe que maintes violations des droits de l’homme dans les Etats membres restent encore aujourd’hui impunies. Il s’étonne en ce sens de l’intervention du PPE dont la chef de file Viviane Reding souhaitait pourtant vivement l’abolition de l’article 51 de la Charte des droits fondamentaux qui en restreignait son application. Cependant, il souhaite qu’au rapport soit ajoutée une annexe contenant une liste par pays des diverses violations en matière de droits de l’Homme qui persistent. S’il salue l’initiative de coopération avec le Conseil de l’Europe, il est crucial selon lui que l’Union garde un rôle clé et ne délègue pas l’ensemble de cette matière à cette institution. De même, une attention particulière doit être donnée à l’absence de dédoublement : par exemple, si Commission de Copenhague il y a, elle ne doit pas faire double-emploi avec celle de Venise, laquelle pourra participer aux travaux de « la commission de Copenhague ». Andref Plenkovic (PPE), en tant que croate, insiste sur les efforts demandés à son pays pour le respect des droits fondamentaux. L’article 2 du TUE est donc à son sens fondamental et son plein respect se doit d’être assuré.
La Commission souligne , dans son intervention,l’importance des valeurs communes qui sous-tendent l’action européenne et qui ne sont pas encore un acquis. L’expérience a prouvé son expérience d’arbitre en la matière : il est nécessaire que chaque Etat soit jugé de manière égale et que des mécanismes de réaction appropriés soient mis en oeuvre lorsque l’Etat de droit se trouve menacé. D’ailleurs, le 21 et 22 novembre prochain se déroulerons les Assises de la Justice sur « What role for Justice in the European Union » où des échanges se dérouleront sur l’indépendance de la justice, son efficacité, l’Etat de droit et le principe de confiance mutuelle. Rappelant le discours de Juan Manuel Barroso sur l’Etatde l’Union, la Commission la mise en place de mécanisme de réactions rapides.. A cet égard a été confirmée l’annonce de la présentation prochaine de communications par la Commission européenne.
Enfin, Louis Michel clôt le débat en répondant à l’ensemble des interventions qui lui ont été adressées. Il se dit surpris de l’intervention du PPE, notamment celle de Melo. Si ce dernier craignait une politisation de la thématique des droits fondamentaux, il s’agit bien de l’exact opposé pour Louis Michel. N’est-ce pas Melo qui en fait une affaire politique ? Car selon Louis Michel, indicateurs et procédures objectives, claires, benchmarking etc. constituent de bien solides remparts à une politisation du sujet. De même, face à son déni de la persistance des défis concernant les droits fondamentaux en Europe, Louis Michel soutient que c’est être « aveugle » que de ne guère les percevoir. Ainsi, si le Conseil et la Commission lui ont demandé de travailler sur le sujet, c’est bien qu’il y a de graves problèmes et aussi une réelle fenêtre d’opportunité vers un renforcement de l’arsenal instrumental concernant les droits fondamentaux. En ce qui concerne l’intervention de Tavares, Louis Michel s’engage à faire un rapport informel sur tous les cas de violations des droits de l’Homme, et ce, pays par pays, même s’il sait que beaucoup s’y opposeront, mais rien n’interdit qu’il présente à titre personnel un tel rapport. Il tient également à rassurer celui-ci quant à la question du double-emploi avec le Conseil de l’Europe : ce dernier sera un partenaire privilégié, non un partenaire à qui l’on se plaît à déléguer ses responsabilités.
En conclusion, certaines des interventions ont montré que chaque thématique connaît ses sceptiques. Pourtant, le rapport annuel de 2012 de la FRA est éclairant à ce sujet : même en Europe, les droits fondamentaux sont régulièrement bafoués. Saluons donc le rapport de Louis Michel qui met en lumière les éléments qui nous permettrons peut être de nous détourner de telles violations. Nous terminerons sur l’article 2 du TUE, car il n’est de plus belle citation : « L’Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, de l’Etat de droit, ainsi que de respect des droits de l’homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux Etats membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes ». C’est pourquoi Louis Michel a recommandé »d’établir un cycle politique européen sur l’application de l’article 2 du traité » (article 3 d du rapport)
Louise Ringuet
Pour en savoir plus :
-. Projet de rapport sur la situation des droits fondamentaux dans l’Union européenne – Louis Michel :
(FR) http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-%2f%2fEP%2f%2fNONSGML%2bCOMPARL%2bPE-519.501%2b01%2bDOC%2bPDF%2bV0%2f%2fFR (EN) http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/libe/pr/1003/1003096/1003096en.pdf
-. Document de travail I :Louis Michel(FR) http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/libe/dt/940/940965/940965fr.pdf (EN) http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/libe/dt/940/940965/940965en.pdf
-. -Document de travail II :Louis Michel (FR) http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/libe/dt/942/942157/942157fr.pdf (EN) http://www.europarl.europa.eu/meetdocs/2009_2014/documents/libe/dt/942/942157/942157en.pdf
-. FRA – Rapport de 2012 :
http://fra.europa.eu/sites/default/files/annual-report-2012_fr.pdf
-. Les Assises de la Justice – Novembre 2013 :
http://ec.europa.eu/justice/events/assises-justice-2013/index_en.htm
-. Europa – Lettres de mises en demeure :
http://ec.europa.eu/internal_market/media/infringements/index_fr.htm
-. Eur-lex – Lien vers le Traité sur l’Union Européenne (TUE) :
http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2010:083:0047:020:fr:PDF